Pascal VIGINIER

est directeur exécutif de France Télécom en charge de la R&D.

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Du Web à l'intelligence ambiante

Convergence des technologies et des services vont se combiner pour nous donner accès en permanence et en tout lieu à des informations plus facilement séléctionnées sous des formes très variées...

Les technologies ne se développent pas par hasard. À une époque marquée à la fois par un recentrage sur l’individu et par la volonté de ce même individu de renforcer les liens avec sa « tribu », les évolutions en cours de l’internet apporteront des réponses à des attentes essentielles : disposer d’outils de communication personnalisés, simples à utiliser en tout lieu et à tout instant. Des outils combinant tous les modes de communication appropriés, offrant dans chaque circonstance le meilleur de ce que la technologie peut proposer. Nous entrons dans l’âge de l’intelligence ambiante et de l’ubiquité.

Le haut débit partout

La première cause de cette évolution ne doit pas être oubliée : c’est l’abondance de la bande passante ! La rareté et le coût de la ressource réseau sont les postulats sur lesquels se sont bâties les offres du passé. Demain, les services de base tels que la connectivité internet deviendront des commodités comme l’eau et l’électricité, frisant la gratuité dans le cadre du modèle d’affaires actuel de l’internet.

Les technologies à l’origine de cette véritable révolution sont bien connues : modulation « DSL » (Digital Subscriber Line) qui démultiplie la bande passante des fils du téléphone, liaisons sans fil haut débit comme le WiMax, voire fibre optique, dont le coût se rapproche de celui du cuivre ! Cette montée en débit va de pair avec les progrès incessants des techniques de compression du signal, permettant d’acheminer de plus en plus d’informations pour un même débit.

Toutes ces évolutions vont se poursuivre et s’amplifier. La généralisation du haut débit jusque dans les foyers ruraux et dans les téléphones mobiles (avec la 3G, troisième génération de services mobiles, puis la 4G) va susciter des usages entièrement nouveaux.

De plus en plus, cette fantastique capacité de transmission va être dédiée et supportée par une technique phare nommée IP (Internet Protocol). Permettant à toutes les machines de dialoguer entre elles, IP empiète de plus en plus, par-delà l’internet, sur les autres protocoles de télécommunication, mettant en cause les modèles d’affaires établis. Téléphonie fixe et mobile, voire télévision (par ADSL) sont de plus en plus fréquemment acheminées à l’aide d’IP.

L’internet lui-même va changer de nature. Dix ans après son lancement en 1983, il s’était répandu des laboratoires jusqu’au grand public à la faveur de l’invention du Web, son application phare. Avec cette nouvelle décennie, l’internet est en train de passer à un nouveau paradigme. Le modèle « je surfe sur internet avec mon PC » va représenter une part de plus en plus faible du trafic IP. L’information devient accessible par la voix, le graphisme, etc., pour bénéficier d’une communication enrichie faisant appel à tous les modes d’information (rich media)… voire à tous les sens. France Télécom a joué à cet égard un rôle de précurseur avec ses expérimentations de transmission des odeurs ou encore d’intervention à distance en télémédecine, grâce à la transmission du geste.

Vers une connexion permanente des hommes et des objets

Une autre évolution majeure est à prévoir. L’internet actuel met principalement en relation des utilisateurs connectés de façon temporaire à des serveurs à travers leur PC. Cet état de fait est dû en partie à la pénurie d’adresses occasionnée par la version actuelle du protocole, baptisée IPv4.

Avec « IPv6 », le protocole de l’internet nouvelle génération qui commence à se déployer, les adresses internet deviennent une ressource surabondante et chaque machine pourra disposer d’adresses permanentes où elle restera joignable. Le modèle originel de l’internet, à savoir l’établissement de communications de bout en bout (comme celles du bon vieux téléphone !) se trouvera rétabli, avec ses avantages (être constamment joignable) et ses inconvénients (le risque de déferlement d’appels et de messages non désirés), contre lesquels des solutions commencent d’ailleurs à se faire jour.

Cette évolution va faciliter et accélérer le développement des communications directes de machine à machine (M2M), propres à soulager l’être humain d’une partie de la quantité croissante d’informations qu’il doit traiter tout en améliorant sa sécurité, son efficacité et son bien-être. Ces technologies vont également améliorer les process, les services offerts, bref, la compétitivité des entreprises.

Joignables en permanence, nous le serons aussi en tout lieu. Déjà les cadres nomades peuvent se connecter de l’extérieur à leur intranet. Demain, grâce à IP mobile, ils pourront changer de réseau en se déplaçant sans interrompre la communication en cours. Omniprésents, les terminaux mobiles vont devenir un moyen habituel de se connecter à l’internet et, plus généralement, d’interagir avec notre environnement. Chaque téléphone mobile disposera de son (ses) adresse(s) internet pour recevoir une multitude de services. Et les véhicules bardés de capteurs et de terminaux multimédias vont devenir à leur tour porteurs de réseaux communicants.

Mieux maîtriser et protéger sa sphère intime

Toutes ces évolutions vont tendre à replacer l’individu au centre de sa sphère de communication. Une nouvelle génération de moteurs de recherche facilitera le repérage, non seulement des informations, mais aussi des savoirs, dans cette caverne d’Ali Baba qu’est le Web mondial. L’information fournie sera de plus en plus adaptée au contexte d’utilisation sans qu’il soit nécessaire de préciser ce contexte, grâce notamment aux techniques de géolocalisation et à la multiplication des capteurs. Notre environnement sera équipé d’une intelligence ambiante devançant nos besoins. En même temps, cette invasion des automatismes et des réseaux dans notre vie quotidienne suscitera un besoin décuplé de garanties pour le respect de la vie privée. Les techniques aptes à le garantir vont devenir déterminantes pour l’avenir de l’internet, de tous les services qui l’utiliseront... et de la démocratie.

Une profusion de services

En résumé, les bases technologiques de l’internet sont aujourd’hui fermement établies. Face aux défauts qui lui sont reprochés (qualité de service et sécurité parfois déficientes), les ingénieurs ont d’ores et déjà trouvé des parades efficaces pour peu qu’on y mette le prix. Fort de sa simplicité et de son universalité, riche de la fantastique dynamique industrielle qu’il a engendrée, le protocole IP et ses évolutions seront de plus en plus le support obligé de la communication à distance sous toutes ses formes. Demain, l’ensemble des réseaux de télécommunications, fixes et mobiles, pourra avoir une base IP commune, générant d’appréciables économies d’exploitation.

Cette convergence technologique va donner lieu à toute une gamme de services convergents, multimédias et multimodaux, accessibles à domicile via une « passerelle » capable de raccorder entre eux et à l’internet tous les équipements du foyer, de la webcam au décodeur-enregistreur numérique. En tout lieu, ces mêmes services seront accessibles, sous un format adapté automatiquement, via notre organiseur personnel-téléphone de poche, véritable « commande de vie ». Les vidéos de matchs consultables aussi bien sur le téléviseur familial que sur le mobile ne sont qu’un modeste exemple de cette convergence des services fixes et mobiles, dont l’essor ne sera limité que par l’imagination des ingénieurs, les attentes (ou le pouvoir d’achat) des consommateurs, et bien sûr les considérations éthiques, auxquelles l’ensemble des acteurs doivent se montrer particulièrement attentifs.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-10/du-web-a-l-intelligence-ambiante.html?item_id=2660
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