Jacques DELPLA

est membre du Conseil d'analyse économique.

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Mieux réguler les régulateurs

Comment et qui doit réguler les banques ? Et les régulateurs ? De nouveaux modes de régulation par les régulateurs sont possibles et les marchés eux-mêmes peuvent contribuer à la régulation des régulateurs.

La crise financière actuelle signe évidemment une faillite complète des banques. Mais c'est aussi une faillite de la régulation et des régulateurs bancaires. Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, déclare : « Cette crise a été rendue possible par une mauvaise et parfois perverse régulation bancaire »1. Les régulateurs n'ont pas vu (ou n'ont pas voulu voir ?) les risques excessifs pris par les banques. Ainsi, ils n'ont pas vu que les grandes banques avaient créé des véhicules hors de leurs bilans qui faisaient de la transformation bancaire très risquée en dehors de toute régulation bancaire. Si les banquiers ont joué avec le feu, les régulateurs bancaires n'ont ni vu, ni maîtrisé, ni contrôlé, ni régulé les risques de liquidité de l'ensemble du système bancaire, ou les risques de solvabilité de certaines banques, alors que rien n'était caché. Pourquoi un tel échec ?

D'abord, un capital humain trop faible : souvent les personnels des régulateurs publics sont moins bons techniquement que les spécialistes de haut vol des banques, la différence de salaire expliquant cela. Recruter ailleurs et mieux, payer mieux de nouveaux régulateurs de haut niveau est une priorité.

Ensuite, la capture du régulateur par les régulés. C'est un grand classique : les régulateurs publics, à force de fréquenter et de parler avec les entreprises qu'ils supervisent, tendent à épouser leur point de vue, à accepter leurs arguments et, in fine, à protéger leurs intérêts. Un exemple merveilleux est Bâle 2, le nouveau système international de régulation des banques entré en vigueur depuis 2007 : le régulateur utilise désormais les modèles de risques des banques pour contrôler lui-même le risque de ces banques. Bref, le régulé prête au régulateur l'instrument de mesure de la régulation ; la capture est ici totale !

De meilleurs régulateurs des banques

Première étape : on ne produit pas une nouvelle régulation avec les régulateurs (ou du moins leurs chefs) qui ont largement failli. En France, personne ne s'est interrogé sur les responsabilités du Gouverneur de la Banque de France (chef suprême du contrôle bancaire) ou du Secrétariat général de la Commission bancaire dans le fiasco bancaire actuel 2. Ceci d'ailleurs pose la question de la responsabilité des banques centrales quand elles sont régulateurs bancaires (comme en France). Au titre de leur indépendance indispensable à la lutte contre l'inflation (et rendue obligatoire par le traité de Maastricht) elles sont protégées de toute sanction extérieure. Est-ce bien normal pour leur rôle de régulateur ?

Deuxième étape : réformer les règles prudentielles actuelles. Je ne veux pas entrer ici dans les détails techniques 3, mais il faudra à l'avenir éviter des effets de levier aussi élevés que ceux atteints à l'orée de la crise. Les règles devront aussi être moins pro-cycliques (i.e. plus restrictives en période de croissance et moins en période de ralentissement) et il faudra qu'elles se penchent sur la liquidité bancaire 4. Enfin, la régulation bancaire jusqu'ici s'assurait de la stabilité de chacune des banques mais ne mesurait pas les risques systémiques de l'ensemble des banques ; il faudra y remédier avec des mesures du risque agrégé.

Troisième étape : forger un régulateur européen digne de ce nom. C'est nécessaire à plusieurs titres. Premièrement pour éviter le risque de capture : il est beaucoup plus difficile pour une banque commerciale nationale de capturer un régulateur continental, avec des salariés de tous les pays, car elle ne peut pas exploiter la fibre patriotique des régulateurs nationaux. Deuxièmement, un tel régulateur européen pourrait aisément recruter les meilleures compétences et les payer correctement, ce que n'ont pas réussi à faire les régulateurs nationaux. Troisièmement, un tel régulateur européen pourra aisément mesurer le risque systémique de l'ensemble des banques européennes, ce qui est quasi impossible aujourd'hui avec une myriade de régulateurs nationaux 5. Enfin, un régulateur continental pourra aisément éviter la concurrence entre régulateurs : avant la crise, une banque qui voulait lancer un nouveau produit financier faisait jouer la concurrence entre régulateurs nationaux pour obtenir le standard le plus laxiste possible.

Un tel régulateur bancaire européen devrait couvrir l'ensemble des pays de l'Union européenne volontaires pour un tel exercice, en espérant couvrir au moins la zone euro et probablement les nouveaux pays membres de l'UE. Il est en revanche fort probable que la Grande-Bretagne voudra garder une régulation autonome, afin de maintenir la City comme une aire de plus faible régulation, mais nous n'y pouvons rien.

Un tel régulateur devra être logé à l'intérieur (ou très près) de la Banque centrale européenne pour avoir accès à sa liquidité en cas de crise de liquidité 6. Un tel régulateur devra aussi avoir accès à une capacité budgétaire, pour renflouer des banques en risque de solvabilité (comme l'a fait la FED pour Bear Stern ou AIG). À cet effet, le régulateur européen devrait avoir des accords de prêts avec la Banque européenne d'investissement, seule institution communautaire à disposer d'une capacité de prêt substantielle.

Évidemment, cette idée d'un régulateur bancaire européen sera rejetée par les banques centrales nationales qui y verront la perte de l'une de leurs dernières raisons d'être...

Le rôle des incitations de marché

La meilleure régulation possible ne sera probablement pas suffisante pour éviter de nouveaux excès des banques, car si celles-ci trouveront toujours moyen de contourner légalement les règles. Il faut aussi faire en sorte que les banquiers et leurs actionnaires aient intérêt à la prudence et à la meilleure gestion des risques.

Première piste, les bonus.

Ce qui est inefficace n'est pas l'ampleur des rémunérations 7, mais leur inadéquation avec les risques pris. Le scandale est que de nombreux intermédiaires financiers (traders, banquiers...) ont empoché de substantiels bonus tout en laissant les risques (mal évalués ou cachés) soit dans leur institution, soit dans des produits revendus sur le marché. La bonne solution est d'aligner les incitations des financiers et banquiers sur les risques qu'ils font prendre : leurs bonus devraient demeurer au sein de la banque suffisamment longtemps pour absorber les pertes éventuelles des produits qu'ils ont émis. Les bonus ne seraient déboursés qu'après cette période (ou de manière pratique après 5 ou 7 ans) 8. Cette mesure aurait un impact immédiat sur la prise de risque des financiers : ils seraient beaucoup plus prudents.

Deuxième piste, les dividendes.

Certaines institutions financières, telles AIG et Lehman quelques semaines avant leur chute, ont servi de larges dividendes à leurs actionnaires, pour ne laisser à la collectivité que les seules pertes. En période de boom du crédit, il est tentant pour les dirigeants de banques de verser à leurs actionnaires (et à eux-mêmes via les actions qu'ils détiennent) de forts dividendes, tout en sachant que l'État sera bien obligé de venir à la rescousse en cas de crise. Il faut ici procéder de manière analogue aux bonus 9 : forcer les institutions financières régulées à garder l'essentiel de leurs profits dans leurs soutes 10 de nombreuses années (5 à 15 ans, voire plus selon les risques pris). Ainsi, lorsque la banque tombera en crise de liquidité ou de solvabilité (comme Dexia et Natixis en France), ce coussin de dividendes passés absorbera les pertes. Pour exemple, Merril Lynch a depuis le début de la crise perdu à peu près autant d'argent qu'elle en a gagné depuis 20 ans. Cette réforme ne devrait pas significativement affecter le cours de Bourse des banques car nous savons depuis le célèbre théorème de Modigliani-Miller (1961) que le calendrier de distribution des dividendes n'affecte pas la valeur boursière d'une firme (en effet un actionnaire qui a besoin de liquidités peut toujours vendre quelques actions).

Troisième piste : les marchés financiers comme régulateurs.

Les banques seraient obligées par la régle-mentation d'émettre, chaque année, de la dette super-subordonnée, dite contingente, dont la valeur tomberait à zéro en cas d'illiquidité d'une banque 11. Le bénéfice serait double. D'une part, en cas de crise de liquidité, cette dette contingente absorbera le choc et fournira de la liquidité alors gratuite 12 à la banque. D'autre part, en temps normal, la banque devra convaincre 13 les marchés financiers qu'elle n'aura pas de problème de liquidité ; les marchés (via des régulateurs privés payés par les investisseurs) feront le travail des régulateurs bancaires. Ici, plus de problème de capture ou d'incompé-tence des régulateurs publics, ces investisseurs seront féroces dans la surveillance des banques dans lesquelles ils investiront. Et ils feront concurrence au régulateur continental que j'ai appelé de mes voeux ci-avant.

Avant de nous lancer dans de chimériques réformes de l'architecture financière mondiale, commençons le travail chez nous, avec de nouveaux régulateurs, mieux formés, plus compétents et moins capturés. L'utilisation des incitations et des contrepoids de marché permettra de mettre du bon sens dans la prise de risque et de la concurrence dans sa régulation.

  1. Olivier Blanchard, The Crisis: Basic Mechanisms, and Appropriate Policies, Munich Lecture CES-IFO, novembre 2008.
  2. Car si la déroute est moindre qu'aux États-Unis, certaines banques françaises ont eu des pratiques discutables en termes de stabilité financière.
  3. Une vision courte et exhaustive de ce chantier se trouve dans le très bon article de Thomas Philippon, de New York, An Overview of the Proposals to Fix the Financial System, 15 février 2009, disponible sur www.voxeu.org.
  4. Nous avvons appris avec sutpeur lors de cette crise que Bâle 2 n'avait pas pour objectif la liquidité des banques mais leur solvabilité, alors que la crise de liquidité est bien le premier risque ! www.voxeu.org
  5. Quitte à laisser aux régulateurs nationaux la charge de superviser les petites banques nationales.
  6. La crise actuelle a fait voler en éclat l'idée de régulateur bancaire indépendant de la banque centrale, comme la FSA britannique actuelle.
  7. Si le gouvernement les trouve trop élevées, la bonne solution est une augmentation de l'impôt sur le revenu et non une interdiction des hauts revenus.
  8. Tout financier pourrait cependant garder bénéfice de son bonus réservé même s'il change d'employeur, afin de ne pas rigidifier le marché du travail.
  9. Pour les bonus et les dividences, s'il n'y avait pas d'anticipation de renflouement de l'État, cet encadrement serait illégitime et non nécessaire. Mais comme le secteur bancaire est jugé trop systémique pour faire faillite, un tel déferrement dans le temps devient nécessaire pour pallier l'absence de faillite dans la banque.
  10. Sous forme d'obligations gouvernementales, ainsi la valeur de ce coussin augmentera en cas de crise, alors que mettre ces réserves dans les capitaux propres de la banque risquerait de réduire à néant la valeur de ce coussin en cas de crise.
  11. Il reste à définir juridiquement un événement dit de « crise de liquidité ».
  12. Ou plutôt dont le prix aurait déjà été payé.
  13. En payant probablement des taux d'intérêt élevés sur cette dette contingente.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-3/mieux-reguler-les-regulateurs.html?item_id=2937
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