Denis FERRAND

Directeur général de Rexecode.

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Les bons principes des plans de relance

Il y a autant de plans de relance « efficaces » qu'il y a de diversité dans les situations macroéconomiques. C'est donc avant tout en s'ajustant bien aux spécificités du pays concerné qu'un tel plan peut répondre à la gravité de sa situation. Le plan français répond partiellement aux enjeux de moyen terme de l'économie française...

L'intervention publique dans la sphère économique est en règle générale justifiée lorsqu'il y a une défaillance de marché, des effets externes non pris en compte par les marchés ou des risques graves d'irréversibilité. L'amplification de la crise au cours des derniers mois a renforcé ces derniers, conduisant à la mise en oeuvre de plans de soutien orientés en premier lieu vers des mesures d'urgence. À moyen terme, l'efficacité de telles interventions est dépendante des spécificités macro-économiques de chaque pays.

L'économie allemande est confrontée à la faiblesse de sa demande interne. L'économie espagnole est en butte à un retournement violent du marché immobilier et de l'activité de la construction. Le Royaume-Uni subit également l'impact du dégonflement de la bulle immobilière sur fond d'excès d'endettement. L'économie française pâtit pour sa part d'un handicap de compétitivité persistant depuis dix ans. C'est à l'aune de leur aptitude à répondre aux caractéristiques spécifiques de chaque économie que doivent être appréciés ex-ante les impacts des plans de relance de l'économie et des plans de soutien du secteur bancaire.

D'abord, faire fonctionner le canal du financement

Les impasses auxquelles ces derniers essaient d'apporter une issue sont peu ou prou similaires d'une économie à l'autre. Les systèmes bancaires nationaux ont été menacés par un double risque sur la liquidité puis la solvabilité. Les réponses à ces risques ont pu différer dans leurs modalités nationales. Elles visent cependant toutes au même objectif : limiter la transmission de la crise financière à l'économie « réelle » au travers du canal du crédit.

Pour atteindre cet objectif, il convient de combiner plusieurs leviers. Le premier vise à rétablir l'accès des banques à la liquidité et à faciliter leur refinancement à court et moyen termes en accordant, de manière temporaire, des garanties publiques à la dette bancaire ou en créant des canaux de liquidité supplémentaires. Ce levier s'est doublé d'un assouplissement de la politique monétaire à la fois dans une dimension de prix (baisse des taux directeurs) et dans une dimension de quantité (allongement des maturités du refinancement, extension de la gamme des contreparties éligibles, augmentation du potentiel de refinancement attestée par le doublement du bilan de la Banque centrale européenne...).

Le second, adopté parfois en urgence et, plus souvent, de manière préventive, vise à renforcer les fonds propres des banques et à réduire ainsi leur risque d'insolvabilité. Ces plans spécifiques au secteur bancaire ont été complétés par l'extension de facilités de financement aux entreprises, dans l'objectif de limiter les risques de rationnement du crédit.

L'impact de tels plans sur l'évolution de l'activité bancaire et sur le financement de l'activité reste encore difficile à apprécier. D'un côté, plusieurs indicateurs suggèrent que le pic du risque de liquidité est dépassé : l'écart entre le taux interbancaire et le taux directeur de la banque centrale est retombé à zéro après avoir culminé à plus de 150 points de base en zone euro ; le durcissement des conditions d'accès au crédit pour les ménages comme pour les entreprises serait interrompu, selon l'enquête trimestrielle réalisée par la BCE auprès des établissements de crédit ; si la distribution de nouveaux crédits aux ménages se contracte en Europe, un tel phénomène est plus ténu pour ce qui concerne le crédit aux entreprises. À l'inverse, la persistance de dépôts élevés des banques auprès de la BCE souligne que le comportement de rétention de la liquidité par le système bancaire reste de mise. Le volet « solvabilité » des plans de soutien a déjà dû être élargi au Royaume-Uni et l'écheveau des pertes du système bancaire n'est peut-être pas encore circonscrit. Le rétablissement de la situation du système bancaire et de son aptitude à financer l'activité économique reste une condition de l'efficacité des plans de relance budgétaire dans lesquels la plupart des pays se sont désormais engagés par des interventions sur les marchés des biens et services.

L'exemple des plans américains

Entrés les premiers en récession, les États-Unis ont également été les premiers à adopter dès le printemps 2008 un plan de plus de 150 milliards de dollars distribués aux ménages et aux entreprises. Ce plan de soutien a eu un effet immédiat mais éphémère. La croissance a rechuté dès le troisième trimestre et la récession s'est fortement accentuée en fin d'année dernière. Le plan de relance du printemps a eu un effet plus durable sur le creusement du déficit public. Un plan plus massif a depuis été adopté par le Congrès. Il porte sur une enveloppe autrement conséquente (de l'ordre de 780 milliards de dollars d'ici à la fin de l'année fiscale 2010, soit plus de 5 % du PIB américain de 2008). Il combine des réductions d'impôt avec un plan d'investissements en infrastructures et un soutien apporté aux dépenses de protection sociale engagées par les États 1 .

L'Europe suit avec des plans de relance d'une ampleur moindre. L'impulsion qu'ils pourraient exercer sur l'économie en 2009 s'établit dans une fourchette allant de 0,8 (dans le cas de l'Allemagne) à 0,1 point de PIB au mieux dans le cas de l'Italie. Ces ordres de grandeur restent très inférieurs à l'ampleur de la récession prévue pour 2009 dans l'économie européenne, une contraction du niveau du PIB de plus de 1,5 % en moyenne annuelle étant désormais attendue.

L'exemple du premier plan américain, aux résultats aussi immédiats qu'éphémères, invite à s'interroger sur les fondements économiques de l'intervention publique pour relancer l'économie.

Les fondements économiques de la relance

Les mesures adoptées se doivent d'être massives pour avoir un effet significatif et rapide sur l'économie. Elles doivent être temporaires pour éviter une dégradation structurelle des finances publiques et coordonnées pour réduire les fuites sous forme de surcroît d'importations en provenance de pays ne relançant pas leur économie.

Surtout, elles combinent des réponses à différents niveaux. Le premier est celui de l'urgence face aux risques d'irréversibilité. Ceux-ci existent précisément lors de fortes fluctuations conjoncturelles. Certaines entreprises viables à moyen terme, notamment dans l'industrie, et plus particulièrement dans la sous-traitance, peuvent disparaître, le coût de reconstitution des compétences et des moyens de production rendant ensuite leur réapparition très improbable. Un transfert de ressources (éventuellement temporaire) vers ces entreprises est alors justifié. Le même raisonnement peut s'appliquer pour limiter les risques d'irréversibilités sociales lorsque des personnes en grand nombre risquent de « perdre pied » et de se retrouver hors du marché du travail. La question des irréversibilités plaide en faveur d'interventions ciblées sur les risques extrêmes, au travers de mesures de soutien à la trésorerie des entreprises, d'une part, ou de renforcement des politiques de formation et de requalification de la main-d'oeuvre, d'autre part. Une relance générale de la consommation est de ce point de vue peu efficace.

Concilier plusieurs objectifs

Le second niveau concerne la cohérence entre l'objectif de court terme (stabiliser l'économie et enrayer un mécanisme récessif) et l'objectif de moyen terme sous son double aspect de potentiel de croissance et de bien-être de la nation. Dans le cas de l'économie française, deux critères de moyen terme sont à articuler : l'augmentation de la croissance potentielle au moyen d'une restauration de la compétitivité et l'orientation de la croissance vers un modèle durable, une économie moins consommatrice d'énergie et moins émettrice de CO2 . La priorité au rétablissement de la compétitivité se justifie au regard de la dégradation continue de cette dernière au cours des dix dernières années. Les indicateurs de cette perte de compétitivité ne manquent pas : la part des exportations françaises dans les exportations de la zone euro est passée de 17 % à 13,4 % de 1998 à 2008. Cette situation aboutit à une perte de substance industrielle illustrée par la chute, de 17,2 % en 1999 à 13,4 % en 2008, de la part de la valeur ajoutée industrielle créée en France dans celle de la zone euro.

Les deux critères peuvent servir de guide à des mesures de relance. Les interventions efficaces concerneront alors les investissements immédiatement réalisables (effet de relance keynésien), renforçant la capacité d'offre industrielle (effet compétitivité), notamment dans les domaines des énergies renouvelables (effet environnement). En revanche, des dépenses orientées vers la préservation de l'environnement sans l'offre productive correspondante seront de peu d'effet pour la relance. Elles aboutiraient à une dilution des effets de soutien et ne prépareraient pas l'économie à la reprise économique qui ne manquera pas de se produire. C'est bien l'articulation d'une politique de stimulation de la demande vers des produits et solutions répondant aux objectifs environnementaux avec le soutien d'une offre compétitive qui est à même d'apporter les réponses les plus efficaces à moyen terme aux objectifs de bien-être et de croissance potentielle.

Réagir à la récession en cours passe ainsi par le renforcement de manière continue et durable de la compétitivité, en intégrant cette démarche dans un cadre stratégique. La restauration de la compétitivité passe par l'identification et le soutien de projets qui répondront le mieux aux besoins futurs et à la demande mondiale. L'État peut jouer un rôle majeur en facilitant et en accompagnant les transformations nécessaires, en soutenant les activités naissantes et, plus généralement en affichant une vision industrielle.

Quid du plan français ?

L'architecture actuelle du plan de relance français répond à certains des objectifs précédents. Le traitement du risque d'irréversibilité passe par la palette de mesures de renforcement de la trésorerie des entreprises, d'une part, et des moyens dédiés à la politique de l'emploi dans sa dimension d'accompagnement des salariés licenciés économiques, de soutien des actions de formation pour les demandeurs d'emploi et de développement des contrats de professionnalisation, d'autre part. Cette palette passe également par un volet sectoriel orienté vers les activités les plus directement confrontées au retournement brutal de l'activité. Le timing de la traduction en actes des mesures est décisif. De ce point de vue, la relance par un effort d'investissement public, qui constitue le second axe du plan de relance français, se doit de porter sur des projets pouvant être lancés rapidement. Sur cet aspect, les deux tiers environ des dépenses d'investissement de l'État pourraient être mis en oeuvre courant 2009, selon le projet de loi de finances rectificative pour 2009. Il pourrait en être de même pour le surcroît de dépenses des entreprises publiques (d'un montant total de 4 milliards d'euros).

En revanche, l'orientation des mesures de soutien en faveur du renforcement de la compétitivité à court et moyen termes paraît plus réduite. La mesure de baisse du coût du travail figurant dans le plan de relance porte sur les seules embauches d'un salarié supplémentaire dans les entreprises de moins de dix salariés, qui seront exonérées de l'intégralité des charges patronales. Les mesures de soutien à la formation d'une offre compétitive dans le domaine environnemental comprises dans le plan de relance restent également réduites. Elles portent principalement sur le soutien à la recherche et développement (à hauteur de 400 millions d'euros de financement public) dans le domaine des véhiculés décarbonés.

La mesure la plus significative en termes de renforcement de la compétitivité des entreprises installées sur le territoire reste l'annonce de la suppression de la taxe professionnelle frappant les équipements. Outre que cette mesure (qui s'ajoute à l'exonération de taxe professionnelle sur les investissements réalisés fin 2008 et courant 2009) n'aura pas d'incidence fiscale avant 2010, au mieux, sur les résultats des entreprises, l'inconnue demeure sur le dispositif qui viendra remplacer la recette manquante pour les finances des collectivités locales. Toute nouvelle imposition qui se substituerait à la taxe professionnelle en pesant sur la compétitivité des entreprises viendrait atténuer les avantages attendus d'une telle mesure. Mais, au-delà de mesures fiscales, c'est également dans l'orientation de l'épargne vers un financement plus direct de l'innovation et de la recherche et développement que réside un des leviers-clés pour l'émergence d'une offre plus compétitive à même de répondre aux besoins sociaux de demain.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-3/les-bons-principes-des-plans-de-relance.html?item_id=2929
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