est professeur chargé de mission "International" à l’ECP, responsable du transfert à l’EC de Pékin du projet pédagogique des écoles centrales.
Une école francophone d'ingénieurs en Chine
Le 5 septembre 2005, les 108
élèves de la première promotion de l'école centrale de Pékin ont
commencé leur formation à l'université Beihang. Cette école francophone
d'ingénieurs généralistes, clone d'une école centrale française, a été
créée en seize mois à la demande du ministère chinois de l'éducation,
avec l'aide des ministères français de l'éducation nationale et des
Affaires étrangères, du comité d'honneur de l'Année de la France en
Chine et de la Fondation Nicole Bru.
La première question qui vient à l'esprit, « Comment avez-vous pu imposer le français ? », appelle une réponse très simple : c'est à la demande des Chinois. Les raisons qui ont conduit à cette demande et permis ce délai très bref sont beaucoup plus complexes...
Au début des années 90, l'école centrale de Lyon a donné la possibilité à ses élèves d'apprendre le chinois et de se rendre en Chine pour des stages. Par la suite, en 1996, a été signé l'accord « 4 plus 4 » qui lie les Écoles centrales1 à quatre universités chinoises : l'université Tsinghua de Pékin et les trois universités Jiaotong de Chengdu, Shangaï et Xian. Les étudiants cosélectionnés par les deux partenaires passent deux ans dans l'institution étrangère et obtiennent à la fin de leurs études le diplôme d'ingénieur d'une École centrale et un master de l'université chinoise. Un accord semblable, avec le soutien de la Snecma, lie également l'université Beihang et l'École centrale de Lyon.
D'abord, la coopération
Cette coopération concerne chaque année environ cinquante étudiants chinois et vingt étudiants français. C'est en grande partie son succès, ainsi que la satisfaction et la réussite des étudiants chinois, qui ont conduit le gouvernement chinois à demander début 2004 aux Écoles centrale de mettre en place à Pékin une École française. En effet, d'après le ministère de l'éducation chinois, la formation des grandes écoles françaises est, avec la formation allemande, une des deux seules vraies formations d'ingénieurs au monde.
Les discussions avec notre partenaire,
l'université Beihang (Université aéronautique et astronautique de Pékin) ont débuté en avril 2004 et se sont concrétisées par un accord préliminaire en novembre, puis par un contrat de partenariat signé en avril 2005.
Lors de la signature du contrat de partenariat, le 12 avril 2005, l'ambassadeur
de France, Philippe Guelluy, a présenté le projet comme étant « sans doute le projet le plus important entrepris pendant
l'année de la France en Chine ». L'École centrale de Pékin a été officiellement
inaugurée le 16 septembre 2005.
Le projet
L'École, qui fait partie de l'université Beihang, sera autonome en matière de programme pédagogique et de recrutement des professeurs. Elle remplira tous les critères définis pour une École centrale : une formation généraliste tournée vers l'international, entretenant des relations étroites avec la recherche et le monde industriel. Les élèves recevront, à la fin de leur cursus, un diplôme d'Ingénieur de l'École centrale de Pékin, accrédité par la Commission des titres d'ingénieur, et un master de l'université Beihang. Ils pourront réaliser une partie de leur cursus dans une autre École centrale, dans les mêmes conditions que les élèves de France, qui auront également la possibilité de terminer leurs études à l'École centrale de Pékin.
Nos formations d'ingénieur reposent sur deux caractéristiques :
- Le cycle préparatoire, qui vise à l'acquisition d'une assise solide en sciences de base et au développement des qualités d'abstraction, de la rigueur scientifique, de l'agilité intellectuelle et de la puissance de travail.
- La formation généraliste, qui combine l'acquisition des connaissances scientifiques et techniques, l'initiation à la recherche et le développement des aptitudes et des comportements nécessaires à la prise en compte de tous les aspects, y compris économiques, sociaux et humains, des problèmes de plus en plus complexes auxquels sont confrontées les entreprises.
L'École comprendra donc un cycle de classes préparatoires de trois ans (dont une première année de formation linguistique intensive) et un cycle de formation d'ingénieurs (deux années de tronc commun généraliste suivies d'une année d'option spécialisée) calqué sur le projet éducatif des Écoles centrales.
La langue d'enseignement passera progressivement du chinois au français, l'enseignement théorique étant assuré par des professeurs chinois, en majorité francophones, avec, au démarrage, une formation des enseignants, en Chine ou en France, par des professeurs français. L'enseignement des sciences de l'ingénieur sera réalisé pour l'essentiel, comme dans les autres Écoles centrales, par des ingénieurs issus de l'industrie, français ou chinois, formés en France.
Les promotions seront au départ de l'ordre de 100 à 150 élèves et pourront, dans une seconde étape, atteindre 300 élèves, recrutés parmi les élèves sélectionnés sur concours, au niveau du baccalauréat (« Gaokao »), pour être admis à l'université Beihang.
Suivant les termes de l'accord, les Écoles centrales ont la responsabilité du transfert en Chine de leur projet éducatif, de la formation des enseignants chinois à leurs méthodes pédagogiques, ainsi que de l'envoi d'enseignants et de professionnels d'entreprise en mission temporaire. Elles ont également à veiller à la conformité des enseignements aux standards des autres Écoles centrales, puis au niveau atteint par les étudiants.
L'université Beihang met à la disposition de l'École son expertise scientifique, ses enseignants, ainsi que les moyens matériels et logistiques nécessaires pour assurer un bon fonctionnement.
Les points de vue
des partenaires
Pour la partie chinoise, la convergence des opinions exprimées est totale. Les principaux points avancés sont les suivants :
- le projet apporte à la Chine une nouvelle pédagogie et une formation d'ingénieur généraliste plus large, en particulier en management, qui correspond aux besoins du pays.
- La Chine a besoin d'élites de grande qualité, d'étudiants possédant des bases solides dans tous les domaines, qui puissent ensuite devenir des dirigeants d'entreprise. C'est l'objectif de formation d'une École centrale.
- Le projet ne se contente pas de plaquer, comme souvent, une formation appliquée, en général anglophone, en aval de la formation théorique chinoise, mais il cherche à mettre en place une formation biculturelle de qualité, appuyée sur des bases scientifiques solides, accompagnée d'un transfert de compétences pédagogiques, qui peut, en servant de modèle, contribuer à l'amélioration de l'enseignement supérieur chinois.
- La coopération entre les institutions partenaires est exemplaire : elles ont su mettre en commun le meilleur de l'enseignement supérieur des deux pays, et établir une relation de confiance.
Le point de vue français présente également différents éléments :
- Le projet contribue à la visibilité et au rayonnement du système français d'éducation en Chine, et il constitue une reconnaissance internationale de notre modèle de formation des ingénieurs.
- C'est l'un des premiers, sinon le premier projet international français construit sur ce modèle et avec ces ambitions.
- Son objectif premier est la mise à disposition des entreprises chinoises et françaises opérant en Chine d'ingénieurs parfaitement biculturels, capables de vivifier les relations économiques entre les deux pays.
- Les industriels français ont des opportunités exceptionnelles, lors de leurs interventions, de contacts avec le monde industriel chinois et ses futurs cadres.
Le rôle de la langue française
Une langue peut avoir une fonction d'outil de communication et de travail : c'est aujourd'hui le cas de l'anglais, enseigné à l'École centrale de Pékin, qui sera un établissement trilingue et biculturel.
Le français peut également avoir ce rôle. Mais il peut, et c'est l'ambition des deux partenaires, être l'expression d'une culture et contribuer à son émergence. La formation des ingénieurs français n'est pas seulement scientifique et technique. Elle comporte une introduction à l'humanisme, à la philosophie des sciences, elle a aussi dans ses objectifs l'apprentissage de comportements, la compréhension des relations humaines, l'ouverture aux autres, la reconnaissance des différences, le développement d'une éthique. Elle est l'acquisition d'une culture à laquelle la langue française apporte une contribution essentielle. Il est clair aussi que les six années d'études francophones des élèves seront l'occasion de leur faire connaître et apprécier d'autres volets de la culture française.
Toute l'expérience de formation internationale des Écoles centrales montre que les doubles diplômés biculturels n'ont ensuite aucune difficulté à s'insérer avec succès dans une troisième culture. C'est donc toute la culture européenne que les élèves pourront aborder par la suite.
Les conditions
d'une reproductibilité
Le ministère chinois de l'éducation n'entend pas se limiter à cette seule expérience. Il a déjà demandé aux Écoles centrales, pour accélérer la diffusion du modèle, d'envisager la création d'écoles semblables avec leurs autres partenaires.
D'autres institutions françaises pourraient également envisager de se lancer dans une entreprise du même type.
La première condition, indispensable, est celle d'une confiance mutuelle entre les partenaires, qui ne peut naître qu'à travers l'expérience préalable de relations réussies. Le temps nécessaire est sans doute variable suivant les pays visés, et d'autant plus long que les différences culturelles sont grandes. Dans le cas de l'École centrale de Pékin, le délai a été d'une dizaine d'années, et l'opération a été facilitée par le fait que l'ancien conseiller culturel de l'ambassade de Chine à Paris, aujourd'hui directeur des relations internationales au ministère chinois de l'éducation, avait été séduit par le modèle des grandes écoles d'ingénieurs.
La deuxième condition est que l'échange soit ressenti par tous comme gagnant–gagnant. Tous les interlocuteurs ont longuement insisté sur cette notion, et ont fait une très nette différence entre l'établissement d'un « comptoir » proposant une formation payante, et le transfert d'un modèle de formation en réel partenariat.
La troisième condition, enfin, est que les partenaires soient d'accord pour un investissement intellectuel et financier équitable, mais lourd et de longue durée.
La mesure du succès n'interviendra qu'en 2011, quand la première promotion apparaîtra sur le marché du travail. Cependant, deux signes forts sont encourageants :
- l'université Beihang avait mis l'École centrale de Pékin en avant dans sa dernière campagne de recrutement, et les résultats dépassent toutes les espérances.
- Le premier accueil des entreprises françaises, dans l'aéronautique, l'automobile, la banque, le nucléaire, le pétrole, les travaux publics... est très positif et prometteur pour le soutien ultérieur qui nous sera indispensable.
Si nous voyons dans la Chine, non pas un concurrent mais un partenaire offrant d'immenses opportunités de coopération, la formation d'ingénieurs biculturels sera un formidable levier pour développer, pour le plus grand bien de tous, les relations.
- Groupe des écoles centrales : Lille, Lyon, Nantes et Paris, bientôt Marseille (aujourd'hui EGIM, école généraliste d'ingénieurs de Marseille).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-10/une-ecole-francophone-d-ingenieurs-en-chine.html?item_id=2672
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