Jean-Claude BEACCO

est professeur de linguistique et de didactique des langues à la Sorbonne nouvelle (Paris 3) et conseiller de programme pour le Conseil de l'Europe.

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Favoriser l'éducation plurilingue

Pour promouvoir le français comme langue étrangère, une solution efficace semble de s'accorder avec d'autres États sur le principe d'une éducation plurilingue permettant des configurations multiples des enseignements.

On peut se prendre, mais un peu tard, à regretter le repli de l'enseignement du français comme langue étrangère. Il serait cependant bienvenu de ne pas oublier que ce recul, si recul il y a, ne correspond en fait qu'à la perte de positions très privilégiées, qui n'ont pas été acquises uniquement par le prestige de la langue française.

En fait, bien peu de langues jouissent du statut international du français. Dans ces conditions, comment argumenter pour une diffusion de l'enseignement du français auprès des responsables éducatifs étrangers, puisqu'il bénéficie encore d'une position enviable ? Les argumentations relatives à l'utilité professionnelle ou académique de notre langue sont toujours pertinentes, mais elles n'ont de véritable efficacité que dans certains secteurs comme l'enseignement professionnel ou universitaire. Celles se fondant sur l'excellence des productions culturelles francophones tendent à se restreindre à la culture cultivée. Quoi qu'il en soit, plaider pour le français ne semble pouvoir se faire qu'en concurrence avec d'autres langues, qui ont tout autant vocation à être enseignées, parce que ce sont les langues de pays voisins, de partenaires économiques, de grandes langues de culture ou de communication...

La carte de la réciprocité ?

Une solution, au moins partielle, pourrait être celle de la réciprocité, à savoir un traitement comparable réservé au français dans un système éducatif étranger et à la langue de cet État dans l'Éducation nationale. Ce principe traditionnel des relations diplomatiques ne joue en faveur du français que dans les états anglophones ou hispanophones, langues apprises respectivement par 90 % des élèves au collège (en langue vivante 1) et par 70 % de ces mêmes élèves (en langue vivante 2). Difficile, cependant, d'argumenter en faveur du maintien ou du développement d'enseignements de français en Italie, par exemple, alors que seulement 1,32 % des élèves français étudiaient cette langue en 2002. Certains État dont la langue n'a pas eu de destin international sont assez sages pour se satisfaire d'une réciprocité symbolique : par exemple, un statut de langue éligible au baccalauréat, même si elle n'est pas enseignée (le khmer, par exemple)... Mais, même une diversification effective des enseignements des langues en France ne serait pas en mesure de justifier une demande de réciprocité avec le reste du monde, car le nombre d'heures d'enseignement disponible par semaine n'est pas extensible. La diffusion du français passe donc par la diversification des enseignements de langues, en France comme ailleurs, mais on voit bien que celle-ci présente des limites physiques.

Diversifier les enseignements

Cette « diversification » des enseignements proposés a été précisée par la notion de plurilinguisme défini, en première approximation, comme la valorisation du patrimoine et de la diversité linguistique. Ce principe d'action est devenu celui d'instances internationales comme l'Unesco ou l'Organisation intergouvernementale de la francophonie (OIF). Mais comment une institution « uniquement » française peut-elle prendre fait et cause pour le plurilinguisme sans être soupçonnée de ne chercher qu'à faire avancer ses propres pions ?

Pour donner son sens plein à plurilinguisme, il faut l'appréhender comme une compétence humaine et non comme la présence diversifiée des langues à l'école. La compétence plurilingue n'est alors qu'une autre dénomination de la capacité de langage elle-même, inscrite dans notre patrimoine génétique : cette capacité, qui s'investit pour la première fois dans la langue dite maternelle, est susceptible d'être activée à nouveau pour d'autres langues, quel qu'en soit le mode d'appropriation (scolaire, autonome...). La compétence plurilingue est donc la capacité, effective ou demeurant à l'état de potentialité (si elle n'est pas activée), d'acquérir et d'utiliser des langues, à quelque niveau de maîtrise et pour quelque usage que ce soit. Cette compétence se traduit par la maîtrise, variable d'une langue à l'autre, et évolutive toute la vie durant, de langues de tous statuts (langue nationale, officielle, régionale, dialecte, parler propre à une génération...). Cet ensemble de langues dont peut jouer un locuteur, constitue son répertoire linguistique. Un plurilingue n'est donc pas locuteur d'exception, comme le polyglotte, mais un locuteur ordinaire.

Compétence plurilingue et savoir-faire transversaux

Cette compétence plurilingue est constituée de savoir-faire transversaux, qui peuvent être reportés d'une langue sur une autre (par exemple : stratégies pour lire un texte, pour trouver un substitut à un mot manquant...), au nombre desquels figure la capacité à apprendre une langue de manière autonome1, qui en constitue le mode d'acquisition premier. Ainsi, l'on peut, par exemple, communiquer sur le mode de l'intercompréhension, chacun utilisant sa langue et étant compris de l'autre.

Le plurilinguisme, ainsi défini, est une valeur partagée par les États membres du Conseil de l'Europe, qui promeut la mise en œuvre d'une éducation plurilingue. Il ne s'agit donc pas d'une mise au point terminologique mais d'un changement de paradigme qui place au centre non les langues mais ceux qui les utilisent2. Dans ces conditions, la question n'est plus de faire enseigner le français mais de faire entrer du français dans le répertoire linguistique des personnes, quel que soit leur âge et quels que soient les niveaux de maîtrise qu'ils souhaitent atteindre. Pour cela, il faut accepter de considérer que :

  • toute compétence en langue étrangère, si modeste soit-elle, est digne de respect, parce qu'elle est une forme de maîtrise en voie de constitution,
  • les enseignements précoces ou même ceux proposés durant les cycles primaires et secondaires ne sont pas tout, car on peut apprendre des langues ensuite, tout au long de la vie,
  • toute insertion du français dans un système éducatif et hors de celui-ci (formations en entreprise, écoles privées, universités du troisième âge...), si limitée soit-elle, répond cependant à l'objectif d'élargir les répertoires linguistiques,
  • la connaissance d'une langue ne se réduit pas à la parler, il existe d'autres compétences, qui peuvent être enseignées de manière indépendante les unes des autres (par exemple, lire),
  • les enseignements de langue ne doivent plus être refermés sur eux-mêmes mais il importe créer des transversalités (entre langues étrangères, entre langue première et langues étrangères...).

Doù la nécessité d'organiser les enseignements de toutes les langues dans une perspective holistique cohérente, transversalement et selon les parcours d'apprentissage.

Viser l'intercompréhension

On peut estimer qu'il est sans doute plus aisé, pour les parties en présence, de s'accorder sur les formes des enseignements d'une langue nationale comme langue étrangère dans d'autres États. Des instruments techniques destinés à traduire dans les faits cette modularité permise par cette conception plurilingue de la formation en langues ont été mis au point dans l'espace européen3. Ils commencent à être utilisés dans de nombreux États, d'autant qu'ils visent l'intercompréhension entre les personnes et l'éducation interculturelle, indissociable de l'éducation plurilingue, tant il est vrai que prendre conscience de la diversité de son propre répertoire linguistique est une condition, nécessaire bien que non suffisante, pour apprendre à respecter la diversité des langues de l'Autre.

  1. Capacité qui elle-même s’enseigne, dans des dispositifs dits : apprendre à apprendre
  2. Voir par exemple J.M Klinkenberg : La langue et le citoyen, Presses universitaires de France, 2001
  3. Conseil de l'Europe (2003, version provisoire) : Guide pour l'élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, Division des politiques linguistiques, Strasbourg téléchargeable sur : www.coe.int/lang/fr - Division des politiques linguistiques / Activités en matière de politique.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-10/favoriser-l-education-plurilingue.html?item_id=2661
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