est docteur en science politique, chargé de cours à l’université Paris II - Panthéon Assas.
L’exemple de la réforme très « politique » de la loi SRU
Un bref retour sur la préparation
de la loi Urbanisme et Habitat, texte apparemment apolitique, démontre
dans quelle mesure, loin de s’appuyer sur un diagnostic purement
technique, le processus de décision relève d’une évaluation
plurielle tributaire de champs variés.
La loi Urbanisme et Habitat du
2 juillet 2003 se décompose en trois volets distincts. Elle vise,
en premier lieu, à apporter des assouplissements aux dispositions
d’urbanisme créées par la loi Solidarité et
Renouvellement urbain du 13 décembre 2000, jugée globalement
par trop contraignante. La principale mesure d’adaptation porte sur
le dispositif de limitation de la constructibilité (règle
dite « des 15 km »), imposée afin de favoriser l’entente
urbaine. Un effort de clarification de dispositifs complexes a également
été entrepris par le législateur s’agissant
notamment des conditions de transformation du Plan local d’urbanisme.
Le second volet de la loi concerne
la mise en sécurité des ascenseurs autour de trois mesures
phares (la mise aux normes des installations, les contrats d’entretien,
le contrôle technique).
Deux derniers titres traitent,
enfin, de diverses dispositions relatives notamment à la participation
des employeurs à l’effort de construction. La nature apparemment
«fourre-tout» du texte présenté par le gouvernement
résulte d’une triple évaluation fondée sur des
Fondements juridico-politiques
Le projet de loi s’appuie uniquement à l’origine
sur la nécessité d’apporter une réponse aux
nouvelles exigences de sécurité et à la vétusté
d’un parc d’ascenseurs parmi les plus anciens d’Europe.
L’inscription rapide à l’ordre du jour d’un projet
de « mise en sécurité des constructions » procède
de la rencontre de deux courants constitutifs de politiques publiques,
l’un de problématisation-résolution (policies),
l’autre de nature politique directement lié au cycle électoral
(politics).
Loin d’être issus d’un projet original
élaboré par la nouvelle majorité gouvernementale,
les dispositifs reprennent pour l’essentiel des mesures préconisées
par le groupe de travail composé des principaux experts et acteurs
concernés, créé par l’Afnor à la demande
en 2001 de la Direction générale de l’urbanisme, de
l’habitat et de la construction (DGUHC). Dès 1993, la Fédération
des ascensoristes attire l’attention des pouvoirs publics sur la
dangerosité de certains appareils. La CGT compte avec les professionnels
ascensoristes au nombre des principaux tireurs d’alarme. Le ministère
dispose donc pour l’essentiel quasiment d’un projet clé
en main. La nature de l’évaluation et la liberté de
décision se résument sous cet angle uniquement à
la sélection des priorités dans le choix ou non de mettre
en œuvre la réforme. Inscrite dans une continuité,
elle se révèle limitée quant aux modalités.
Pour autant, ce projet ascenseur participe pleinement
du « référentiel global » sécuritaire
dominant durant la campagne présidentielle du printemps 2002. Il
apparaît donc aussi comme une déclinaison sectorielle, relative
aux installations urbaines, d’une perception des attentes des citoyens
que le gouvernement entend traduire rapidement dans les faits. Dans sa
déclaration de politique générale devant l’Assemblée,
le Premier ministre, qui a annoncé la modification prochaine des
lois Voynet (aménagement du territoire), Chevènement (intercommunalité)
et Gayssot (SRU), fait du retour à la sécurité un
nécessaire préalable aux réformes. Le projet se greffe
ainsi sur une série de textes sécuritaires rapidement votés
ou mis en chantier. Deux accidents dramatiques impliquant des ascenseurs
à Strasbourg et à Amiens en pleine période électorale,
en mai et juin 2002, viennent conforter ces deux logiques.
La nécessité de pallier les risques d’une
crise foncière annoncée incline de surcroît à
réviser quelques points de blocage identifiés de la loi
SRU et vont conduire à élargir le projet par-delà
le seul volet ascenseurs. La loi SRU, pléthorique avec plus de
deux cents articles, mal expliquée, difficilement appliquée
par les Directions départementales de l’équipement,
a connu trois révisions successives qui illustrent la défaillance
de la production de la loi dénoncée par le Conseil d’État
dans son rapport pour 2001.
Mais c’est bien en réalité un impératif
proprement politique qui incite à la réforme. La campagne
électorale s’apparente à une logique de « dette
» vis-à-vis des militants et des électeurs. S’agissant
spécifiquement du champ de l’urbanisme et de l’habitat,
la dette est médiatisée puisqu’elle concerne une clientèle
spécifique, celles des élus locaux, qui sont à la
fois les détenteurs directs des prérogatives et les relais
indirects des sollicitations de leurs administrés. La quasi-totalité
des commentaires publics portant présentation du texte n’ont
toutefois guère détaillé ces dispositifs mais se
sont focalisés sur la question de la mixité sociale.
Mixité sociale : évaluer le coût politique de la réforme
En effet, une proposition sénatoriale portant
modification de la loi SRU a mis sur agenda l’éventualité
d’une réforme du dispositif instaurant l’obligation d’un
quota de 20% de logements sociaux (aidés) pour les communes d’au
moins 3 500 habitants. Les sénateurs ont choisi de le réaménager
en complétant le dispositif coercitif par un mécanisme incitatif
et contractuel, d’élargir la définition du logement
social, de modifier la sanction financière. L’argumentaire
utilisé, qui peut difficilement s’afficher comme une opposition
à la promotion de la mixité sociale, s’appuie sur une
ligne libérale-réaliste : le dispositif contractuel est
plus efficace, il tient compte des contraintes de la disponibilité
et du stock urbanisables, il préserve enfin la liberté des
élus à l’encontre des choix jugés dogmatiques
qui ont prévalu en 2000. Dès l’annonce du dépôt
d’un projet de loi relatif à la construction et à l’habitat,
l’opposition interpelle le ministre de l’équipement,
jugé par ailleurs modéré sur ce dossier, sur l’éventualité
d’une telle remise en cause.
Processus de non-décision
L’adoption au Sénat de la proposition de
loi Braye place de fait en difficulté le gouvernement qui n’a
effectivement pas choisi de s’atteler à ce dossier. à
ces contraintes s’ajoute l’impatience des députés
qui sont favorables à une réforme immédiate du dispositif
instauré par la loi Gayssot, et qui avaient, pour bon nombre d’entre
eux, fermement bataillé contre son adoption durant la législature
précédente. Comme le révèle la presse, mais
uniquement lors de la seconde lecture en mars 2003 et donc une fois seulement
la phase de controverse refermée par le politique, la ligne gouvernementale
est en fait clairement établie dès l’ouverture du débat
parlementaire au mois de janvier. Le critère d’évaluation
est prioritairement politique. Le cadre de la réforme a été
fixé par le président de la République qui souhaite
se prémunir du risque d’une campagne fustigeant une politique
de régression sociale : toute modification du dispositif relatif
à la mixité sociale doit recevoir l’aval du Haut comité
pour le logement des personnes défavorisées présidé
par Xavier Emmanuelli, ancien secrétaire d’État à
l’action humanitaire d’urgence sous le gouvernement d’Alain
Juppé. La consultation fait donc concrètement office de
veto. Pour le cabinet du ministre, il s’agit de prendre réellement
en compte les aspirations de la majorité, tout en contenant la
fronde des ultras.
Or, par-delà des options idéologiques distinctes
(réalisme libéral v. pragmatisme social), se joue plus prosaïquement
les conditions de la demande électorale des municipales de 2007,
notamment en Ile-de-France. Suivant une évaluation coût -
avantage rapide (plus de logements sociaux = une augmentation supposée
du vote de gauche), bon nombre d’élus de la majorité
craignent que les règles existantes ne leur fassent perdre leurs
mandats.
Durant toute la phase préparatoire du débat
parlementaire, le choix porte donc sur l’opportunité de la
réforme. La primauté accordée à l’option
du statu quo naît d’une double évolution. Le paradoxe
apparent provient du fait que ceux qui souhaitent la remise en question
du dispositif contraignant se refusent finalement à devoir mettre
en œuvre une réforme dont les dispositifs contractuels issus
du compromis leur apparaissent, une fois les comptes faits, finalement
bien moins favorables que le dispositif existant. Parmi les membres de
la majorité, la position est par ailleurs loin d’être
monolithique : certains élus de la majorité qui ont gagné
des municipalités longtemps situées à gauche et confrontés
aux effets de la ghettoïsation sociale considèrent avec bienveillance
l’obligation d’augmenter le potentiel de logements sociaux pour
des communes avoisinantes, faiblement dotées. L’absence du
dépôt d’amendement sur le sujet annihile toute opposition.
Le débat est tué dans l’œuf.
à l’issue de la navette et à l’occasion
de la publication du rapport de la Fondation Abbé Pierre sur les
mal-logés, la presse se fait l’écho des conditions
de la non-décision et sert indirectement la nouvelle stratégie
gouvernementale ainsi déployée : faire part du renvoi, éventuel,
de cette question au futur projet sur l’Habitat, devenu depuis lors
« propriété pour tous ». Les porte-parole des
groupes socialistes et communistes et républicains évoquent
pour leur part de nouveau le non-dit. Mais la seule portée symbolique
de leur critique est insuffisante pour transformer cette interrogation
en enjeu de débat public, alors même que la question demeure
en suspens et, s’agissant d’un texte austère, guère
suivie par l’opinion publique.
Dès lors, quelle leçon retenir in fine
de ce bref récit de la fabrique d’une loi ciblée ?
S’agissant de textes très spécialisés et, apparemment,
apolitiques, le processus d’évaluation en amont de la décision
ne saurait se restreindre aux seuls enjeux techniques. Plus spécifiquement,
la question de la mixité sociale, étrangère au projet,
fut pourtant au cœur du débat. La « non-décision
» se révèle à la fois intentionnelle et tributaire
d’un champ controversé, car politiquement à risque.
Bibliographie
- Peter Bachrach et Morton S. Baratz, Decisions and non decisions: an analytical framework, The American Political Science Review, 57, 1963
- Pierre Muler, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Montchrestien, 1998
- Philippe Zittoun, Partis politiques et politiques du logement. Échanges de ressources entre dons et dettes politiques, RFSP, vol 51 (5), oct. 2002
- Renaud Epstein, Thomas Kirszbaum, L’enjeu de la mixité sociale dans les politiques urbaines, Regards sur l’actualité, n° 292, juin-juillet 2003.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/l-exemple-de-la-reforme-tres-«-politique-»-de-la-loi-sru.html?item_id=2557
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