Xavier DALLOZ

est consultant.

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Le modèle économique de la tectonique des médias

Par son interactivité, internet a induit de nombreux changements dans les rapports entre les entreprises et leurs clients. Au passage, le rôle des intermédiaires s'est transformé...

L'exemple de Napster est très intéressant pour comparer les économies d'une diffusion des contenus en P2P (« peer-to-peer » ou « poste à poste ») par rapport à une diffusion par un serveur centralisé. C'est une bonne illustration des possibilités d'internet par rapport à une infrastructure de réseau centralisée.

Rappelons que dans le cas de Napster et, plus généralement, du P2P dont on connaît l'impact sur la diffusion de la musique, le serveur central ne sert que de répertoire facilitant les recherches, mais qu'il ne stocke pas les fichiers musicaux qui sont dispersés dans la communauté. C'est un mode de fonctionnement économique par nature puisque chacun assure la saisie et le stockage de ses fichiers. Les conséquences en coût de distribution sont très importantes.

Étant donné que Napster avait, en janvier 2001, 65 millions d'abonnés qui ont téléchargé en moyenne 171 morceaux de musique d'environ trois minutes, il est possible de comparer le coût de la diffusion en P2P à celui d'une diffusion par un serveur centralisé.

L'économie peut se mesurer sur :

  • le coût de l'hébergement,
  • le coût de la bande passante,
  • le coût du réseau des fournisseurs d'accès.

Il faut surtout retenir de ces chiffres que grâce au fonctionnement P2P qui mutualise les ressources selon la loi des réseaux en n (n-1)/2, il devient possible de lancer des entreprises fondées sur des business models impossibles dans des conditions traditionnelles. L'économie de bande passante, généralement sous-estimée, pourrait relancer la diffusion vidéo à la demande en ligne. Elle est difficilement concevable dans un mode client serveur, et ce, malgré l'émergence de projets dont le but premier était peut-être de dissuader les nouveaux entrants plus innovants.

Un nouveau média émerge

Comme l'exemple de Napster l'illustre très bien, la notion de base des échanges sur un réseau comme celui de l'internet est la suivante : le potentiel de relations dans un réseau explose, car il répond à la formule : L = n (n-1)/2 où n représente le nombre de nœuds du réseau. Plus simplement, on sait bien qu'un réseau téléphonique où il n'y a qu'un abonné ne vaut rien et qu'il permet d'autant plus d'interactions qu'il y a d'abonnés. L'efficacité d'un réseau croît de façon exponentielle avec sa taille, dans la mesure où cette dernière ne suscite pas une confusion croissante. D'où l'importance stratégique de tout ce qui facilite la circulation dans un réseau, aides à la navigation, agents et moteurs de recherche, standards ouverts…

Autre phénomène très important : la nouvelle façon d'accéder à l'information et de communiquer. Un proverbe chinois connu positionne très bien la révolution que nous vivons actuellement. Il dit la chose suivante :

« Dis-le moi et je l'oublie
Montre-le moi, et je le retiens
Implique-moi, et je comprends ».

« Dis-le moi et je l'oublie. » Ce sont les médias traditionnels. Cette démarche est adaptée au marketing de masse. C'est la presse et la radio. Ils diffusent des textes ou des séquences sonores. Ces modes de communication sont linéaires et induisent un mode de fonctionnement très fortement structuré et réducteur.

« Montre-le moi et je le retiens. » C'est l'audiovisuel avec la télévision mais aussi le cinéma, les cassettes... Le pouvoir de l'image est considérablement plus grand que celui du texte et du son. Dans une société de plus en plus tournée vers l'efficacité au moindre coût, l'audiovisuel est devenu le moyen de communication de base, car il est plus riche et plus performant. La télévision est l'exemple type de ce mode de communication.

« Implique-moi et je comprends. » C'est l'apport fondamental d'internet par rapport à la radio et à la télévision. La richesse du média audiovisuel reste limitée, car il rend passif l'utilisateur. Au contraire, les nouvelles technologies de l'information permettent d'impliquer plus fortement l'individu, de le rendre plus actif et plus responsable, donc plus autonome et plus efficace. C'est là que réside toute l'originalité de ce nouveau média dont il est possible d'imaginer aisément l'impact sur notre société. Le dialogue devient réel et la création de valeur va dépendre de la loyauté. Le multimédia va ainsi créer une véritable révolution.

Que ce soit la radio, la télévision ou internet, l'utilisation de ces médias doit se concevoir d'une façon non connectée (on parle alors d'off line) ou connectée (on parle alors d'on line). Par exemple, la radio et les cassettes sonores sont indissociables. Il en est de même pour la télévision et la vidéocassette.

Exploiter l'interactivité

Les entreprises vont de plus en plus réellement exploiter la nature interactive du multimédia pour créer des échanges plus riches et qui ne soient plus à sens unique. L'utilisation de ce nouveau média sera d'autant plus efficace qu'il permettra aux entreprises d'écouter les attentes « latentes » de leurs clients, de leur donner la possibilité de s'exprimer en confiance, de façon individuelle, n'importe où et n'importe quand. Ce nouveau média va modifier profondément les relations entre les entreprises et leurs clients en ré-équilibrant cette relation au profit de ces derniers. Il est important de comprendre cette mutation qui va avoir un effet significatif sur les comportements des clients et sur la nouvelle façon de créer de la valeur.

Cette réintermédiation constitue un mouvement de fond dont l'impact va se faire sentir sur plusieurs années. Il ne faut surtout pas donner trop d'importance au court terme, comme on vient de le faire avec les deux premières vagues de l'internet que nous venons de vivre. L'important est la prochaine vague, c'est-à-dire la troisième, celle du marché inversé.

Avec internet, on assiste actuellement à l'émergence de technologies de l'information qui portent sur trois points fondamentaux :

  • Une communication plus efficace et plus rapide. Internet permet de supprimer les contraintes de distance et de temps. Il est ainsi possible de travailler avec des personnes se trouvant à des milliers de kilomètres les unes des autres. De plus, il donne aux personnes le don d'ubiquité. C'est « où je veux, quand je veux, et juste à temps ».
  • Une évolution significative des terminaux. Le PC est devenu la référence en matière de poste de travail de base. Son architecture technique est devenue un standard. Cependant on assiste à une évolution qui se traduit par une convergence des technologies du téléphone, du son et de l'image (pour traiter de la vidéo, de la télévision et de la photo).
  • Un rôle croissant des infrastructures. Pour développer les performances il est nécessaire d'améliorer les réseaux, les serveurs, les protocoles... Il est de plus nécessaire d'avoir des systèmes capables de supporter des architectures hétérogènes mais interopérables.

Une des conséquences de ces changements est la modification de la structure du marché. À partir du moment où tout le monde peut accéder à tous les services disponibles sur le réseau, la logique économique change.

L'explosion des intermédiaires

En fait, internet n'a pas été la Saint-Barthélemy des intermédiaires. Au contraire, ils n'ont jamais été aussi nombreux. La plupart des sites les plus souvent cités comme Google, Yahoo, Amazon, e-Bay... sont des intermédiaires. Mais à la différence des anciens intermédiaires, ces nouveaux venus apportent des services originaux à forte valeur ajoutée. Ils permettent de se retrouver dans la jungle des sites (Google) ou offrent un catalogue comprenant plusieurs millions d'ouvrages (Amazon).

Ce sont bien des intermédiaires, mais leur rôle se transforme. Au lieu d'être des points de passage obligés, imposant à chacun un droit de péage obligatoire, ils apportent des services nouveaux qui incitent l'utilisateur à revenir. C'est une mutation considérable. On n'assiste donc pas à une disparition des intermédiaires, mais à une évolution de leur fonction.

Avec internet, ce qui change, c'est le mécanisme de l'intermédiation. Alors que, traditionnellement, l'intermédiaire est un écran entre des clients et des fournisseurs, dans la nouvelle approche l'idée dominante est la transparence. Fondamentalement, on assiste au développement du système d'information qui change de nature. Il a pour but de rendre le marché plus transparent.

Plus généralement, c'est la manière de faire des affaires et de créer de la valeur qui est en train de se transformer radicalement. Aujourd'hui, on découvre que la nouvelle économie est liée à l'accumulation et à la diffusion de la connaissance et de l'intelligence. Il y a toujours des clients, des fournisseurs, des ventes, des investissements... mais s'y appliquent des logiques différentes. Ce que l'entreprise vend, c'est son aptitude à répondre rapidement et efficacement aux attentes de ses clients. C'est l'entreprise centrée clients. Cela fait longtemps qu'on en parle dans les séminaires et les congrès de management. Aujourd'hui, la technologie le rend possible.

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