Sylvain LAFRANCE

est vice-président de la radio française de Radio-Canada.

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Le Canada entre audace et modernité

À l‘exemple de ses médias publics, ce pays a su défendre les positions de la langue française dans un environnement largement hostile.

La présence en Amérique du Nord d'une collectivité de langue française dynamique demeure pour certains un phénomène intrigant. Fraction infime de la population totale du continent, voisine de la plus grande puissance de la planète dont la langue est omniprésente, la société canadienne d'expression française étonne par sa vitalité et sa vigueur dans l'affirmation du français au Canada et dans l'espace francophone en général. Comment expliquer un tel résultat dans un environnement a priori si peu propice ?

Résumé de l'histoire

L'arrivée de la langue française en Amérique remonte à plus de quatre siècles et demi avec la venue, en 1534, de l'explorateur malouin Jacques Cartier, mandaté par le roi François Ier. Ce fut ce même souverain qui, quatre ans plus tard, en 1539, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, imposa le français comme langue officielle des tribunaux et de l'administration du royaume. Force nous est de constater que ce n'est pas d'hier que la langue française est l'objet d'interventions visant à l'imposer ou à la protéger !

En Amérique du Nord, le français a été largement disséminé. Les explorateurs, commerçants, colons et aventuriers ont parcouru un territoire allant de l'Atlantique au Pacifique en passant par le golfe du Mexique et la baie d'Hudson. C'est pourquoi l'on compte encore aujourd'hui plus de cinq mille toponymes d'origine française aux États-Unis seulement.

Au contraire des britanniques, les politiques françaises en Amérique ne furent pas axées sur un peuplement rapide du territoire. Une des conséquences fut qu'après plus de 200 ans de présence française, la « Nouvelle-France » ne comptait que 60 000 habitants contre plus d'un million en « Nouvelle-Angleterre ». Dès 1760, année des derniers combats en Nouvelle-France et de la prise de possession du territoire par l'armée anglaise, commençait la lutte pour la survie de la langue française dans ce qui allait devenir le Canada tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Une vision positive

La conjoncture dans laquelle le français s'est retrouvé après 1760 a, en quelque sorte, forcé la mise en place d'une position d'abord défensive. Au fil des ans, l'évolution sociale, politique, économique et technologique a fait que nous ne parlons plus maintenant de « défense de la langue » mais de développement d'une société et d'une culture dont la langue est le français. Cela change la perspective. Les raisons pour lesquelles il est maintenant possible de raisonner ainsi sont multiples. D'une position de survivance, nous sommes passés à l'affirmation puis au développement.

La langue française au Canada s'exprime aujourd'hui en utilisant tous les véhicules qu'une société moderne emploie spontanément. Le français est présent dans les arts, la culture, les communications, la technologie, l'éducation, bref, tout ce qui constitue l'expression de la société. En raison de la géographie, et de la proximité avec un géant économique et culturel dont l'ambition manifeste est d'étendre son influence partout où il lui sera loisible de le faire, le mot « audace » qualifie bien notre attitude sur le continent nord-américain. La société française d'Amérique a constamment été en situation périlleuse et donc en quelque sorte à l'avant-garde d'un combat pour tailler sa juste place. Ce qu'elle a brillamment réussi à faire jusqu'à présent en dépit des nombreux obstacles rencontrés en cours de route.

Les peuples ou les sociétés démographiquement désavantagés sont condamnés à l'excellence. Cela explique probablement une présence canadienne et québécoise de grande qualité dans des domaines comme la chanson, le cinéma, la littérature, les arts du cirque et de la scène, les médias, les technologies de l'information et nombre d'autres domaines où nous devons subir et contrer l'influence d'un voisin omniprésent.

Un monde technologique et concurrentiel

Les dernières décennies du XXe siècle ont marqué l'entrée en scène massive des technologies et de la globalisation des échanges, fussent-ils commerciaux ou culturels. Le XXIe siècle ne sera pas différent et le mouvement va s'accélérer. Les tentatives pour monopoliser les divers espaces ne vont pas manquer et c'est d'ailleurs déjà commencé. Dans un tel contexte, une communauté ou une société est condamnée à combattre et à continuer d'exceller si elle prétend laisser sa marque. Elle doit impérativement tenir le pari de la modernité.

Nul ne peut ignorer que, depuis la Seconde Guerre mondiale, la culture anglo--saxonne, nommément « américaine », exerce une pression considérable sur l'ensemble de la planète. Le français comme langue de la diplomatie et de la culture, même s'il continue à être officiellement présent, a connu un recul important. Cela place les francophones du Canada en situation particulière.

Paradoxalement, la technologie et la globalisation, qui pourraient être considérées comme une menace, se transforment en une occasion de pousser encore plus avant le développement du français sur la planète.

Les mesures déjà prises pour assurer à la fois la survie et le rayonnement du français, comme la création de la société Radio-Canada dès 1936, de l'Office national du film du Canada, de la loi sur les langues officielles de 1969, le tout couplé aux initiatives du gouvernement du Québec avec, entre autres, l'introduction en 1977 de la Charte de la langue française, ont permis le développement d'une communauté francophone forte sur le plan national.

Le rôle des médias publics

La propriété publique confère aux radios et télévisions publiques un statut privilégié qui leur permet de jouer un rôle essentiel dans la diffusion et la promotion d'une langue et d'une culture. Les sociétés publiques se juxtaposent aux médias privés et entrent en concurrence avec eux dans certains domaines. Elles assument cependant des fonctions que ces derniers ne sauraient exercer dans le cadre de leurs activités commerciales.

L'exemple de Radio-Canada

Il y a quatre ans, la radio de la société Radio-Canada s'est dotée d'un plan d'action comportant trois grands axes. Le premier consiste en une ouverture sur le monde qui nous permet de présenter à notre auditoire une vision des enjeux mondiaux auxquels personne n'échappe, quel que soit l'endroit de la planète où il habite. Cela s'est fait, entre autres, par l'établissement d'un réseau de correspondants exclusifs ou partagés, présents dans plusieurs pays. Le second axe a trait à l'ancrage régional de nos stations établies partout dans le pays et au besoin d'assurer à la fois la présentation des réalités régionales, nationales et internationales aux auditoires et de favoriser la communication entre les citoyens de ces mêmes régions. Troisièmement, nous croyons au développement du talent pour assurer une création forte et diversifiée.

Ces choix stratégiques ont permis une augmentation considérable de l'audimat et des taux de satisfaction de la clientèle.

Un espace francophone mondial

La société Radio-Canada participe activement à des échanges avec d'autres pays de la francophonie, ce qui lui permet à la fois d'offrir à sa clientèle une fenêtre additionnelle sur le monde tout en rendant notre propre culture accessible aux autres, le tout dans un espace francophone de qualité. Ce sont de telles alliances qui permettent de créer des espaces internationaux exceptionnels qui vont au-delà des frontières nationales tout en respectant les particularités de chacun des partenaires.

Fondée sur le partage d'une langue et de valeurs communes, la francophonie réunit aujourd'hui une cinquantaine de pays ayant en commun l'usage du français. La coopération extraordinaire entre ces pays a suscité la création d'un grand nombre d'institutions communes et d'espaces de collaboration dans les domaines de l'enseignement, de la culture, de la recherche et de la communication, pour ne nommer que ceux-là. Premier radiodiffuseur mondial généraliste francophone et deuxième chaîne inter­nationale après MTV et devant CNN et BBC World, TV5 constitue certainement un des exemples les plus probants du succès de ces initiatives communes. Aujourd'hui, plus de 160 millions de foyers peuvent recevoir TV5 dans plus de 203 pays, permettant à la chaîne de rejoindre chaque jour près de 24,5 millions de téléspectateurs.

La radio de Radio-Canada est également un partenaire actif, sur la scène internationale, de l'association des radios francophones publiques, une alliance stratégique qui regroupe les radios publiques de la France, de la Belgique, de la Suisse et, bien sûr, du Canada. Avec un potentiel de près de 75 millions d'auditeurs francophones sur plusieurs continents, ce «quatuor francophone» est devenu le premier producteur d'émissions de radio en langue française. Son rôle est de faire connaître, d'illustrer et de défendre le patrimoine de la communauté internationale de langue française ainsi que celui des communautés francophones des pays membres. Il stimule la création, l'échange et l'exportation de contenus radiophoniques entre les membres et favorise le rayonnement de la langue et de la culture francophone à travers le monde.

De même, la radio et la télévision de Radio-Canada travaillent activement au sein du CIRTEF, le Conseil international des radios télévisions d'expression française, une organisation qui réunit plus de cinquante radiodiffuseurs publics de la sphère francophone et dont les activités sont axées sur la coopération Nord-Sud.

Que ce soit par des échanges de pro­grammes, par la réalisation de productions communes ou encore par le partage d'ex­pertise, voici trois exemples qui illustrent pleinement comment la société Radio-Canada contribue au développement d'un espace francophone unique, dont les valeurs communes demeurent celles du service public.

La stratégie de la société Radio-Canada vis-à-vis de la francophonie, comme d'ailleurs pour la scène internationale dans son ensemble, aura permis d'ouvrir une « fenêtre sur le monde ». Une telle fenêtre illustre la diversité des cultures ayant en commun l'usage du français, mais crée aussi des liens favorisant la coopération et la création.

Promouvoir la diversité culturelle

Le passé et le présent ont amplement démontré nos aptitudes à la réussite. Il s'agit maintenant de poursuivre dans la voie de l'internationalisation des alliances, de la mise en commun des ressources et de la promotion du français comme langue d'usage dans un monde de plus en plus global et technologique. La défense et la promotion de la diversité culturelle sont déjà à l'ordre du jour des organisations internationales. La francophonie a manifestement un rôle à y jouer.

Le français au Canada et ailleurs dans le monde continuera d'être une langue vivante, pour ne pas dire vibrante, dans la mesure où, d'une part, tous ses locuteurs en seront fiers et où, d'autre part, les institutions, les entreprises et les gouvernements continueront de contribuer à son épanouissement en l'utilisant dans toutes leurs activités, en la diffusant et en la protégeant si nécessaire. Une société prospère, dynamique, productive et porteuse d'une langue aussi riche que la langue française ne peut faire autrement que de contribuer à son épanouissement si elle s'en donne les moyens.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-10/le-canada-entre-audace-et-modernite.html?item_id=2673
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