Anne CHEYVIALLE

est journaliste au Figaro.

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Dubaï : après les excès, retour à la réalité

Dans toute crise, il y a du bon. Après des années de spéculation et de projets pharaoniques, stoppés net par la tempête financière, le marché immobilier reprend peu à peu sur des bases plus saines. Le petit émirat mise sur ses atouts de hub financier et commercial.

La crise à Dubaï était écrite. L'affaire des subprimes et la récession économique qui a suivi n'ont fait que précipiter l'éclatement de la bulle immobilière. Le marché était devenu tellement spéculatif, irrationnel, aidé en cela par le manque de régulation, que sa déroute était inéluctable. « Nous avons connu une bulle sans précédent. Toutes les ventes se faisaient sur plan, à crédit. Un bien pouvait se vendre cinq à six fois avant qu'il ne soit livré », illustre Olivier Ghattas, senior vice-president de BNP Paribas Real Estate. Une législation très peu contraignante, notamment sur les dépôts de garantie et la solidité financière des investisseurs, a encouragé la spéculation. Résultat : en trois ans, le parc de bureaux a doublé, passant de 2,5 millions de mètres carrés début 2007 à 5 millions aujourd'hui. Les ambitions du petit émirat, sorti des sables dans les années 1960 et devenu en un temps record le Las Vegas du Moyen-Orient, étaient sans limites. À l'image de ses projets immobiliers pharaoniques : une tour de près d'un kilomètre de haut en forme de flèche, une piste de ski en plein désert, une ville nouvelle de 90 milliards de dollars installée sur un archipel artificiel...

Des rêves de grandeur stoppés net par la crise financière. Les volumes et les prix de transaction se sont brutalement effondrés après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Les banques, qui prêtaient à tour de bras, souvent sans discernement, ont subitement fermé les vannes. Les chantiers en cours se sont arrêtés, renvoyant chez eux des milliers d'ouvriers et expatriés, et les projets lancés ont été annulés. Petits investisseurs, développeurs et promoteurs, avides de gains rapides, ont mis la clé sous la porte. La pression est montée d'un cran en fin d'année dernière, lorsque les rumeurs d'une possible faillite de Dubai World, le conglomérat public plombé par sa filiale immobilière Nakheel, ont fait trembler les places financières internationales. Jusqu'à ce que l'émirat d'Abu Dhabi, riche en pétrole, ne vole à son secours en accordant en décembre dernier un prêt de 10 milliards de dollars.

Restructuration de la dette

Presque un an plus tard, où en est-on ? Du côté de l'émirat, l'annonce le 10 septembre par le gouvernement d'un accord formel de Dubai World avec 99 % des créanciers pour restructurer sa dette de 25 milliards de dollars a apaisé les inquiétudes sur sa situation budgétaire. « En venant en aide à Dubaï, Abu Dhabi a repris le contrôle politique de la fédération, remarque un homme d'affaires français. On ne connaîtra jamais le détail des transactions, mais il est certain qu'Abu Dhabi a récupéré pas mal d'actifs. »

On ne connaît pas non plus l'étendue du passif, estimé entre 80 et 140 milliards de dollars. Le FMI l'évalue à 109 milliards. « Cela équivaut grosso modo à dix-huit mois de production pétrolière à Abu Dhabi, ajoute l'entrepreneur. Ce qui relativise les risques de cessation des paiements. »

Il n'empêche que l'émirat pourrait bien être obligé de se séparer de quelques-uns de ses joyaux, tels le flamboyant hôtel Atlantis de Dubaï, sa participation dans le groupe américain de casinos MGM International, voire une partie de Dubai Ports World (ou DP World), aujourd'hui l'un des principaux opérateurs portuaires mondiaux, et dont Dubai World détient 80 %. Le pôle immobilier Nakheel risque également d'être démantelé.

En attendant, le secteur immobilier panse ses plaies. Si la situation reste sinistrée, les experts saluent le retour à une certaine normalité. « Cela a permis d'épurer le marché de tous les spéculateurs qui faisaient monter les prix de jour en jour », commente Olivier Ghattas. Après avoir atteint des sommets, les prix ont chuté de 50 % en moyenne. « On a vu des loyers plus chers que l'avenue Montaigne. Les promoteurs promettaient des rendements à 14 ou 15 %, remarque Patrice Douce, chef d'entreprise et représentant de la chambre de commerce française à Dubaï. Aujourd'hui, ils tournent autour de 5 à 7 % dans le commercial. » Les zones franches - c'est l'une des spécificités de l'émirat, qui a développé plusieurs parcs sectoriels, médias, finance, commerce, libres de tout droit de douane pour attirer les investisseurs - ont été moins touchées. Elles concentrent 43 % du parc de bureaux. La valeur locative, en dehors de ces zones, qui avait grimpé de 416 euros (prix au mètre carré hors taxe et hors charge) au premier trimestre 2005 à 1 250 euros pour le troisième trimestre 2008, est retombée à 320 euros au deuxième trimestre de cette année.

« Nous sommes toujours dans une phase descendante, car il y a encore beaucoup d'incertitude », affirme Laurent Lehmann, directeur marketing de CB Richard Ellis. Les prévisions tablent encore sur une baisse dans les prochains mois de 10 à 15 %, compte tenu des nombreux projets qui doivent encore être livrés et d'un taux de vacance de 40 % en moyenne. Pour résorber le surplus, il faudra bien trois ans. D'ici à 2012, ce sont 3,68 millions de mètres carrés de bureaux supplémentaires qui arriveront sur le marché, soit un total de presque 9 millions de mètres carrés à commercialiser. La plupart de projets sont concentrés dans un immense quartier d'affaires baptisé « Business Bay ». « Comme il s'agit d'un parc encore récent et qu'il y a beaucoup de terrains disponibles, ce sont des opérations gigantesques, de 300 000 à 500 000 m2 », précise Laurent Lehmann.

Légère reprise des transactions

Après une année « zéro », les transactions reprennent peu à peu, plus dans le locatif que dans la vente. « Le marché est plus sain, les projets sont de meilleure qualité et les banquiers se montrent plus prudents, plus sélectifs dans leur financement », précise Nicholas Turner, avocat associé chez Herbert Smith à Dubaï. Autre mérite de la crise, la mise en place d'une législation. « Auparavant, le marché était tenu par les propriétaires, imposant leurs lois et prix aux locataires », commente Olivier Ghattas. Les baux commerciaux ne dépassaient pas un an, les propriétaires imposaient des hausses arbitraires et exigeaient le paiement en une fois et d'avance. En moins d'un an, les loyers pouvaient bondir de 30 %. Depuis, l'autorité de régulation du secteur immobilier, la RERA, y a mis bon ordre, en instaurant de nouvelles lois qui protègent davantage le locataire : l'une, en particulier, réglemente les augmentations. « Cet organisme a permis de mettre en place à Dubaï des législations immobilières reconnues à l'international », explicite Olivier Ghattas. Il existe désormais des baux sur de plus longues périodes, sur 3, 5 et 7 ans, et l'on voit aussi apparaître des clauses de résiliation. Un autre effet positif est la baisse du coût de la vie, qui encourage les entreprises à rester ou à revenir. « Non seulement les prix de bureaux étaient déraisonnables, mais les gens n'arrivaient plus à se loger », relève Patrice Douce. Les Anglo-Saxons et les Russes, très présents avant la crise, ont cédé la place aux Asiatiques. Aujourd'hui, les premiers investisseurs sont indiens, supplantant les Anglais. Tous biens confondus, ils représentent 17,7 % des investissements, contre 13,3 % pour les Anglais, suivis de l'Arabie Saoudite (9 %), du Pakistan (9,1 %) et de l'Iran (6,7 %).

Surtout, même si les années folles sont bel et bien révolues, Dubaï n'a rien perdu de son attractivité : sa position géostratégique, située au carrefour d'un bassin de consommation de 1,5 milliard de personnes, de l'Inde à la Turquie, ses solides infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, sa fiscalité réduite, sa qualité de vie, ses activités touristiques... Les touristes sont toujours plus nombreux à visiter la « pépite » du Golfe : 10 millions cette année, contre 7 millions en 2009. Signe de ce dynamisme, la compagnie aérienne Emirates Airline, basée à Dubaï, a commandé en juin 32 A380, l'Airbus géant, portant le total de ses achats à 90 appareils. L'émirat offre aussi des conditions très intéressantes pour les entreprises : simplification administrative, très peu de taxes, pas d'impôt sur les sociétés. En fait, le petit émirat cherche à se recentrer sur son passé de port marchand. Plus que jamais, Dubaï se veut un hub commercial et financier.

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