Jean-Yves LE GALL

est président-directeur général d'Arianespace.

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Éviter une utilisation abusive

Arianespace est-elle une société particulière ? Oui, répond son président, en raison de son exposition très spécifique aux risques technologiques qui fait qu'elle risque son avenir à chaque lancement. Pour autant, il estime que « l'écueil est d'imaginer des difficultés qui n'existent pas ».

À quels types de risques une société comme Arianespace est-elle le plus exposée ?

Jean-Yves Le Gall. Arianespace est exposée à trois types de risques. Le premier concerne les aspects techniques, dans la mesure où le métier que nous faisons est un métier à très haute teneur technologique, où chaque lancement comporte une part de risque, même si, bien sûr, tout est fait pour que ce soit un succès. Le second est le risque commercial puisque, naturellement, les clients décident du choix de leur société de lancement en fonction de sa fiabilité et que donc, les difficultés techniques peuvent entraîner un désintérêt des clients. Enfin, le troisième risque est un risque financier, nos coûts étant exprimés très largement en euros alors que nos revenus sont très largement en dollars et que nous devons donc couvrir notre risque de change.

Considérez-vous que cette exposition aux risques classe Arianespace dans une catégorie particulière d'entreprises ?

Arianespace est en effet une entreprise très particulière. Autant le risque commercial et le risque financier sont des risques que nous partageons avec nombre d'autres entreprises, autant le risque technique est une caractéristique de notre société. Il y a peu d'entreprises qui, tous les deux mois, ont leur avenir qui dépend d'un lancement, c'est-à-dire pendant une demi-heure d'une succession d'événements techniques particulièrement risqués.

Vous avez déclaré récemment que « 30 ans de succès [voulaient dire également] 30 ans de précaution ». Est-ce que cela signifie que vous appliquez de façon continue le principe de précaution ?

Absolument et c'est, d'une certaine façon, cette démarche qui est à l'origine de notre succès. Lors de la préparation de chaque lancement, si nous avons le moindre doute sur un sous-système ou sur un composant du lanceur, d'une part, nous le remplaçons et, d'autre part, nous analysons et nous comprenons pourquoi il y a eu cette difficulté. In fine, nous ne lançons qu'à partir du moment où nous sommes certains du bon comportement de tous les éléments constitutifs du lanceur. 

Quelle différence faites-vous dans la pratique quotidienne de votre société entre prévention et précaution ?

Une différence fondamentale. La prévention, c'est tout ce qui a trait à la politique qualité. Nous sensibilisons nos fournisseurs et nous formons nos équipes pour que le lanceur soit fabriqué et mis en œuvre conformément à sa définition. La précaution, c'est, lorsque nous avons une alerte, la démarche qui consiste à remplacer l'élément incriminé, à comprendre pourquoi il y a eu cette alerte et à partir en vol avec un lanceur totalement conforme à sa définition.

Partagez-vous l'avis du ministre de l'Écologie, Jean-Louis Borloo, selon lequel le principe de précaution est un « bon concept », mais qu'il est abusivement utilisé dans le langage courant et médiatique ?

Dans une société comme la nôtre, le principe de précaution, c'est, chaque fois qu'il y a une difficulté avérée, sa prise en compte et sa correction. A contrario, l'écueil est d'imaginer des difficultés qui n'existent pas, parce que dans notre métier, si nous n'étions pas totalement rationnels, je peux vous dire que bien peu de lanceurs décolleraient : il y aurait en effet toujours une bonne raison pour ne pas lancer. En d'autres termes, le meilleur moyen de ne jamais avoir d'échec, c'est de ne jamais lancer. Je pense donc, comme l'a dit le ministre, que le principe de précaution est un bon concept, mais qu'il faut faire attention à ne pas l'utiliser de façon abusive. 

Tel qu'il est inscrit dans la Constitution française, le principe de précaution concerne l'environnement. Cette approche vous semble-t-elle suffisante ou non ?

La préservation de notre environnement est évidemment un enjeu absolument majeur et il est clair que tout doit être fait en ce sens. C'est sans doute pour cette raison que cette préoccupation est inscrite dans la Constitution française. En ce qui nous concerne, les questions liées à l'environnement structurent bien sûr nos activités industrielles. Maintenant, quant à savoir si le principe de précaution doit être aussi inscrit dans la Constitution pour les activités industrielles, je ne suis pas constitutionnaliste. Je pense seulement que la Constitution traite d'enjeux qui concernent la société, ce qui est le cas de l'environnement. Je ne suis pas certain que pour les affaires industrielles, ce soit la même chose.

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