Dominique DEPRINS

est psychanalyste et professeure de statistique et de probabilités aux facultés universitaires Saint-Louis, à Bruxelles, ainsi qu'à l'université catholique de Louvain, en Belgique.

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L'au-delà du principe de précaution

Initialement conçue par Pascal en vue de  «travailler pour l’incertain », la probabilité, devenue centrale dans le gouvernement de l’incertain, désormais sous la focale du paradigme de précaution, travaille  « contre l’incertain ». C’est pourtant dans cet incertain qui s’efface aujourd’hui que s’enracine la confiance que l’homme de la précaution, sujet de contradiction enjugué à ses certitudes, semble appeler de tous ses vœux.

Le principe de précaution institué est le revers de la démythification du savoir expert depuis que la science inquiète plus qu’elle ne pacifie et que  «notre figure du tragique appartient au monde de la technologie 1 » ; par là, ce principe portait en lui la promesse d’une science enfin libérée de sa mise au secret dans le confinement des laboratoires. Dans un souci de transparence, la science s’est alors mise au service des  «sociétés du savoir 2 », dès lors ouvertes à la diversité des formes de connaissance, des savoirs scientifiques et technologiques aux savoirs profanes. Sous l’injonction du principe de précaution, cette libération de la science s’est traduite par son application, dans la plus grande rigueur, à la société tout entière ; ce qui ne pouvait que réjouir les Ulrich contemporains et enthousiastes, amoureux des faits et de la précision scientifique, que déjà Robert Musil décrivait dans L’homme sans qualités.

D’une nature devenue muette

Avant que naissent les sciences de la nature 3, l’homme pensait, bien campé dans sa tradition, que ses rituels – en somme, son action – avaient quelque chose à voir avec l’ordre de la nature et le maintien des choses à leur place ; il était pour quelque chose dans cette répétition du même qu’on appelle le réel 4. S’il ne prétendait pas faire la loi de la nature, l’homme pensait cependant  «être indispensable à [sa] permanence 5 ». L’ordre de la science a tout bouleversé ; ce nouvel ordre s’est instauré dès lors que l’homme a pensé qu’il n’était absolument pour rien dans celui de la nature. Alors que jusque-là il célébrait la nature, avec la science l’homme s’est fait son  «maître et possesseur » (R. Descartes) ;  il n’a plus fait corps avec elle par ses danses, ses rites ou ses incantations, dès lors qu’il s’en est exproprié, l’expropriant du même coup en la rendant muette.

L’homme de la précaution, quant à lui, est « le chantre repenti d’une science débridée 6 » et est le plus souvent privé d’une tradition qui lui aurait permis d’être encore  «officiant à la Nature 7 ». Il a alors fait de la nature un patrimoine naturel ; c’est dire que depuis, avec son goût de l’obéissance morose, il s’est mis en devoir de la préserver et la protéger, tant il aimerait que, comme un paradis enfin retrouvé, elle le protège et veille sur lui en retour, en dépit de l’expropriation qu’il lui a infligée à son profit en se faisant son  «maître et possesseur » par la technique. Dans un renversement théâtral de la relation d’ordre entre la nature et l’homme, la nature s’est faite sa victime sans crime, étrange  «personne physique » devenue sa  «requérante juridique 8 ». D’une nature le plus souvent tourmenteuse, ou même faucheuse, au joug de laquelle il devait échapper par la maîtrise, il a fait une nature suppliciée par l’homme, dès lors promis à un immobilisme coupable.

C’est aussi dire que, dans son péché d’orgueil, il prétend désormais être capable d’infléchir la loi même de la nature, fût-ce en la ruinant ou en la restaurant, par sa technique ou par son abstention. Mû par une sorte de théosophie, il gouverne la nature… en lui obéissant et en lui prodiguant ses soins. Qu’on ne s’y trompe pas ; plus que jamais,  «tel l’esclave, [l’homme] tente de faire tomber son maître, sous sa dépendance, en le servant bien 9 ». Face aux menaces réelles ou supposées, l’homme de la précaution saura-t-il ressusciter ce patrimoine agonisant en nature-providence ? C’est l’idolâtrie d’un rêve. Dans ses excès, il prône une nature délivrée de l’homme, car il en est la faute qui cause la ruine du monde de la nature et menace sa propre espèce. Ces auto-accusations sont autant de plaintes mélancoliques de sa propre faute d’exister, là où l’on aurait pu croire l’homme innocent à jamais délivré du péché originel depuis que  «Dieu est mort 10 ».

La probabilité pour traiter le réel

À l’aube de notre modernité, en lien étroit avec la science, Pascal inaugurait le calcul des probabilités ; plus encore, il traçait de concert les lignes de partage du monde intérieur de l’homme moderne, ouvrant les chemins de la subjectivité. C’est dans cette alliance difficile que se loge le projet des temps modernes, car, une fois le cosmos du Moyen âge chrétien éclaté, l’homme  «égaré » (fr. 693/198), atomisé dans un univers infiniment petit ou infiniment grand, n’y trouve plus son lieu. En réponse à cette déroute, Pascal tente désormais de traiter le réel par son calcul des probabilités, là où la science en a fait son objet en l’externalisant.

Le calcul des probabilités se fonde sur l’expérience binaire 11 où chaque coup de dé 12 est assimilable à une place telle que l’événement  «avoir un 6 » s’y produit ou ne s’y produit pas ; à chaque coup de dé, il y a une rencontre ou non avec l’événement. Ce qui est très différent de quelque chose dont on a la certitude qu’il reviendra toujours à la même place, ce qu’on appelle le réel ; avec la probabilité, l’événement « avoir un 6 » au dé ne se produit pas toujours à la même place, la place reste parfois vide quand la rencontre ne se fait pas. C’est pourquoi on peut dire que le calcul des probabilités est celui « des chances, de la rencontre elle-même […] une science de la combinaison des places vides […] des rencontres scandées [puisqu’il y a] une succession de coups 13 ».

La probabilité est alors « l’union paradoxale de la rationalité et de la contingence 14 ». Sur un premier versant 15, la probabilité est la chance que l’événement se produise – sa rencontre – ; ce par quoi on peut appeler la contingence. Une chance est au fond « une certaine attente pure 16  », qui confère déjà un minimum de sens. Une fois la nature réduite au silence, le sens est alors donné par ce qui n’est pas toujours à la même place, qui n’est pas toujours au rendez-vous et qui laisse parfois une place vide ; c’est le jeu symbolique des combinaisons entre absences et présences dans lequel Pascal inscrit sa probabilité 17. Sur son autre versant, la probabilité est la rationalité du hasard. C’est dire que le calcul d’une probabilité résultera d’une loi, cet invariant propre à la science ; une loi de probabilité dont la causalité faible qu’elle engage est « sans intention 18 ». Ce n’est rien moins que cela, le hasard, partout où « il y a là une loi 19 ». Le hasard qu’aucun coup de dé, jamais, ne saurait abolir est alors ce qui ne donne pas de sens, en somme, le réel, cet invariant.

Avec sa probabilité, Pascal met en tension les deux versants par une union paradoxale ; les jeux symboliques et le réel se concluent alors l’un de l’autre, ouvrant le réel à l’interprétation et ainsi à la question du sens. En effet, le géomètre joueur ne croit pas à la possibilité d’une synthèse entre les antonymes du couple d’opposition – rationalité et contingence –, à moins d’un enfermement dans la contradiction elle-même. Une telle synthèse n’est qu’illusion d’un imaginaire 20 autant « superbe puissance trompeuse [que] constitutive » (fr. 82/44 21) qui dissimule la réalité. Les « sujets de contradiction » sont pris dans les rets de la séduction du binarisme des opposés et des bipartitions irréductibles du monde qui embrassent ainsi la totalité. Pourtant, « Le Tout est le non-vrai 22 » car il s’apparente à une simple somme des parties qui, avec une redoutable efficacité, occulte ce qui les unit entre elles, tout en les séparant. La logique ternaire de Pascal combat cette totalité par le paradoxe, qui est affaire d’interprétation. Elle déboute l’homme de toutes ses certitudes avec sa dialectique ascendante, une ruse par digression qui autorise le dépassement de toute opposition, « quand l’ascension procède du vide » (Novalis). C’est ainsi que, par la probabilité pascalienne, s’ouvrent les possibles quand le réel de la loi de probabilité dans lequel s’enracine la contingence, laissant une place vide pour la décision à prendre face à l’incertain, s’incarne là où le Verbe s’est fait chair – le cœur –, « château de l’âme » autant que livre de chair. Ce cœur où est logé de toute éternité son Deus absconditus – Dieu caché –, ce grand Autre qui, même caché, lui offre une garantie. Dieu est alors le réel incarné d’être entré dans le symbolique, un réel toujours à la même place dont émerge le sujet… Un réel, non plus objet « objectivé », c’est-à-dire jeté hors de l’homme, mais bien rapatrié en lui jusqu’à être inscrit d’une certaine façon dans son corps. C’est le pari pascalien, quand la question de Dieu, privatisée au niveau du sujet, se conclut d’un calcul de probabilité. C’est le pari du sujet moderne… sauf que, depuis lors, « Dieu est mort ». Plus encore, paria de ses promesses, la science doit bien avouer ne pas être ce lieu tant attendu de la vérité.

Une probabilité qui se meurt sous la logique de précaution

L’homme de la précaution est un éternel endeuillé. Si, par l’union paradoxale 23, Pascal a su laisser une place vide, lieu de la décision et condition d’un désir utopique, l’homme de la précaution, enfermé dans l’unité contradictoire de sa logique binaire, préfère, dans le doute, « s’abst[enir] de prendre une [décision] potentiellement risquée [pour se couvrir] contre le préjudice 24 ». Dans une funeste désalliance avec le versant de la contingence qui autorise la confiance nécessaire à l’acte même de juger, sa probabilité s’est refermée sur le versant d’une rationalité étroite que l’on dit aussi objectif 25 ; ce dernier versant est celui d’un réel désincarné par lequel on pourrait appeler la norme statistique, quand la fréquence fait le décompte des places non vides. Une façon de projeter l’insupportable du réel à l’extérieur, quand le hasard sauvage devient la racine d’une causalité sans intention. C’est que l’homme assujetti à la précaution a horreur du vide qu’habilement, Pascal déjouait par sa ruse pour mieux lui échapper ; le précautionneux, insécurisé et délégitimé, lui préfère la certitude que confère ce réel ainsi exilé de lui, l’exilant de lui-même. à la certitude de l’action arrachée à l’angoisse quand « agir, c’est connaître le repos 26 », il préfère le régime de certitude du trop-plein, l’angoisse elle-même, ce phénomène « qui ne trompe pas 27 » sur l’impuissance à tromper son destin ; ce phénomène toujours au rendez-vous… avec ses explications insensées. Aujourd’hui, la probabilité est au cœur des débats contemporains sur la maîtrise du risque et de l’incertain à laquelle exhorte la logique de précaution. La connaissance des risques non évaluables, ni même parfois identifiables, que le principe de précaution vise pourtant à prévenir peut alors « aussi bien s’appeler “ savoir” qu’“ ignorance”. Le principe de précaution revient en réalité à recommander une approche proactive de l’ignorance28 ». Plutôt que de considérer la probabilité comme « “le dernier refuge du savoir 29” posant d’emblée l’existence d’une limite au savoir 30 » et d’un futur s’ouvrant sur des possibles, la probabilité sous la précaution n’est pas une « vraie » probabilité dans sa façon d’assimiler le savoir à l’ignorance, jusqu’à son achèvement. Les prévisions que réclame, dans l’urgence, la logique de précaution visent la certitude d’un savoir sur le futur, en vertu d’un (problématique) principe d’induction qui assimile le futur au passé dans une temporalité circulaire assurant le retour du même, à la même place… comme on définit le réel 31. L’homme de la précaution fait alors l’épreuve d’un temps sans véritable ouverture sur l’avenir à cause d’un présent sans importance depuis que la raison le pense à partir du futur 32. Pourtant destinée au gouvernement de l’incertain pour lequel travaille Pascal dès lors que ses deux versants – contingence et rationalité – sont tenus dans une tension ouverte, la probabilité mutilée sous le régime de la précaution se meurt, vidée de sa substance, quand s’efface l’incertain.

Une confiance qui s’enracine dans l’incertain

Et quand l’incertain s’efface, la tolérance ne suffit plus à voiler l’intolérable de la dissymétrie des relations humaines, la sécurité se démultiplie en dispositifs, la vulnérabilité prend des allures de dangerosité, la peur appelle une âpre résistance, les doutes creusent les trous noirs de l’esprit, le lien social se déchire, le corps s’évide, disséqué, décomposé par le numérique, puis recomposé avec minutie sous l’impondérable du soupçon, la confiance vacille… Cette confiance que notre époque de défiance de principe appelle de tous ses vœux, depuis qu’elle applique son principe de précaution aux dommages individuels plutôt qu’aux dommages collectifs aux allures de cataclysmes initialement visés, on lui accorderait bien le pouvoir de conjurer le sort, du moins, de rendre possible un consensus, là où l’affrontement est stérile.

Pourtant, un proverbe arabe dit que « c’est de la confiance que naît la trahison ». La science, entachée aujourd’hui des vacuoles du doute et d’ignorance, est cependant « née de l’enthousiasme diabolique du vide intérieur propre à la pensée occidentale soudain comblé 33 » : le néant cognitif est alors devenu intolérable selon un principe de connaissabilité appliqué à la société tout entière selon la logique de précaution, pour servir l’illusion d’un savoir sphérique, sans reste ni faille, suturant l’abîme auquel l’homme est inexorablement adossé. De cette ferveur retombée est alors née l’angoisse et la défiance, quand la logique binaire est une manière rationnelle et méthodique de se tromper en toute confiance par l’écriture spéculaire des contraires. Difficile d’accepter qu’il n’y a pas d’alibi, pas de grand Autre, lieu attendu de la vérité ; ni Dieu, ni science, ni Providence pour venir offrir une garantie qui viendrait habiller l’abîme 34. Comment avoir confiance, alors ? Comment se faire confiance, si l’on préfère l’aveuglement ? Il y a toutes les raisons de ne pas se faire confiance. Mais « si […] je ne me fais pas confiance, pourquoi devrais-je faire confiance au jugement d’autrui ? […] Ne dois-je pas commencer quelque part à faire confiance ? C’est-à-dire, quelque part je dois commencer à ne pas douter. […] ; cela fait partie de l’acte de juger 35 ». De cet acte de juger, nécessaire pour combattre les normes qui dressent des obstacles à la pensée, peut naître la prudence qui détermine le rythme de la marche à suivre et s’interroge sur les conséquences de ce qui est tenté. La précaution n’est pas la prudence, qui n’exclut pas le risque.

Pour l’homme de la précaution mis en demeure de concilier une heuristique de la peur à un exercice actif du doute, c’est l’acte même de juger qui est touché ; sa probabilité désormais privée du versant de la contingence – celui qui « travaille pour l’incertain » ((fr. 324/136), réserve une place à la décision d’agir et concerne la croyance et la confiance en la vérité d’une proposition compte tenu d’un jugement – s’est réduite à la certitude objective d’une norme statistique. « Ainsi déconnectée d’une problématique de la décision, l’action se voit elle-même placée sous le signe de la fatalité [– cet autre nom du hasard sauvage –], laquelle est l’exact opposé de la responsabilité 36 » ; cette responsabilité au principe même de son éthique de l’incertitude et du risque pour la civilisation technologique.

Loin des chemins qui mènent à cet autre en soi, tapi de l’autre côté du miroir, pourtant plus étranger à lui-même qu’intime, loin de la confiance que la réflexivité occulte de toute sa réverbération, notre société « Eyes Wide Shut 37 » se porte garante d’une intolérance du visible qui l’exonère d’une politique de solidarité, dès lors que voyant ce qu’il voit, l’œil croit voir le réel ; on fait disparaître les Roms ou les SDF, alors il n’y a plus ni Roms ni SDF, exactement comme si seuls existaient les risques maîtrisés par la probabilité et comme si ceux qu’on ne maîtrise pas, simplement, n’existaient pas. Ce qui revient à se leurrer que tout est maîtrisable et prévisible. Dans l’allégresse myope d’une angoisse traversée de doutes, l’homme soumis à la précaution connaît alors une « paralysie de l’intelligence qui se confond avec la plus lumineuse des certitudes 38 » : c’est la fascination, cette preuve – incontrôlable, pourtant discutable – d’une ligature du jugement et de l’entendement, quand, porté à sa limite, le regard piégé nous offre le monde dans la toute-puissance et le ravissement de la servitude imaginaire. Les faits avec leur évidence de surface et leur invincible force d’inertie – ces fétiches que le précautionneux adore dans le secret des alcôves de la certitude – sont le miroir aux alouettes de la réflexivité et le plus brûlant tison d’une rationalité étroite par laquelle il épuise la question de la vérité. Aux sommières de l’angoisse, il n’est nul autre côté du miroir pour y découvrir l’« action au véritable sens, celui d’une parole 39 » ; un acte de parole, une parole incarnée qui puisse alors être donnée, seul véritable don et assise de la confiance. En somme, la confiance relève d’un acte dans le mouvement contingent de la parole où « toute parole dite au bon moment est de l’action » (H. Arendt). à défaut, aux mots toujours douteux, l’homme préférera le régime de certitude de l’angoisse, entonnoir aux portes du néant. Se faire confiance pour pouvoir faire confiance au jugement de l’autre ensuite, c’est faire le procès des certitudes auxquelles nous sommes enjugués ; de ces certitudes dont « le premier fou venu en possède une bien plus grande dans le domaine de sa folie (40) ». Faire confiance en l’autre à défaut de pouvoir se faire confiance, c’est la doléance du voyage au bout de la nuit où « faire confiance aux hommes c’est déjà se faire tuer (41) ». Les politiques de la peur – toile de fond du précautionnisme – sont les symptômes de la « paranoïa sociale (42) » contemporaine avec sa certitude d’être visé par l’Autre méchant. Si la confiance est double, il n’est qu’une seule certitude fondamentale ; celle de l’angoisse avec sa certitude de la précarité de l’existence et d’une incertitude fondamentale, comme dimension essentielle de la condition humaine. Ne pas renoncer à la Jérusalem céleste revient à s’abonner à cette précarité et à la certitude qui la porte ; y renoncer revient à arracher à l’angoisse et à ses clairières imaginaires, ces certitudes fondamentales (43) tout en acte qui nous fondent et qui permettent qu’on se fasse confiance ;  elles sont alors les « gonds (44) » du vantail qui ouvre sur la connaissance, ses questions et ses doutes afin que nous puissions penser, chercher et raisonner avec le paradoxe, l’étrangeté et l’envers des choses.

L’homme de la précaution a forclos le risque par la probabilité prédictive aux certitudes mathématiques, l’exilant des certitudes en acte, incarnées, arrachées à « l’affreuse certitude de son angoisse » qui lui conférerait la confiance qu’on se fait, chevillée au vide. Emporté par la trahison d’une confiance aveugle donnée à un Autre qui n’existe pas, il soigne son horreur du vide et de l’incertain avec un enthousiasme désespéré ;  ses nouveaux arpentages de la maîtrise du monde – on pense à l’évaluation endémique et normative – l’escortent dans la défiance et la précarité où il n’est nulle foi dans le monde.

  1. F. Ewald, Leçons sur le principe de précaution, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, mars 2005.
  2. Vers les sociétés du savoir, rapport mondial de l’Unesco, 2005. Disponible en ligne : http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001419/141907f.pdf
  3. Le point d’ancrage de cette réflexion sur le lien entre l’homme contemporain de la précaution et le réel est la conférence du 22 juin 1955 de J. Lacan, « Psychanalyse et cybernétique ou de la nature du langage », dans Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Le séminaire, livre II, Seuil, 1978, p. 339-354.
  4. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 342.
  5. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 343.
  6. F. Chareix, « La nature a-t-elle des droits ? » in M. Blay (dir.), Grand dictionnaire de la philosophie, Larousse, CNRS éditions, 2003, p.712.
  7. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 343.
  8. F. Chareix, « La nature a-t-elle des droits ? », op. cit., p. 713.
  9. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 343.
  10. D. Deprins, « Quand la précaution se fait menace souveraine… », op. cit., p. 6-7.
  11. Toutes les lois de probabilité discrètes se fondent sur des essais de Bernoulli dont le résultat est dichotomique – « succès ou échec » –, mais on aurait aussi bien pu l’appeler « présent ou absent ». Même la loi gaussienne continue, représentée par la célèbre courbe en cloche, se fonde sur ce type d’essais.
  12. Prenons ici le coup de dé comme l’archétype d’une expérience aléatoire.
  13. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 345.
  14. J. Mesnard, « Préface », in L. Thirouin, Le hasard et les règles : le modèle du jeu dans la pensée de Pascal, Vrin, 1991, p. III.
  15. Voir I. Hacking, L’émergence de la probabilité, Seuil, coll. Liber, 2002. La probabilité est double et se tient de cette tension récurrente entre ses deux versants.
  16. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 352.
  17. La plupart des lois de probabilité standards correspondent, directement ou indirectement, à un calcul combinatoire. La loi de probabilité discrète hypergéométrique est un quotient de produit de combinaisons. Sa limite, sous certaines conditions, conduit à la loi discrète binomiale, qui est elle-même un cas particulier de la loi dichotomique de Bernoulli. Sous d’autres conditions, la limite de la loi binomiale mène tantôt à la loi de Poisson, tantôt à la loi continue de Gauss.
  18. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 340. « […] la notion même du déterminisme, c’est que la loi est sans intention. […]. Rien n’arrive sans cause assurément, nous dit le déterminisme, mais c’est une cause sans intention. » Cette causalité sans intention s’oppose à une causalité psychique fondée sur le primat de l’intentionnalité.
  19. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 340.
  20. Cet imaginaire-là est l’exact contraire de l’imagination avec son pouvoir de création.
  21. B. Pascal, Pensées, texte établi par L. Brunschvicg (1897), Hachette, 1993, fragment Infini-Rien 82 (, chez Lafuma), p. 72-76.
  22. Th. W. Adorno, Minima Moralia , Petite Bibliothèque Payot, 2001, p. 64.
  23. Pour plus de détails sur l’union paradoxale et la logique ternaire de Pascal en lien avec la probabilité, voir D. Deprins, « D’une cause qui ferait acte d’incertitude » (titre provisoire), in Parier sur l’incertitude, op. cit/span>.
  24. à propos de la précaution : Vers les sociétés du savoir, op. cit., p. 142.
  25. La plupart des probabilités aujourd’hui sont objectives en ce sens qu’elles concernent un réel désincarné qui a exclu la possibilité même d’un sujet dont la parole s’incarne par le détour dans le symbolique. Même la plus subjective des probabilités, « la moins mauvaise des solutions » – la probabilité bayesienne –, contournant le problème de l’induction de la conformité du futur au passé, contourne en même temps la question du sujet ; si elle s’intéresse à la rationalité de l’apprentissage par expérience par le biais des probabilités conditionnelles, elle ignore la rationalité paradoxale du sujet lui-même.
  26. F. Pessoa, Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares, édition intégrale, traduit du portugais par Françoise Laye, Christian Bourgeois éditeur, 1999, fragment 107, p. 136.
  27. J. Lacan, L’angoisse, Le séminaire, livre X, leçon du 19 décembre 1962, Seuil, coll. « Champ freudien », p. 92.
  28. Vers les sociétés du savoir, op. cit., p. 142.
  29. L. Thirouin, Le hasard et les règles : le modèle du jeu dans la pensée de Pascal, op. cit., p. 129.
  30. D. Deprins, « Quand la précaution se fait menace souveraine… », op. cit., p. 7.
  31. Il faut noter que la démarche prospective s’oppose à la prévision en ce sens qu’elle vise, non la certitude, mais à se préparer à l’imprévu, renonçant à tout savoir sur l’avenir. Elle rompt ainsi avec le principe d’induction en vertu duquel le futur sera conforme au passé.
  32. D. Deprins, « Probabilité et incertitude », op. cit., p. 26.
  33. J. Clair, « La mélancolie faustienne », in J. Clair (dir.), Mélancolie : génie et folie en Occident, Gallimard, 2005, p. 461.
  34. D. Deprins, « Quand la précaution se fait menace souveraine… », op. cit., p. 6.
  35. L. Wittgenstein, De la certitude, traduit de l’allemand et présenté par D. Moyal-Sharrock, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 2006, p. 55, note 150.
  36. P. Ricœur, « Le concept de responsabilité : essai d’analyse sémantique », Esprit, n° 11, 1994, p. 41.
  37. « Les yeux grands fermés », traduction littérale du titre du dernier film de Stanley Kubrick.
  38. J. Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes, Gallimard, 1995, p. 77.
  39. J. Lacan, Séminaire II, op. cit., p. 342.
  40. F. Pessoa, Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares, op. cit., p. 424.
  41. L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, coll. « Blanche », 1952.
  42. J. Furtos, « La paranoïa sociale ordinaire et excessive », Rhizome, n° 39, « Contribution à la notion de paranoïa sociale », 2010, p. 2. Disponible en ligne : www.orspere.fr/IMG/pdf/Rhizome_39_bd.pdf
  43. L. Wittgenstein, De la certitude, op. cit., p. 11.
  44. L. Wittgenstein, De la certitude, op. cit., p. 98, note 341.
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