Florence MORGIENSZTERN

est chargée de mission au Haut Conseil de la Francophonie.

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175 millions de francophones

Ni grandeur, ni décadence : le français tient encore bien sa place à travers le monde.

« Langue quasiment créole qui a débordé de ses frontières », selon la formule d'Alain Rey, le français a connu ses heures de gloire aux XVIIIe et XIXe siècles alors qu'il était langue de la diplomatie et de la philosophie, langue de la Révolution et des droits de l'Homme langue de la culture pour tout dire. Aujourd'hui, mondialisation et développement des nouvelles technologies menacent sa place comme langue internationale. L'anglais domine la vie économique et scientifique ainsi que les écrans de cinéma et de télévision. Alors, le français, « ce soleil qui brille hors de l'Hexagone », comme le chante Léopold Sédar Senghor, est-il proche de l'extinction ?

Ce n'est plus la langue de la diplomatie, mais c'est encore celle de nombreux diplomates. Le français est, en effet, langue obligatoire dans un certain nombre d'académies et d'instituts diplomatiques de pays d'Amérique latine, d'Europe de l'Est ou encore en Espagne, aux Pays-Bas ou en Turquie, et de grandes écoles d'administration en Azerbaïdjan, en Pologne ou en Syrie.

C'est encore la deuxième langue officielle de nombreuses instances internationales, mais ce n'est pas la langue des « couloirs » et, dans ce domaine comme dans d'autres, il faut distinguer les principes de la réalité : le français est l'une des deux langues de travail à l'ONU avec l'anglais, mais ce privilège est grignoté tous les jours. C'est aussi l'une des deux langues officielles du Comité international olympique, mais il a été bien maltraité à Athènes lors des Jeux 2004…

Sur tous les continents

C'est encore la deuxième langue enseignée dans le monde, mais elle est talonnée par l'espagnol qui gagne du terrain… Ce n'est pas la deuxième langue sur internet mais elle y a sa place. Selon des observations portant sur l'année 2003, 3,97 % des pages Web seraient en français et 4,2 % des internautes produiraient des pages en français, ce qui fait passer la langue française après l'allemand et l'espagnol.

Elle risque de devenir absente du domaine scientifique comme le déplorent six des plus grands scientifiques français dans un manifeste rédigé en décembre 2004 : « Nos chercheurs se sont si bien adaptés à l'usage général de l'anglais qu'ils n'écrivent plus d'articles en français, et emploient très rarement leur langue, même dans les congrès organisés en France1. »

Dixième langue par le nombre de ses locuteurs2, mais deuxième langue, après l'anglais, en considérant le nombre de pays où elle est langue officielle – soit 29 États dont 21 africains –, le français est, avec l'anglais, présent sur l'ensemble des continents, de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb à l'Amérique en passant par l'Europe, le Moyen-Orient, l'Asie et l'Océanie.

Enfin, la langue française demeure, bien sûr, une grande langue de culture attirant de par le monde des millions d'adeptes et d'amoureux qui la pratiquent, l'enseignent, l'apprennent, la diffusent…

Qui parle français ?

Sur 175 millions de francophones, 115 millions parlent un français courant. D'après les estimations du Haut Conseil de la Francophonie3, 175 millions de personnes dans le monde utiliseraient la langue française, soit de manière régulière pour faire face aux situations de communication courante, soit de façon plus réduite, dans un nombre limité de situations, professionnelles par exemple. Toujours d'après ces estimations3, le nombre de francophones est, depuis la fin des années 90, en augmentation en Afrique subsaharienne et dans l'océan Indien, avec des situations sensiblement différentes selon les pays. Il est, en revanche, en baisse dans la Caraïbe et, notamment, à Haïti. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte du nombre important de francophones dans des pays ou des régions qui ne sont pas membres de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), comme l'Algérie (plusieurs millions), Israël (plusieurs centaines de milliers), les États-Unis avec la Nouvelle-Angleterre (plus de 400 000) et la Louisiane (300 000), l'Italie avec le Val d'Aoste (plusieurs dizaines de milliers).

Qui l'apprend ?

On estime à 900 000 le nombre de professeurs de et en français dans le monde et à près de 90 millions le nombre d'apprenants de français langue étrangère. Par rapport à la fin des années 90, les chiffres concernant le nombre d'apprenants de ou en français, du primaire au supérieur, sont en augmentation pour l'ensemble de l'Afrique subsaharienne et de l'océan Indien (33 398 000) ainsi qu'en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (18 018 000). En revanche, cet enseignement tend à diminuer en Europe (27 708 000), et à marquer le pas dans les Amériques et la Caraïbe (8 490 000), comme en Asie et en Océanie (2 220 000) 4.

Le continent africain constitue sans conteste le fer de lance de la francophonie : 6 926 000 apprenants en République démocratique du Congo, 3 350 000 au Cameroun, 3 336 000 à Madagascar, 2 828 000 au Bénin, 2 031 000 au Mali, 1 656 000 au Sénégal. En Afrique du Nord, le français est langue d'enseignement de certaines filières dans l'enseignement supérieur et il est perçu comme un atout pour l'accès à la recherche en général, à internet en particulier. La situation est plus préoccupante en Asie et en Océanie où le taux d'enseignement du français n'est que d'environ 0,2 % et où la montée en puissance de l'anglais ne fait que se confirmer, en plus de la concurrence, comme langues étrangères, du chinois, du japonais et de l'allemand. Cependant, la présence des classes bilingues et des filières francophones assure la permanence d'une élite jouant la carte de la diversité linguistique et culturelle. Ces filières bilingues et francophones semblent également être la stratégie la plus opérationnelle en Europe centrale et orientale, notamment dans les pays qui viennent d'adhérer à l'Union européenne ou qui s'y apprêtent. La Roumanie, par exemple, compte 54 lycées bilingues et une filière francophone dans chaque université. Force est de constater toutefois que, dans cette région, le français n'est le plus souvent enseigné qu'en troisième, voire en quatrième position, et son avenir reste étroitement lié à la construction européenne.

Qui le fête ?

Aux côtés des Journées de la francophonie déclinées en mars de chaque année dans le monde entier, de la Fête de la musique célébrée dans plus de 450 villes et de Lire en fête dans plus d'une vingtaine de pays, la francophonie bénéficie d'un certain nombre de manifestations d'envergure couvrant tout le champ du culturel : le Marché des arts du spectacle africain d'Abidjan en Côte-d'Ivoire, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou au Burkina-Fasso, le festival littéraire Etonnants voyageurs à Bamako au Mali, les Francofolies (musicales) de La Rochelle, de Montréal, de Belgique et de Suisse, le Festival international des théâtres francophones de Limoges, le Festival international du film francophone de Namur, le Festival international du cinéma francophone et la Francofête au Nouveau-Brunswick, le festival Francophonie métissée au Centre Wallonie-Bruxelles et le Cinéma du Québec à Paris…

Dans les pays non membres de l'OIF, une augmentation de l'offre culturelle et de la fréquentation des Alliances françaises est patente en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et en Asie. L'Afrique du Sud est le pays du continent qui accueille ou organise le plus de manifestations culturelles francophones avec une cinquantaine d'événements annuels. Aux États-Unis, la Fête de la francophonie prend, d'année en année, plus d'ampleur. L'adaptation de pièces de théâtre francophones représentées soit dans la langue nationale, soit en bilingue avec le français 5, devient un phénomène notable sur le continent sud-américain.

En Asie et en Océanie, les manifestations consacrées au cinéma (festivals du film francophone) et à la musique (concours de chanson française) ont été particulièrement nombreuses dans les années 2003-2004. En Europe, des événements francophones étaient organisés dans tous les domaines culturels, comme les festivals du cinéma québécois en Allemagne et en Grande- Bretagne, des créations théâtrales en français en Bosnie ou au Portugal, un salon du livre francophone en Turquie.

Comment est-il diffusé ?

Si la production culturelle en français est loin d'atteindre la force de frappe des productions américaines, elle existe et dépasse le cadre hexagonal. Ainsi, en 2003, 210 films en français étaient produits en France, près de 50 au Québec, plus de 30 dans la Communauté française de Belgique et en Suisse, près d'une trentaine en Afrique subsaharienne. L'édition en langue française représentait, la même année, une trentaine de titres au Cameroun, une vingtaine à Djibouti, une soixantaine au Liban, une cinquantaine au Maroc, une quinzaine à Maurice, plus de 5 000 titres par an au Québec, une quarantaine en Roumanie.

Du côté des médias, TV5, deuxième réseau mondial de télévision après MTV et devant CNN, est reçue 24 heures sur 24 dans 202 pays et territoires, et touche 165 millions de foyers. CFI fournit 6 000 heures de programmes à une centaine de chaînes dans 84 pays. Radio France Internationale (RFI), avec ses 40 millions d'auditeurs, est la troisième radio mondiale après BBC World et Voice of America.

L'agence France Presse vient également au troisième rang mondial, après Associated Press et Reuters. Si les médias en langue française sont nombreux en Europe de l'Ouest, sur le continent africain ou encore au Québec, leur présence est en revanche très ténue en Amérique du Sud ou en Asie. Mais les évolutions technologiques (câble, satellite, internet) redonnent des chances à la francophonie là où le français accusait un net recul.

Quel français ?

Langue d'intercompréhension mais aussi langue de rencontre entre le français de France et « les français » venus d'ailleurs : c'est en français d'Afrique le fruit d'une création quotidienne comme « fréquenter » pour aller à l'école ou « taper » pour aller à pied c'est aussi « poucer » au Québec quand on fait de l'auto-stop en France c'est donner aux éclairs d'orage en Acadie le doux nom d'« éloïse » c'est le « de travers » en France qui donne « croche » au Québec et « de bizingue » en Suisse c'est une querelle qui se transforme en « bringue » en Suisse et en « bisbrouille » en Belgique c'est la « savane », place principale d'une ville aux Antilles c'est encore la terminologie si riche pour désigner la canne à sucre à Maurice, la neige au Québec ou encore le licenciement en Afrique. Ce sont, parmi d'autres éléments, ces décalages entre « les français » qui sont à l'origine d'une forte créativité dans une francophonie métissée où notre langue en côtoie bien d'autres.

C'est sans doute de ces exils bénéfiques que la langue française tirera sa force et détiendra la clé de son avenir car, comme le dit le proverbe yoruba cité par Wole Soyinka : « Celui qui dévorera tout mourra tout seul. »

  1. Le Figaro du 2 juin 2005.
  2. Après le chinois, l'anglais, l'hindi, l'espagnol, le russe, l'arabe, le portugais, le bengali et le malais.
  3. La Francophonie dans le monde 2004-2005, Larousse, 2005.
  4. Années de référence 2003-2004
  5. Dans le cadre d’un programme de l’Association française d’action artistique
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2005-10/175-millions-de-francophones.html?item_id=2652
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