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Jean-François DESPOUX

est responsable mondial des financements immobiliers et hôteliers à la Société générale.

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Les problématiques de refinancement post-crise

Près de 50 % des encours de prêts d'immobilier commercial en Europe ont été consentis juste avant la crise, au pic du marché en termes de valeur et de levier de financement. Compte tenu des modifications intervenues depuis sur ces marchés, leur refinancement pourrait s'avérer délicat. Et si des solutions peuvent être trouvées, notamment grâce à la négociation, elles seront longues et onéreuses à mettre en place.

Parmi les marchés qui ont été directement touchés par la récente crise financière, l'immobilier commercial est probablement celui qui va continuer de souffrir encore le plus longtemps des difficultés de financement qui en ont résulté.

Outre le rétrécissement remarquable du marché bancaire et la fermeture des marchés de titrisation sur cette classe d'actifs (Commercial mortgage-backed security ou CMBS), qui contribuent tous deux très largement à ces difficultés, le risque de valeur résiduelle inhérent aux financements d'immobilier commercial a créé globalement des situations de refinancement très complexes à gérer, dans l'environnement actuel. Notamment, les opérations effectuées juste avant la crise, en 2006 et 2007, sont particulièrement touchées par ce phénomène. Sur les mille milliards d'euros d'encours de prêts d'immobilier commercial en Europe (incluant le Royaume-Uni), près de 50 % ont été octroyés durant cette période.

Même si tous les prêts n'ont pas connu les niveaux de levier élevés qu'on a pu observer dans les CMBS, on peut estimer sans trop se tromper que les leviers moyens acceptables par les prêteurs actuels ont baissé de 20 points entre le pic du marché et aujourd'hui (1 point = 1 % de valeur du bien), soit près de 25 % par rapport aux valeurs de prêts. À cela s'ajoute la baisse de valeur des biens qui, en moyenne, se situe aux alentours de 20 % avec un spectre très large de valeur. À leur échéance, le trou de refinancement théorique structurel de la génération de prêts 2006-2007 s'élèverait donc à environ 200 milliards d'euros et concernerait la quasi-totalité des prêts octroyés durant cette période.

Des solutions coûteuses

Alors, quelles sont les solutions proposées aujourd'hui par le marché pour résoudre ce problème et à quels coûts ? Les deux phénomènes qui ont contribué à creuser ce trou de refinancement théorique, c'est-à-dire la baisse de valeur des biens et la baisse des leviers de financement, ne feront très probablement pas l'objet de corrections significatives d'ici aux maturités de refinancement de ces prêts, qui sont globalement attendues pour 2011 et 2012. Les solutions de refinancement, quelles qu'elles soient, auront donc un coût pour les acteurs en place : investisseurs, banquiers prêteurs et, le cas échéant, prêteurs mezzanine 1.

Il est par ailleurs très difficile de dégager une famille de produits qui apportera la solution miracle à ce problème, et chaque opération présente ses propres caractéristiques qui conduiront à faciliter l'obtention d'un compromis entre les différents acteurs ou pas. Ces solutions peuvent aller d'une injection pure et simple de capitaux supplémentaires par les investisseurs, contribuant à réduire le trou de refinancement au-delà de la perte initiale de valeur du bien, à une saisie du bien par la banque avec revente sur le marché, en passant par l'apport de capitaux nouveaux sous forme de tranche mezzanine, ou même des abandons partiels de créances par les banques. Dans chacune de ces solutions, il s'agit bien, à chaque fois, de combler ce trou de refinancement théorique par contribution d'un ou de plusieurs acteurs.

Existe-t-il pour autant des solutions plus efficaces financièrement que les autres ? Un des nouveaux éléments de cette crise par rapport aux précédentes est aussi la plus grande pression imposée par Bâle II sur les banques en ce qui concerne l'allocation en capital. En plus du coût de capital associé aux provisions, le montant de capital alloué sur un prêt donné augmente exponentiellement avec le niveau de levier, pour atteindre théoriquement une déduction des fonds propres 1:1 au-delà du levier de 100 %. Cela se traduit donc par une charge pour les banques similaire à un investissement direct en capital sur ces tranches-là. On peut donc considérer que le système de réglementation actuel Bâle II a contribué à créer une continuité de traitement entre les investisseurs et les banquiers prêteurs, et donc des coûts associés.

La voie de la négociation

La solution passe donc par une négociation entre les parties où les banques, qui ont mis en place les covenants de levier et de couverture d'intérêts appropriés, doivent se prononcer sur la meilleure stratégie à suivre pour défendre leurs intérêts en fonction de différents paramètres : capacité de l'investisseur à injecter de nouveaux capitaux, situation locative de l'actif, capacité de l'investisseur à gérer l'actif, alignement d'intérêts entre elles et l'investisseur, liquidité du prêt sur le marché secondaire, coût du capital associé aux positions existantes. Les derniers mois ont montré pour l'instant un intérêt clair des banques à gérer des solutions négociées avec les investisseurs existants, sauf dans les cas de défaillance avérée de ces investisseurs, d'autant que les prix proposés par des acheteurs potentiels sur le marché secondaire sont souvent très en deçà de ce que les banques aujourd'hui considèrent comme nécessaire pour préserver leurs intérêts, aux coûts all-in qu'elles ont pu calculer sur le bilan. Il est très probable que la tendance restera identique tant que les prix de rachat proposés sur le marché secondaire resteront en deçà de ces minima économiques.

Au-delà de ces problèmes de refinancement de prêts bancaires, une partie non négligeable du marché aujourd'hui a directement trait aux opérations de CMBS, qui représentent globalement en Europe à peu près 15 % des opérations de financement d'immobilier commercial. Il faut toutefois noter que cette problématique est particulièrement sensible au Royaume-Uni et en Allemagne, qui ont été les deux pays fers de lance en la matière. Les principales échéances de remboursement tombent en 2011 et 2012 au Royaume-Uni, et 2013 et 2014 en Allemagne où les actifs résidentiels sous-jacents ont fait l'objet de financements plus longs.

Pour toutes ces opérations de CMBS, il faut distinguer les opérations « orphelines » de sponsor, dans lesquels la gestion du refinancement va essentiellement incomber au trustee ou special servicer agissant pour le compte et dans l'intérêt de l'ensemble des détenteurs d'obligations titrisées, de celles qui continuent de bénéficier d'une présence active de sponsor. On peut considérer que ces dernières se rapprochent des prêts bancaires avec une négociation directe faisant intervenir les sponsors (investisseurs initiaux sur les actifs) et les détenteurs d'obligations titrisées. Les premières font, pour leur part, l'objet d'un traitement complètement différent, avec bien souvent une cession d'actifs directe au marché pour rembourser les obligations existantes, comme on a pu le voir dans une opération récente au Royaume-Uni.

On s'aperçoit qu'il n'y a pas vraiment de solution miracle à ce problème de refinancement de ces générations de prêts octroyés en 2006 et 2007. L'évolution récente des marchés fait ressortir un coût structurel pour le portage et le refinancement de ces prêts. La solution doit donc passer à ce jour par un partage de ces coûts entre les acteurs existants sur ces financements. Mais ces solutions sont longues et complexes à mettre en place, et il est certain que ces problématiques vont continuer d'avoir un impact sur le marché direct de financement d'acquisitions d'immobilier commercial pour quelque temps encore.

  1. Mezzanine - ou capital intermédiaire - est un financement hybride entre dette senior et fonds propres. Son remboursement intervient après celui de la dette senior. En contrepartie de cette subordination, elle offre en général une rémunération plus élevée.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-11/les-problematiques-de-refinancement-post-crise.html?item_id=3061
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