est directeur associé de Cassiopée Intelligence, filiale développement d’Intelligence Online.
Les acteurs de l’intelligence économique sortent de l’ombre
Pour la première fois,
une étude identifie les acteurs de l’intelligence économique,
les structures et les réseaux auxquels ils sont rattachés.
Des anciens agents de services
de renseignement, des gendarmes reconvertis, des généraux
qui ont le sens de l’entreprise, des polytechniciens à l’esprit
militaire, des préfets ardents avocats de la réforme de
l’État, des directeurs de sécurité dans l’ombre,
des directeurs de la stratégie qui jouent les marionnettistes…
! On pourrait longtemps continuer cette énumération. Sans
savoir pour autant ce qu’est l’intelligence économique
; si ce n’est, vaguement, son caractère offensif ou défensif…
ou les deux !
Lorsqu’une activité
économique est sur le point d’acquérir ses lettres
de noblesse mais reste, somme toute, peu structurée, pour l’appréhender,
la seule alternative est de chercher à identifier les hommes qui
l’exercent. En France, l’intelligence économique est
encore portée par de fortes personnalités. Et les réseaux
constitués entre les acteurs ont parfois plus d’importance
que les entités formelles.
Voici
la méthodologie et la raison d’être de l’étude
« France : le Top 100 de l’intelligence économique
» qui a été publiée en janvier dernier
par la publication spécialisée Intelligence Online.
Le travail du « Top 100 » n’est ni une classification
ni un palmarès, encore moins un annuaire. Il s’agit d’une
analyse et d’un décryptage, notamment de trois catégories
d’acteurs qui font « l’intelligence économique
» : les entreprises, les prestataires et l’État1.
Selon l’étude, les
entreprises, essentiellement les grands groupes, adoptent quatre types
de comportement en matière d’intelligence économique.
Une première catégorie
d’entreprises revendique une réelle politique d’intelligence
économique. Ces sociétés sont engagées dans
une dynamique proactive vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs
partenaires ou même dans la définition de leur stratégie.
De fait, elles assument ouvertement cette fonction au sein de leurs organigrammes
et nomment des responsables intelligence économique qui s’affichent
en tant que tels : Air France, Snecma, Aventis Pasteur, EADS, France Telecom,
Areva en font partie. Beaucoup de ces acteurs ont su mobiliser des réseaux
d’information au sein même de l’entreprise et assister
des clients « internes ». L’intelligence économique
est, dans ce cas, une question de management, de gestion de projet au
même titre que la démarche qualité ou les bonnes pratiques
commerciales. La finalité ? Répondre à un besoin
spécifique, aider un comité exécutif, par exemple,
à prendre la bonne décision. La cellule « IE »
(intelligence économique) joue ainsi le rôle de prestataire
« maison ».
Des entreprises en pointe, les autres moins
Deuxième catégorie, les entreprises où
les directeurs des systèmes d’information montent en puissance
comme chez Renault. Les fameux DSI revendiquent un rôle à
jouer, non plus dans les « machines » et les « tuyaux
», mais dans une problématique plus vaste de gestion de la
connaissance outre celle, très sensible, de la sécurité
informatique. Le Cigref, leur syndicat professionnel, s’en est fait
le porte-parole dans son rapport publié l’an dernier.
Une autre attitude, plus « traditionnelle »,
s’est construite autour de la sécurité. C’est
celle des entreprises qui élaborent et suivent leur stratégie
avec la volonté d’éviter à tout prix que leurs
concurrents en aient connaissance. Le directeur de la sécurité
est le bras armé de cette stratégie défensive, et
sans doute également offensive. Michelin en est un bon exemple.
Enfin, moins démocratiques si l’on peut dire,
la dernière catégorie d’entreprises rattachent l’intelligence
économique au sommet de la hiérarchie, à la direction
de la stratégie de l’entreprise ou au secrétariat général.
Là, c’est une affaire d’éminences grises, sans
grande implication de relais d’information ou de prestataires internes.
Pour résumer, un certain nombre d’acteurs
adoptent sans complexe une posture d’intelligence économique
et en font un véritable outil de management au service des décideurs
et de leur stratégie, les autres réagissent davantage par
à-coups aux modifications de leur environnement ou ne pratiquent
l’intelligence économique qu’au sommet de la hiérarchie.
Chez les premiers, apparaît une volonté
de ne pas déconnecter l’intelligence économique du
métier de l’entreprise. Fabien Pelous, le fondateur de la
cellule « IE » d’Air France, ingénieur de l’aviation
civile, illustre bien cette problématique. Cette cellule a démarré
avec la mise en place de tableaux de bord analysant la performance de
l’entreprise.
Pour beaucoup d’autres, les fonctions IE ne sont
pour l’instant pas totalement assumées. Ainsi, les personnes
clés ne possèdent pas de place clairement définie
dans les organigrammes, au même titre que la direction des ressources
humaines ou le département marketing. L’étude du «
Top 100 » souligne d’ailleurs que les formations aux
métiers de l’IE ne sont pas pleinement reconnues par le système
universitaire et n’offrent pas de véritables perspectives
de carrière. Au cours de ses investigations, Isabelle Verdier,
l’auteur de l’étude, s’est retrouvée le plus
souvent, pour une même société, en face d’interlocuteurs
multiples, exerçant chacun un des métiers de la fonction
IE, sans en assumer l’entière responsabilité (chargé
de la veille, directeur de la sécurité, directeur de la
propriété intellectuelle, directeur de la recherche, directeur
de la communication, responsable de la gestion de crise, responsable des
fusions-acquisitions, etc.).
Les entreprises font largement appel à des prestataires
externes, surtout lorsque les savoir-faire requis couvrent la collecte
d’informations grises, c’est-à-dire issues de sources
protégées, non publiques.
Les prestataires de services sortent de l’artisanat
Globalement, les prestataires de l’IE interviennent
aux différents niveaux du cycle de l’information : la collecte
dans des domaines aussi divers que la veille concurrentielle ou technologique
et l’évaluation des risques (juridique, géopolitique…).
à ces prestations de renseignement s’ajoutent celles d’analyse
conduisant au conseil en stratégie.
En examinant à la loupe cette profession, on remarque
qu’elle demeure encore largement artisanale, éclatée
et sous-capitalisée, à la différence des géants
anglo- saxons comme Kroll, coté à New York. Des regroupements
sont probables. En attendant, seuls trois consultants ont dépassé,
en 2002, le seuil des cinq millions d’euros de chiffre d’affaires
: le groupe Geos, présidé par Stéphane Gerardin,
Datops, dirigé par Louis Gay et, pour la partie consulting, par
Jean-Bernard Pinatel, et la société à capitaux d’État
Adit (Association pour la diffusion de l’information technologique),
dirigée par Philippe Caduc. Ce trio de tête est talonné
par deux sociétés avoisinant les cinq millions d’euros
de chiffre d’affaires : Atlantic Intelligence de Philippe Legorjus,
la seule cotée en France (au marché libre), et ESL &
Network, de Patrice Alain-Dupré.
Tant dans les entreprises que chez les prestataires,
l’intelligence économique à la française repose
sur des réseaux d’influence provenant des parcours personnels
de ces acteurs. Ils sont liés par leurs formations (Institut des
hautes études de défense nationale, Polytechnique, DESS
d’IE…) ou par leurs parcours professionnels (préfets
ou militaires). Les services de renseignement, qu’il s’agisse
de la Direction du renseignement militaire, de la DGSE ou de la DST, ont
irrigué des entreprises comme Geos ou BD consultants, spécialisées
dans le risque géopolitique.
L’étude a identifié également
les responsables IE au sein de l’État, des associations ou
des autorités consulaires. Là encore, ce sont les personnalités
qui portent l’intelligence économique, et non les structures
elles-mêmes. Dans le secteur public, des préfets, comme Rémy
Pautrat, ancien patron de la DST, aujourd’hui vice-président
de l’Adit, ont été à l’origine du concept
d’intelligence territoriale, véritable doctrine d’une
stratégie régionale de l’IE. L’objectif : mutualiser
pour des PME des efforts menés localement dans un secteur d’activité
bien précis ou un savoir-faire déterminé. Notons
que des fédérations ou des syndicats professionnels peuvent
engager des initiatives de même nature pour se préparer à
l’évolution d’une fiscalité, d’un cadre juridique,
de tout élément influant sur la production, la qualité
ou le prix des biens et services vendus.
Les structures publiques étaient jusqu’à
présent essentiellement défensives. La politique d’État
a pris une nouvelle dimension avec la publication du rapport du député
UMP Bernard Carayon dans le cadre d’une dynamique décidée
au plus haut niveau de l’État. L’un des défis
d’Alain Juillet, nommé Haut responsable chargé de l’intelligence
économique par Jacques Chirac, est de créer une coopération
interministérielle et locale qui subsiste aux alternances politiques
et que, réellement, l’administration, comme les entreprises,
s’emparent durablement de l’intelligence économique.
Dix conseils pratiques
Concrètes, voici dix bonnes pratiques
extraites des témoignages des personnalités
interviewés dans le film « Top 100 de l’Intelligence
économique ».
1. Ne veillez pas par plaisir : Pas
de veille pour rien : toute action de veille doit correspondre
à un besoin clairement exprimé par une personne
bien identifiée qui doit prendre une décision
dans le cadre d’une stratégie.
2. Construisez des réseaux d’informateurs
: Identifiez, au sein de votre entreprise, les personnes
clés capables de mettre en place des réseaux
ouverts sur l’extérieur.
3. Motivez l’échange d’informations
: L’information ne remonte jamais spontanément,
celui qui la donne doit en percevoir l’utilisation finale
ou obtenir une contrepartie.
4. Mettez en forme l’information
: L’information doit être formatée et
traitée pour répondre aux besoins et aux pratiques
des destinataires.
5. Analysez pour décider :
L’homme doit toujours rester au centre du processus de
veille. Les outils informatiques permettent d’amasser
et de trier une grande masse d’informations, mais ils
ont leurs limites. La valeur ajoutée de la veille provient
de l’analyse qui en découle pour permettre de
prendre la meilleure décision.
6. Protégez votre information :
Identifiez les vulnérabilités : quelles informations
protéger, quels moyens de transmission utiliser ? Sur
quelle durée ?
7. Ne comptez pas ! évaluez vos
risques : Combien coûte, combien rapporte l’intelligence
économique ? Comment évaluer la nature spécifique
de cet investissement et sa rationalité économique
?
8. Prévenez le risque juridique
: De plus en plus de batailles se livrent sur un terrain
juridique ou réglementaire. Toute action offensive
doit naturellement rester dans un cadre légal.
9. Gérez influence et contre-influence
: La communication est l’un des terrains d’action
de l’intelligence économique. Comment lancer,
anticiper ou déjouer une campagne d’influence,
telle est la question.
10. Identifiez vos risques géopolitiques
: Terrorisme, régimes politiques instables : afin
de protéger leur personnel et leurs investissements
à l’étranger, les entreprises doivent connaître
très exactement la situation de chaque pays et de chaque
zone.
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[Copyright Cassiopée Intelligence]
- France : le Top 100 de l’Intelligence économique. En vente chez l’éditeur, Indigo Publications, Paris. Les travaux d’Intelligence Online se poursuivent dans le cadre d’un projet plus vaste d’Observatoire
des acteurs de l’intelligence économique élargi et de la réalisation d’un film documentaire.
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