est professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique (Québec) et président de la Société québécoise d’évaluation de programmes.
Evaluation des programmes publics : l’expérience québécoise
Le système d’évaluation
des politiques et programmes publics au gouvernement du Québec
est un dispositif implicite qui repose, en partie, sur une pratique administrative
de plus de deux décennies et, en partie également, sur la
politique de gestion par résultats de l’administration publique.
Le nouveau gouvernement libéral devra le renforcer.
Par sa loi sur l’administration
publique (mai 2000) qui place la gestion par résultats au centre
de la modernisation de l’État, le gouvernement du Québec
s’inscrit dans le prolongement de la tendance nord-américaine
de la réforme des politiques de gestion visant l’intégration
des fonctions stratégiques de l’administration concernant
les politiques et les programmes publics. Cette intégration signifie
que la veille stratégique, la planification stratégique
et la planification opérationnelle des politiques et programmes,
la conception des politiques, le suivi de gestion des programmes et l’évaluation
sont considérés comme interdépendants.
Un environnement favorable
Pour comprendre le système québécois
d’évaluation, il faut nécessairement le situer dans
son contexte nord-américain. À partir de 1993, le gouvernement
fédéral américain vise à instaurer par le
« Government Performance and Results Act » un système
de gestion par résultats conduisant à des plans stratégiques
quinquennaux, des plans opérationnels annuels et des rapports annuels
de performance des programmes publics. Cette politique générale
de gestion inclut tout naturellement la politique d’évaluation.
Les plans stratégiques doivent contenir un résumé
des évaluations de programme et un échéancier des
prochaines évaluations. Les plans opérationnels annuels
doivent proposer des indicateurs de performance pour mesurer les effets
de chaque activité de programme et décrire les moyens utilisés
pour vérifier et valider les valeurs mesurées.
Enfin, les rapports annuels de performance doivent inclure
les résultats des programmes pour les trois années précédentes,
faire le point sur les résultats obtenus et inclure les principales
conclusions des évaluations. De manière explicite, la pratique
de l’évaluation de programme au gouvernement fédéral
américain, qui remonte aux années 60, doit maintenant s’imbriquer
dans la politique globale de l’administration publique. Ce faisant,
le législateur fédéral américain confère
pour la première fois à la fonction évaluation un
rôle stratégique incontestable.
Le gouvernement canadien emboîte le pas en 1995
par une première politique de gestion par résultats. Elle
vise le dépôt des rapports de résultats et d’engagements
en matière de présentation de l’information sur le
rendement des programmes publics. Contrairement à son homologue
américain cependant, le gouvernement fédéral canadien
ne juge pas bon d’y intégrer le système d’évaluation,
système pourtant en place depuis la deuxième moitié
des années 60. Les pratiques d’évaluation ne tardent
pas à s’en ressentir selon le Vérificateur général
du Canada. En 2000, une nouvelle politique de gestion vise à renforcer
l’orientation donnée en 1995 et accorde cette fois-ci une
place stratégique à la fonction évaluation. Le gouvernement
avait en effet procédé à un examen de la fonction
évaluation et reconnaissait sans détour les conséquences
néfastes d’un système d’évaluation évoluant
en parallèle avec un système plus global de gestion par
résultats. Cette fois-ci, on affirme que l’évaluation
serait un moyen important de mesure de la contribution des programmes
à l’obtention de résultats particuliers. En 2001, une
nouvelle politique d’évaluation confirme le statut stratégique
de la fonction évaluation au gouvernement canadien.
Une approche d’abord expérimentale
Dès 1995, le gouvernement du Québec adopte
une approche expérimentale et volontaire limitée pour la
mise en œuvre d’une politique de gestion par résultats.
Basée sur le principe de responsabilisation, cette approche a favorisé
comme moyens les unités autonomes de services et la planification
stratégique. En l’an 2000, la nouvelle loi sur l’administration
publique, toujours en vigueur, établit un nouveau cadre de gestion
et met entre autres l’accent sur la planification stratégique.
Les ministères et organismes publics doivent conséquemment
préciser leur mission, le contexte et les enjeux d’intervention,
les orientations stratégiques, les résultats visés
et les indicateurs de performance. La loi prévoit des conventions
de performance et d’imputabilité pour des unités administratives
ou organismes définissant la mission et les orientations, les plans
d’action, les indicateurs de résultats et les engagements
à produire des rapports de gestion sur l’atteinte des résultats
et la comparaison avec d’autres organismes. Enfin, les ministères
et organismes doivent rédiger un rapport annuel de gestion et le
présenter à une commission parlementaire dédiée
à l’administration publique.
Comme on le voit, la gestion publique au Québec
constitue un environnement institutionnel favorable à l’exercice
d’évaluation de politiques et de programmes publics ne serait-ce
que par l’insistance de la Loi sur la justification des interventions
publiques (mission, contexte, enjeux…), sur l’usage d’indicateurs
de résultats et sur l’obligation de rendre compte de l’atteinte
de résultats et de se comparer. Il n’en demeure pas moins
que la fonction évaluation ne figure pas explicitement dans la
législation. Contrairement aux administrations américaine
et canadienne, le gouvernement du Québec n’a pas jugé
bon pour l’instant d’octroyer à l’évaluation
un statut stratégique dans le dispositif de gestion par résultats.
Il faut reconnaître cependant que le Conseil du Trésor du
Québec publie dans le cadre de la modernisation de la fonction
publique des documents spécifiques sur l’évaluation
de programmes. Il est difficile d’imaginer en effet qu’un tel
dispositif puisse fonctionner correctement en l’absence d’évaluations
significatives.
Priorité à la planification
stratégique
Suite à l’analyse de plus de vingt rapports
annuels de gestion des années 2001-2002, il apparait qu’environ
les trois quarts d’entre eux ont mis l’accent sur les processus
et les extrants des programmes et seulement le quart des rapports ont
abordé les effets des programmes. L’ambiguïté
de la notion de résultat dans la loi sur l’administration
publique y est sans doute pour quelque chose. Un mémoire de la
Société québécoise d’évaluation
de programme avait d’ailleurs tenté de sensibiliser le législateur
en commission parlementaire lors de l’étude de la loi sur
l’administration publique. Le projet de loi ne distinguait pas les
résultats d’effet, des résultats d’opération
(extrants) il ne définissait pas non plus la performance de manière
chiffrée. Il semble que les ministères et organismes publics
ont subi cette ambiguïté. Les conséquences pour le
dispositif d’évaluation sont évidentes : dans les trois
quarts des cas, on s’est dispensé de rendre compte du dispositif
évaluatif. L’accent a été mis sur la planification
stratégique au détriment du suivi et de l’évaluation
de programme.
Pourtant les évaluateurs sont sur place. La Société
québécoise d’évaluation de programme, formée
surtout de spécialistes de l’évaluation au gouvernement
du Québec, compte plus de 300 membres actifs. Rien qu’à
l’École nationale d’administration publique, des centaines
de personnes ont été sensibilisées et habilitées
à pratiquer l’évaluation de programme. Quelle est l’ampleur
exacte des ressources humaines et matérielles consacrées
à l’évaluation de programme au gouvernement du Québec
? Le statut informel de l’évaluation ne rend pas possible
un inventaire systématique de la fonction. Chose certaine, un rééquilibrage
des fonctions stratégiques de gestion des programmes est nécessaire
pour la mise en œuvre de la gestion par résultats au Québec.
Des intentions à concrétiser
Cet aperçu de la situation serait incomplet s’il
ne faisait pas mention des intentions du nouveau gouvernement en poste
depuis l’an dernier, intentions qui sont encore à concrétiser
dans le cadre de la réforme de l’administration publique.
Le gouvernement libéral souhaite mettre en place un procédé
dit de réingénierie qui vise essentiellement à refondre
la structure des organisations publiques en répondant aux cinq
questions suivantes :
- Ce programme répond-il toujours à une
mission de l’État ?
- Atteint-il ses objectifs ?
- Pourrait-on l’offrir autrement à moindre
coût en préservant la qualité des services aux citoyens
?
- Quelle est la meilleure instance pour en assumer
la gestion ?
- A-t-on les moyens d’en assumer les coûts
ou faut-il en revoir la portée ?
Comment l’évaluation de programme et la gestion
par résultats seront-elles affectées par cette nouvelle
approche à la réforme de l’administration ? Malgré
le débat politique sérieux qui entoure la réingénierie
au Québec actuellement, sur quelle base pourrait-on prétendre
que ces préoccupations ne sont pas proches parentes de la gestion
par résultats et de l’évaluation de programme ? Le
gouvernement actuel ne pourra espérer trouver des solutions à
long terme sans dispositif systématique comme l’évaluation
de programme pour répondre à ses propres questions. Il aura
donc besoin de temps, de méthodes, de techniques, d’indicateurs,
d’analyses et forcément de compétences que les évaluateurs
détiennent et auxquels un gouvernement sérieux se doit de
faire appel. L’évaluation de programme est un dispositif incontournable,
lorsque correctement déployé, pour la saine gestion publique,
en contexte de réingénierie, ou en tout autre circonstance.
Force est d’être optimiste sur l’évolution et la
formalisation du système d’évaluation au Québec
dans les années qui viennent.
Bibliographie
- Office of Management and Budget, Circular N0. A-11 (2000), Part 2, http://www.whitehouse.gov/omb/circulars/a11/00toc.html l Présidente du Conseil du Trésor, Une gestion axée sur les résultats 2000, Rapport annuel au Parlement, Canada, Octobre 2000, http://www.tbs-sct.gc.ca/report/govrev/00/mfr-gar_f.html
- Vérificateur général du Canada, La gestion ministérielle axée sur les résultats et la gestion des questions horizontales axée sur les résultats, chapitre 20, Décembre 2000, http://www.oag-bvg.gc.ca/domino/rapports.nsf/html/0020cf.html
- Secrétariat du Conseil du Trésor, Examen de la fonction d’évaluation au sein du Gouvernement fédéral, Évaluation et examen des programmes, Secteur de la planification, du rendement et des rapports, Mars 2000, Ébauche, http://www.tbs-sct.gc.ca/ep/étude/étude.htm
- Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Politique d’évaluation, Février 2001, http://www.tbs-sct.gc.ca/Pubs_pol/dcgpubs/TBM_161/ep-pe_f.html l Gouvernement du Québec, Loi sur l’administration publique, Adoptée par l’Assemblée nationale le 25 mai 2000, sanctionnée le 30 mai 2000 (2000,c.8)
- Gouvernement du Québec, L’évaluation de programme : document destiné aux dirigeants et dirigeantes de ministères et d’organismes, Québec, 2002, 22 pages
- Marceau, R., D. Otis et P. Simard, La planification d’une évaluation de programme, dans Management Public, sous la direction de R. Parenteau, PUQ, 1992, pp. 445-480
- Gouvernement du Québec, Guide sur la convention de performance et d’imputabilité et sur l’entente de gestion, Novembre 2000, http://www.cex.gouv.qc.ca/dra/guideperfor.pdf
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/evaluation-des-programmes-publics-l-experience-quebecoise.html?item_id=2560
© Constructif
Imprimer
Envoyer par mail
Réagir à l'article