© Photothèque Bouygues Construction

Philippe JUNG

est directeur général Développement immobilier de Bouygues Construction.

Partage

Constructeur cherche investisseur directement...

Il y a cinq ans encore, l'immobilier non résidentiel trouvait aisément chaussure à son pied en matière d'investissement. Avec la crise économique et financière, les cartes ont été rebattues. Alors que le marché s'internationalise, les professionnels de l'immobilier se tournent eux-mêmes vers de nouveaux investisseurs, comme en témoigne l'expérience de Bouygues Construction.

On constate que les groupes de BTP en sont arrivés à faire du développement immobilier. Pourquoi ?

Philippe Jung : La base du métier de Bouygues Construction est en effet de construire, mais le groupe a acquis au fil du temps un savoir-faire en matière de conception et de montage de projet. L'entrepreneur que nous sommes n'avait pas envie de rester un simple exécutant. Nous nous sommes donc dotés peu à peu de filiales de développement immobilier, nous permettant d'offrir à nos clients (utilisateurs et investisseurs) un service complet, une prestation globale. Parallèlement, le groupe a acquis depuis près de quinze ans un savoir-faire réel en matière de financement de projet, notamment avec l'expérience des contrats de partenariat et des concessions. Enfin, la maîtrise globale du produit implique d'optimiser ses processus.

Nous disposons aujourd'hui d'un réseau structuré de filiales spécialisées en développement immobilier (Sodéarif en Île-de-France, Cirmad dans les différentes régions) s'appuyant sur une filiale spécialisée en asset management (Advalys) et une direction de l'ingénierie financière. Ce réseau de développement génère près de 20 % de l'activité de bâtiment du groupe en France.

 Comment trouvez-vous les investisseurs ?

Le métier de développeur immobilier consiste à proposer des produits de bonne qualité à des investisseurs potentiellement intéressés. Dans les conditions normales de l'économie, lorsque le marché est opérant, les investisseurs sont présents et actifs. Il n'est donc pas très difficile de susciter leur intérêt pour les projets que nous développons, dès lors que ceux-ci sont de bonne qualité.

Cela dit, la typologie des investisseurs varie en fonction des cycles de marché. Tous n'ont pas la même appétence au risque et ne se positionnent donc pas de la même façon. On peut aussi trouver des investisseurs en proposant des produits bénéficiant d'une avance technologique majeure par rapport aux autres produits du marché. Nous sommes ainsi en plein dans une phase de saut technologique avec les nouvelles réglementations thermiques.

Comment procédez-vous actuellement ?

La crise que nous traversons a totalement rebattu les cartes ! Ces dix dernières années, les investisseurs ont évolué dans leurs critères d'achat et leurs compétences. Ils font une meilleure analyse technique des produits et sont par conséquent plus exigeants. Il est naturellement plus difficile de trouver des investisseurs lorsque le marché n'est pas opérant. Il y a peu d'investissements, car il y a une incertitude sur la croissance et par conséquent sur l'occupation des immeubles, et les loyers. Il est plus compliqué de trouver un investisseur pour un bien lancé « en blanc », non loué. Les utilisateurs, eux, attendent souvent avant de se manifester, dans l'espoir de voir les prix baisser.

Pour ce qui concerne les investisseurs que je qualifierais de « traditionnels » (institutionnels européens, fonds anglo-saxons ou allemands), nous nous attachons à leur donner envie d'investir en leur proposant les produits répondant exactement à leurs attentes : localisation optimale, coût raisonnable et, si possible, locataire sécurisé.

Par ailleurs, notre modèle technique, qui marie maîtrise de la conception, innovation et association du constructeur très en amont, est un élément différenciant par rapport à nos concurrents promoteurs.

Dans ces périodes chahutées, l'investisseur a besoin d'être rassuré, et nous répondons à son attente.

Pouvez-vous citer quelques exemples ?

Deux exemples très récents : nous venons de vendre successivement deux opérations de bureaux « BBC » de 10 000 m² chacune à un grand institutionnel français, dans la banlieue sud de Paris. Pour le premier de ces immeubles, nous avions trouvé un locataire unique, une belle signature. Pour le second, l'investisseur a accepté de l'acquérir « en blanc », car nous l'avons convaincu du positionnement du projet, tant en termes de produit que de coût. En outre, notre investisseur sera, en 2012, le seul à proposer un produit neuf et de qualité dans la zone : c'est une véritable opportunité.

Ciblez-vous d'autres types d'investisseurs ?

Oui, nous devons faire preuve d'imagination et trouver de nouveaux profils d'investisseurs, non habitués à l'immobilier non résidentiel. Il peut, par exemple, s'agir de fonds investissant traditionnellement dans des domaines différents, ou de personnes fortunées. Ces investisseurs sont en général sensibles à nos démarches, car ils ne trouvent pas toujours leur bonheur sur le marché. Le fait d'investir dans un actif immobilier de taille raisonnable et sur lequel ils ont une véritable visibilité est un élément de choix très important. Ils souhaitent avoir une bonne connaissance des produits dans lesquels ils investissent et apprécient en général de s'en sentir proches. Ils connaissent le produit, peuvent le visiter, savent qui est le (ou les) locataire(s). L'investissement dans l'immobilier non résidentiel leur offre des rendements attractifs et leur permet de diversifier la répartition de leurs risques. Finalement, nous amenons les investisseurs et les produits à se rencontrer.

La période peut également être favorable pour des utilisateurs qui souhaitent acquérir leurs propres bureaux dans un bas de cycle du marché.

Bouygues Construction profite enfin de ses implantations à l'international pour rencontrer d'autres investisseurs et leur proposer nos produits. Il s'agit, par exemple, de fonds ou de personnes venant du Moyen-Orient ou d'Asie.

En résumé, notre rôle est d'apporter le bon produit au bon investisseur. Mais cela est une constante quel que soit l'état du marché.

Votre groupe a créé des fonds d'investissement. Est-ce lié à la période actuelle ?

En effet, j'allais y venir. Il s'agit d'un autre moyen de trouver des investisseurs. Nous créons avec eux des fonds dédiés pour investir dans une ou plusieurs opérations. Le capital que nous apportons chacun nous lie dans le moyen ou le long terme par une communauté d'intérêts. Bouygues Construction a déjà créé plusieurs fonds spécialisés. À titre d'exemple, nous avons constitué Parcolog avec le fonds Blackstone, à une époque où très peu d'investisseurs s'intéressaient au marché des plates-formes logistiques. Il y avait un fort besoin de clients, d'un côté, mais peu d'intérêt de la part d'investisseurs, de l'autre. Nous pourrions également citer l'exemple actuel des data centers.

L'attrait pour la construction durable et les bâtiments basse consommation est également une opportunité : nous venons, en 2010, de créer avec Tikehau Capital pour partenaire, un fonds d'investissement (Heuricap) dédié à l'acquisition d'immeubles de bureaux neufs, répondant au minimum à un niveau de performance BBC. Ce fonds réalise ses deux premières acquisitions à Compiègne et à Saint-Étienne.

Les investisseurs potentiels ne manquent pas, mais il faut être suffisamment professionnel et inventif pour leur proposer de bons actifs répondant parfaitement à leurs attentes. C'est vraiment du cousu-main, voire de la haute couture !

Quels sont vos risques et avantages en diversifiant vos profils d'investisseurs ?

Il y a un risque principal lorsqu'on crée un fonds dédié : il faut arriver à ne pas se substituer aux investisseurs existants, tout en apportant une valeur ajoutée réelle sur le marché. Et ce n'est pas si simple !

Concernant les investisseurs non récurrents, l'enjeu majeur est de créer avec eux une relation de confiance en leur apportant des réponses parfaitement adaptées. Le besoin de conseil est très fort chez eux, et on ne doit pas les tromper. Il faut parfois être capable d'aller contre l'avis général lorsqu'on sent que les risques ne correspondent pas à ce que souhaite l'investisseur. La qualité du conseil que nous leur apportons est donc essentielle, car elle crée la fidélisation et la récurrence de leur investissement.

Les développeurs immobiliers doivent donc être en permanence à l'écoute du marché (nouveaux produits, cycles) et des besoins (locataires, investisseurs). Il faut également anticiper, car il se passe souvent deux à trois ans entre le moment où un projet est identifié et le moment où il est commercialisé. Si l'on attend que le retournement de cycle ait lieu pour réagir, on arrive toujours trop tard.

Ensuite, il y a les risques inhérents au métier de développement immobilier. Celui-ci impose d'être très structuré et de considérer le développement immobilier comme un métier à part entière, qui a ses professionnels, ses règles de contrôle et son autonomie.

Cela dit, il y a heureusement des avantages réels liés à la recherche de nouveaux profils d'investisseurs. Le principal est sans doute que nous pouvons adapter vraiment le profil de l'investisseur en fonction du type de produits que nous développons. C'est de la haute couture, comme je le disais. Et finalement, cela constitue l'essentiel de notre valeur ajoutée de développeur immobilier ! Nous apprécions de pouvoir trouver des partenaires financiers ou des particuliers qui souhaitent investir sur du moyen ou du long terme. C'est un élément important pour la pérennité des projets.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-11/constructeur-cherche-investisseur-directement.html?item_id=3064
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article