Alain GEST

est député UMP de la Somme.

Philippe TOURTELIER

est député PS d'Ille-et-Vilaine.

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Une proposition de méthodologie

Estimant que le principe de précaution est désormais une réalité incontournable, Alain Gest et Philippe Tourtelier expliquent dans leur rapport que c'est avant tout son application qui est mal cernée et proposent une méthodologie pour que les pouvoirs publics sachent effectivement comment le mettre en œuvre, y compris dans le domaine de la santé.

Qu'est-ce qui vous a conduit à accepter de rédiger ce rapport ?

Alain Gest. Le principe de précaution avait déjà prêté à discussion lors de son introduction dans la Constitution en 2005. Depuis, j'ai rédigé un rapport sur l'éventuelle dangerosité pour la santé du téléphone portable et de ses antennes qui m'a conduit à prendre connaissance de jurisprudences faisant référence à la notion de principe de précaution.

Quand Bernard Accoyer, le président de l'Assemblée, m'a demandé de réaliser ce rapport dans le cadre des travaux du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée, j'ai accepté volontiers.

Philippe Tourtelier. Le sujet m'intéresse depuis 2005 et j'avais eu l'occasion de me rendre compte que, dès 1999, le rapport Kourilsky posait beaucoup de questions qui se sont confirmées depuis. L'application de l'article 5 de la Charte de l'environnement ayant été retenue comme l'un des trois premiers thèmes de travail du comité d'évaluation et de contrôle, j'ai moi aussi accepté. 

N'y a-t-il pas dans l'opinion publique une confusion entre ce qui relève de la prévention et ce qui relève du principe de précaution ?

Alain Gest. Oui, il y une confusion totale de l'opinion et des médias. Or, la prévention s'applique aux faits dont le risque est avéré et connu ; on sait ce qu'il faut faire et comment. Le meilleur exemple est la grippe H1N1 : on connaît parfaitement le remède, c'est le vaccin et on sait le fabriquer, même si le délai peut varier... Il en va de même pour le nuage islandais : ses particules en suspension endommagent les moteurs d'avion, la solution est donc de ne pas laisser décoller les avions...

Dans le cas du principe de précaution, on ne connaît pas la nature exacte du danger, ni celle du remède. En principe, cela concerne surtout, comme le législateur l'avait prévu, les problèmes écologiques. En pratique, c'est essentiellement dans le domaine de la santé, en particulier pour les OGM, qu'on l'a invoqué.

Faudrait-il alors étendre le principe de précaution à la santé ?

Alain Gest. Nous n'avons pas exclu cela, car nous sommes face à un principe qui ne trouve pas naturellement son champ d'application, mais s'étend, comme je viens de le dire, à d'autres domaines. La vérité, c'est que le citoyen a adopté le principe de précaution ou y fait référence pour la santé. Résultat : il y a eu de réelles conséquences dans un domaine, celui des OGM, car de nombreux chercheurs français ont fui à l'étranger. Il faudrait réussir à éviter cela à l'avenir.

À titre personnel, tourner le dos au principe de précaution en matière de santé me semblerait illogique. La méthode que nous proposons peut s'appliquer sans pour autant avoir recours à un texte constitutionnel.

Philippe Tourtelier. Étendre le champ du principe de précaution serait sans doute la seule façon de dissiper la montée de l'angoisse de nos concitoyens face aux évolutions de la science. Des procédures claires et un véritable débat public permettraient de sortir du « passionnel ». 

Vous estimez que le principe de précaution est là et que l'on ne peut pas revenir dessus...

Philippe Tourtelier. Nous sommes partis sans a priori de l'histoire du principe de précaution : il a émergé au niveau international, d'abord dans le domaine de l'environnement, dans les années 1970 en Allemagne, puis il a été reconnu de façon déclarative à ce niveau international avant d'être intégré dans le droit européen. Qu'on le veuille ou non, même s'il n'avait pas été inscrit dans la Constitution française, il se serait imposé à notre pays. Donc, le principe de précaution est là : on ne peut pas le supprimer, on doit faire avec, d'autant qu'il a une dynamique propre.

Vous reconnaissez que c'est dans l'application que ce principe pèche. Que recommandez-vous ?

Philippe Tourtelier. Si le principe de précaution qui est censé s'appliquer à l'environnement est d'abord invoqué pour des questions de santé, c'est bien qu'il y a un flou sur son application ! En pratique, si l'on ne fait rien, on laisse le juge décider de la procédure. C'est pourquoi nous souhaitons qu'un texte soit adopté qui permette de déterminer si l'on est bien dans le cadre du principe de précaution et comment on doit faire pour le mettre en œuvre. Et cela, particulièrement dans le domaine sanitaire, car pour l'environnement les mesures sont suffisamment encadrées par l'article 5 de la Charte de l'environnement, qui est d'application directe, et la loi sur la responsabilité environnementale, qui met en œuvre la directive.

Alain Gest. La première question que se posent les pouvoirs publics, c'est de savoir si l'on est ou non dans une situation qui relève du principe de précaution. Donc, pour cette procédure qui doit se dérouler au niveau national, nous proposons que soit désigné un organisme existant qui rassemblerait toutes les études scientifiques et les informations les plus récentes afin d'identifier le risque en question, qu'il soit environnemental ou sanitaire.

Nous proposons que le comité de la prévention et de la précaution, actuellement rattaché au ministère de l'Écologie, devienne interministériel et soit placé auprès du Premier ministre afin de jouer ce rôle. Si l'alerte est jugée plausible, le comité devra nommer un référent, a priori une personnalité du monde scientifique, qui sera identifiable par l'opinion publique.

Philippe Tourtelier. L'étape suivante consisterait à diligenter toutes les expertises scientifiques nécessaires par l'intermédiaire de la nouvelle Agence de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

À côté de ces expertises, il faudrait que des analyses sociétales soient menées par des sociologues, des historiens, des économistes, etc. afin que le rapport coût-bénéfice des mesures pouvant être envisagées ne soit pas effectué seulement du point de vue scientifique. 

Tout cela prendra du temps... Que faire en situation d'urgence ?

Philippe Tourtelier. Le principe de précaution n'est pas compatible avec l'urgence. Dans une situation d'urgence, il n'y a que les moratoires.

Alain Gest. Je suis d'accord avec Philippe Tourtelier. De toute façon, il faut prendre le temps pour que les pouvoirs publics disposent d'une démarche claire, crédible et transparente, démarche dont la dernière étape devrait être celle du débat public sur les termes d'un avis bien documenté.

Un tel débat pourrait être mené à bien, soit par la Commission nationale du débat public, soit par le Conseil économique, social et environnemental, soit par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques qui, sur le modèle du Haut Conseil des biotechnologies, pourrait compter deux collèges : un collège sur les technologies et un collège sociétal. 

Qu'attendez-vous du gouvernement ?

Alain Gest et Philippe Tourtelier. Le gouverne-ment dispose de trois mois à l'issue de la remise de notre rapport pour y réagir. S'il ne répond pas, le Parlement a le droit de s'auto- saisir et, dans cette hypothèse, nous rédigerions une proposition de loi. 

La piste de la « boîte à outils » évoquée par Chantal Jouanno, la secrétaire d'État chargée de l'Écologie, vous semble-t-elle intéressante ?

Philippe Tourtelier. Ce terme fait un peu « bricolage ». Il nous semble nécessaire qu'un texte de loi précise la méthode à suivre.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-11/une-proposition-de-methodologie.html?item_id=3054
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