Christophe MONTCERISIER

est directeur général du département Conseil secteur immobilier de The Royal Bank of Scotland.

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La France en bonne position

Après un coût d'arrêt brutal, le financement à l'immobilier résidentiel repart progressivement sur des bases plus saines. Malgré de nouvelles contraintes réglementaires, le système bancaire continuera de jouer son rôle d'intermédiaire entre prêteurs ultimes et emprunteurs. Au sortir d’une crise de croissance, les techniques de distribution des crédits ont vocation à se régénérer, mais la reprise sera lente et l'accès au crédit plus difficile à court terme.

La contraction des financements de l'immobilier non résidentiel a été brutale depuis l'été 2007, malgré un assouplissement récent. Sur les 900 milliards d'euros de créances immobilières au bilan des banques, un montant important de financements vient à maturité dans les trois prochaines années. Ces crédits pourraient ne pas être refinancés en totalité, en raison notamment d'une baisse des valeurs immobilières. Au point haut du cycle, si un immeuble valait 100, financer son acquisition à hauteur de 75 (ou un peu plus) était pratique courante. Aujourd'hui, ce même immeuble peut ne valoir que 85 et les quotités de financement envisageables peuvent avoir été réduites à 70 % de la valeur, soit 60. Cet écart de - 15 entre 75 et 60 constitue un funding gap. Le prêt arrivant à échéance, comment l'écart va-t-il être comblé ? Par une injection de fonds propres complémentaires ? Par la prise en compte de pertes chez l'investisseur ? Chez les banquiers prêteurs ? Par une amélioration des valeurs de l'immobilier ? Les réponses apportées auront un impact direct sur la capacité des banques à prêter de nouveau.

Cette crise est pourtant différente de celle des années 1990 : les taux d'intérêt sont historiquement bas, allégeant le coût de portage. Tant que les actifs immobiliers généreront un rendement entre 5 et 8 %, le coût des intérêts sur un emprunt à dix ans, situé actuellement aux alentours de 2,50 %, pourra être couvert. La stabilisation récente, voire le rebond des valeurs immobilières observé en France au cours du dernier semestre, illustre bien la résistance d'une classe d'actifs au rendement attractif. Par ailleurs, les banques ont été recapitalisées, pouvant affronter un nouveau choc économique. Sur les 91 banques européennes soumises à des tests de résistance, sept seulement n'ont pas atteint les résultats requis.

À ce jour, les cassandres qui prévoyaient le développement rapide d'un marché de la créance fortement décotée n'ont pas vu leurs prédictions se concrétiser. Dans ce contexte incertain, qu'en est-il plus précisément pour le marché français ? Globalement moins affecté que celui de ses voisins européens et surtout américains, il devrait connaître un cycle moins prononcé, mais n'échappera pas à la raréfaction et au renchérissement du crédit.

Production ralentie des crédits et montée des risques

Le marché du financement immobilier non résidentiel français est difficile à évaluer. La Banque de France publie chaque année une « synthèse de l'enquête du secrétariat général de la Commission bancaire sur le financement de l'habitat », mais dont il est difficile d'extraire les chiffres pour le seul marché non résidentiel. L'institut IPD publie des données détaillées, mais qui ne couvrent malheureusement pas encore la totalité du marché. Un premier constat peut cependant être établi : la production des banques françaises sur le territoire français a chuté de près de moitié entre 2007 et 2008 (- 44 % selon la Banque de France), passant de 34 à 19 milliards d'euros. Si la baisse a été plus limitée dans le financement de la promotion (25 % de la production), les crédits aux foncières et investisseurs en immobilier ont, quant à eux, chuté de près de 66 %. Cette contraction peut être expliquée par une aversion croissante des banques au risque ainsi que par une chute de 53 % du marché de l'investissement sur cette période (28 à 13 milliards d'euros, source DTZ). Cerner le volume des encours existants à l'immobilier commercial se révèle également ardu. La Banque de France les estime à environ 82 milliards d'euros fin 2008. Pour sa part, DTZ estime que ce sont près de 240 milliards d'euros de dettes qui vont devoir trouver un refinancement dans la décennie à venir en France. Quoi qu'il en soit, un indicateur apparaît déjà se dégrader depuis fin 2007 : le taux de créances douteuses, celles-ci passant de 1,7 % à 5,2 % des encours entre 2007 et 2008 (source : Banque de France).

Cette montée des risques va de pair avec une exigence renforcée en matière de fonds propres. Déjà avec les normes dites « Bâle II » introduites en 2008 pour toutes les banques (à l'exception des banques américaines), les fonds propres devant être alloués à un crédit étaient fixés en fonction du risque de contrepartie. Ce risque devait être évalué en fonction de trois paramètres : la probabilité de défaut, la perte estimée en cas de défaut et la durée du crédit. Les fonds propres doivent être ajustés chaque fois qu'un paramètre évolue. D'aucuns ont pu dénoncer l'aspect procyclique des normes Bâle II : plus le risque de crédit augmente, plus la banque doit avoir de fonds propres pour faire face à cette dégradation, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, l'empêche de mettre en place de nouveaux financements, accélérant le ralentissement de l'activité économique.

Les normes en cours d'élaboration (« Bâle III ») devraient ajouter des contraintes supplémentaires. Parmi les points actuellement en discussion figurent, notamment, la mise en place d'un ratio d'endettement maximal dont les niveaux précis restent à définir (le montant total des actifs d'une banque ne pourra pas dépasser x fois le montant de ses fonds propres) ou par exemple l'obligation imposée aux banques qui cèdent leurs créances à des tiers (titrisation) de conserver une part du risque. Toutes ces règles ont un objectif louable : éviter une prise de risque et un endettement excessifs des agents bancaires. Elles auront néanmoins pour effet de limiter la capacité des banques à prêter.

Singularité du marché français

Le marché immobilier français est spécifique. Il bénéficie d'une profondeur et d'une liquidité inégalées en Europe. Sur ce troisième marché européen après ceux du Royaume-Uni et d'Allemagne, les volumes d'investissement ont atteint un pic historique en 2007 avec près de 28 milliards d'euros, et sont attendus aux alentours de 10 milliards d'euros en 2010.

Un des principaux atouts du marché français est la position de leader en Europe continentale du marché du bureau francilien, placé juste derrière celui de Londres en termes de volumes d'investissement. Le marché immobilier français attire ainsi des investisseurs internationaux. En ce qui concerne le financement, le marché français est historiquement très dépendant du système bancaire. En effet, les acteurs de l'investissement immobilier ont plusieurs moyens de se financer : auprès des banques, par dette hypothécaire (moyen le plus répandu) ou par financement sans garantie hypothécaire directe (financements dits « corporate » réservés aux grandes foncières cotées), ou auprès des marchés de capitaux par l'émission d'emprunts obligataires, qui n'est possible que pour un nombre limité d'acteurs ou par le biais de la titrisation. Notons que la titrisation peut être directe, lorsque l'emprunteur emprunte pour une opération spécifique auprès des marchés, ou indirecte, lorsque l'emprunteur reçoit un prêt d'une banque, que cette dernière titrise ensuite sur les marchés. Alors qu'aux États-Unis et au Royaume-Uni, la part de la titrisation dans les encours de financement atteint respectivement 28 % et 15 % (sources : DTZ, CBRE et Savills), en France elle ne dépasse pas les 2 % (sources : Bloomberg et RBS).

Un nécessaire effort partagé

Même si c'est à un degré moindre que dans certains pays limitrophes comme l'Espagne, la crise immobilière a eu en France un impact sur la valeur des actifs immobiliers. Le funding gap évoqué précédemment signifie concrètement que le marché immobilier nécessite plus de fonds propres. Ainsi, les prêts ayant été émis au sommet du marché entre 2005 et en 2008 sur des maturités de 3 à 5 ans vont arriver à échéance entre 2010 et 2013. Selon DTZ, le funding gap sur le marché français s'élèverait à 7 milliards d'euros en 2010, puis 5 milliards en 2011. Ces chiffres représentent une proportion faible du total pour l'Europe, chiffré par DTZ à une fourchette comprise entre 115 et 156 milliards d'euros de fonds propres.

Pour couvrir ce besoin de financement, une première solution consiste à réinjecter des fonds propres. Selon DTZ, le montant des capitaux levés et susceptibles d'être investis sur la période 2010-2011 s'élève à 116 milliards d'euros. Le besoin de financement pourrait donc être ainsi résorbé, au moins en grande partie. Un commentaire cependant : le cabinet souligne que cette manne a été levée en partie par des fonds à vocation globale qui investiront aussi ailleurs qu'en Europe, et que ces fonds ne seront investis qu'en échange d'un certain taux de rendement.

La sortie de crise passe donc aussi par d'autres moyens. Les banques ont un rôle important à jouer. Dans la famille des outils dont elles disposent, on peut mentionner, aux deux extrêmes :

  • l'allongement des prêts, avec l'attente d'un marché plus favorable. En échange d'une amélioration de la profitabilité, les banques révisent les covenants et étendent la maturité. Cette technique prévaut aujourd'hui sur le marché français ;
  • la saisie de l'actif. Cette solution radicale a jusqu'à présent été peu appliquée par les banques en France, en comparaison d'autres pays comme les États-Unis.

Gérer dans la durée

Les banques se sont organisées pour gérer la réduction de leur portefeuille dans la durée. Elles ont commencé par isoler ces actifs dans une catégorie « non stratégique ». Elles ont monté des équipes spécifiques pour gérer les dossiers de manière extinctive. Il ne s'agit pas à proprement parler de structures de « défaisance » du type Comptoir des entrepreneurs ou Consortium de réalisation telles qu'on les avait connues dans les années 1990. En effet, la crise financière de 2007 ayant été une crise financière et de liquidité bancaire, et non pas seulement une crise immobilière, les États ont fait le choix de soutenir directement les banques plutôt que de favoriser des schémas de défaisance d'actifs toxiques.

Aussi, le marché se dirige vers une sortie de crise progressive. Les banques vont mettre quelques années à amortir ou à sortir de leurs bilans les prêts concernés. Après la crise de 1991, ce n'est que vers 1995-1996 qu'elles ont commencé à vendre à des fonds « opportunistes » leurs portefeuilles. Ces fonds ont réussi à racheter les actifs à bas prix. Ils ont par la suite affiché des rendements élevés, grâce à de lourdes restructurations combinées à un retour à la normale du marché. Aujourd'hui, les banques, qui ne veulent pas se voir accuser de brader leurs actifs, privilégient la restructuration en interne. Cela ne les empêchera pas de céder des portefeuilles, ici ou là, lorsque les conditions de marché leur apparaîtront favorables.

Une régénération des sources de financement

Si les sources traditionnelles se sont taries, elles n'ont pas disparu pour autant et devraient se régénérer.

Les banques : bien que contraintes, elles vont continuer, sur leur bilan, à financer l'immobilier, une des toutes premières classes d'actifs en valeur et génératrices de revenus. Alors que certains acteurs réduisent la voilure, d'autres saisissent l'opportunité pour développer cette ligne de métier aux marges actuellement attrayantes. Sur le marché français, les dernières grandes transactions ont vu la montée en puissance des banques allemandes. Ces opérations ont pu être finalisées, car elles correspondaient à des critères stricts en matière de risque : qualité indéniable des immeubles financés, bonne visibilité sur les cash-flows, quotité de financement raisonnable et solidité des équipes de gestion chez l'emprunteur... Il semblerait même que certaines banques aient déjà examiné des dossiers de financement en blanc, sur la base de quotités de financement de l'ordre de 55 %. Il s'agit d'un signal encourageant.

Les marchés financiers : d'un côté, les investisseurs, notamment institutionnels, disposent de liquidités à investir et sont à la recherche de supports leur permettant d'atteindre une rentabilité qu'ils fixent en fonction du degré de risque encouru. De l'autre, les banques ont une expertise de montage de produits permettant de répondre à leurs demandes et sont en contact naturel avec une clientèle emprunteuse. Les banques joueront donc un rôle d'interface entre emprunteurs et prêteurs ultimes, ce qui leur permettra de reprendre le chemin du crédit. Parmi les instruments jouant un rôle dans le circuit du financement immobilier, on peut citer :

  • les Pfandbrief (obligations) hypothécaires : les encours de ce marché créé dès 1769 atteignent 61 milliards d'euros environ, avec une production nouvelle au cours des huit premiers mois de l'année de 4 milliards. Les banques émettent des obligations foncières garanties par des créances hypothécaires qu'elles placent chez les investisseurs. L'investisseur bénéficie, au travers de cette obligation sécurisée, de la garantie délivrée par la banque émettrice et du gage sur la créance hypothécaire ainsi que de son sous-jacent immobilier, le cas échéant. La banque y voit la source de liquidité qui va lui permettre de prêter et l'emprunteur l'avantage d'un coût de financement réduit (environ 30 à 40 points de base de moins qu'un financement classique). Cela explique en grande partie l'activité des banques allemandes sur le marché français. Selon le Cercle franco-allemand de l'immobilier (CFAI), la production nouvelle d'origine allemande sur le marché français en 2009 a atteint 2,6 milliards d'euros, avec un encours total de l'ordre de 22 milliards, soit 13 % des encours sur l'immobilier commercial français. Si ce marché apporte une liquidité aux banques, il ne supprime néanmoins pas le risque et les encours dans leurs bilans ;
  • les obligations sécurisées (covered bonds) ne disposent pas d'un cadre réglementaire prédéfini (contrairement aux Pfandbrief ou, pour le logement, aux obligations foncières ou aux obligations sécurisées de la Caisse de refinancement de l'habitat pour le logement), mais sont fondées sur le même principe que le marché des Pfandbrief. Elles ont connu un développement important au cours de la crise financière ;
  • la titrisation : technique décriée depuis la crise des subprimes, mais qui devrait renaître de ses cendres. Elle consiste à transformer des créances non liquides en titres négociables. Ils sont achetés par des investisseurs et permettent de libérer des fonds à réinvestir dans de nouveaux prêts. Globalement, si l'on estime à 20 000 milliards de dollars le montant des encours titrisés dans le monde et si l'on applique un ratio forfaitaire de 8 % de fonds propres à mettre en face, cela voudrait dire que les banques devraient augmenter leurs fonds propres de 1 600 milliards de dollars pour financer des montants équivalents sans titrisation. La réouverture du marché passera par le rétablissement de la confiance des investisseurs dans les produits proposés.

Les compagnies d'assurances : tout comme les banques, les compagnies d'assurances voient leur cadre réglementaire évoluer. Solvency II a pour impact principal de favoriser la détention d'obligations au détriment d'actions ou d'actifs immobiliers, et oblige aussi à comptabiliser ses engagements en mark-to-market - c'est-à-dire à actualiser la valeur de ses actifs à chaque période comptable, et à ajouter des fonds propres si cette valeur a baissé, ou vice versa -, ce qui lui donne un caractère procyclique. On observe aujourd'hui que certains assureurs commencent à être à la recherche de « tickets » dans les financements qui sont mis en place ou se positionnent à l'achat sur des ventes de crédits hypothécaires sur le marché secondaire. Pour un assureur, le crédit hypothécaire est une classe d'actifs réglementairement admissible. Ces assureurs font le pari de conserver ainsi une exposition à l'immobilier, moins consommatrice de fonds propres que s'ils détenaient l'actif en direct, mais plus rémunératrice que certains financements obligataires.

Sous l'effet conjugué d'un pilotage fin des bilans bancaires, d'une attrition naturelle des crédits arrivant à maturité et de la réactivation de canaux de distribution, le financement immobilier devrait se régénérer et repartir graduellement. Ainsi, un cercle vertueux pourrait à nouveau s'enclencher à partir de bases plus saines. Cette approche pourrait toutefois être remise en cause si l'économie venait à subir un deuxième choc, de type déflationniste. Bien que ce ne soit pas le scénario principal retenu par les banquiers centraux et la plupart des économistes, on ne peut pas l'exclure totalement.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-11/la-france-en-bonne-position.html?item_id=3063
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