est président de la commission des finances du Sénat.
La France doit rebondir
La France doit revoir son modèle social si elle veut faire face à la globalisation de l’économie qui induit un nombre croissant de « perdants » de la mondialisation dans notre pays. Il faut donc que le gouvernement mène à bien rapidement d’importants chantiers, en veillant à restaurer la compétitivité des entreprises.
La mondialisation est vieille comme le monde. Les vents, les virus et les oiseaux migrateurs ignorent les barrières dressées par les hommes pour organiser leurs communautés, se protéger contre les attaques venant de l’extérieur et faire respecter les règles qu’ils se sont données pour vivre en paix. À l’image du mur de Berlin, les obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux disparaissent les uns après les autres. L’échelle est devenue mondiale.
Plus que la place de la France dans la mondialisation, se pose la question du devenir de notre « modèle social français » dans la globalisation de l’économie. Si l’on en juge par le déséquilibre croissant de notre balance commerciale et de nos finances publiques, le temps est venu de tirer la sonnette d’alarme. Le constat est patent, la France devient débitrice : nous consommons plus que nous ne produisons et nous avons besoin des capitaux étrangers pour financer nos déficits publics et le développement de nos entreprises. Il ne suffit plus de proclamer que la mondialisation « est une chance pour la France » pour apaiser les craintes de nos concitoyens. S’il est vrai qu’il y a de nombreux gagnants, essentiellement dans les domaines de la distribution, de la logistique, de la publicité et de la finance, prompts à vanter les bienfaits des échanges internationaux, le nombre des perdants ne cesse de croître. S’agit-il d’une pente fatale contre laquelle il est vain de résister, ou bien d’un retard à prendre la mesure de l’urgence et de la nécessité de nous adapter au prix de lourdes remises en cause de notre « modèle » ? De nombreux pays comparables à la France, notamment l’Allemagne, ont su conduire des réformes structurelles qui leur permettent aujourd’hui d’occuper une place enviable dans l’économie mondiale. Leur exemple dissipe toute tentation de résignation. Pour mieux préparer le rebond, essayons de comprendre comment notre gouvernance publique a pu à ce point anesthésier la France.
Les leurres du politique
La communication institutionnelle, et notamment celle du politique, au motif qu’elle a vocation à dissiper les angoisses, entonne assez systématiquement le refrain type du « tout va très bien », avec des couplets de circonstance. C’est ainsi que l’on se glorifie d’être la « première terre d’accueil des investissements internationaux créateurs de croissance et d’emplois ». S’il est vrai que les flux de capitaux sont abondants, observons leurs destinations. Une fraction significative s’investit dans l’immobilier, à des prix exorbitants, chassant leurs occupants dans les lointaines banlieues ou des abris précaires. Une autre fraction répond aux émissions de bons du Trésor, couvrant ainsi les nouveaux déficits publics et le remboursement des emprunts antérieurs venant à échéance. Enfin, les capitaux étrangers viennent au secours du secteur productif. Près de la moitié des actions des sociétés du CAC40 sont détenues par des opérateurs étrangers. Lorsqu’il s’agit de PME, proies désignées, une fois rachetées elles se vident de leurs activités et de leurs emplois au profit de sites de production plus compétitifs, en périphérie ou aux antipodes de l’Hexagone.
À la vérité, les pays qui détiennent d’abondantes liquidités sont ceux qui nous approvisionnent en énergie, pétrole et gaz, et en biens de consommation. Telle est l’origine des « fonds souverains », dont la montée en puissance alimente déjà un débat qui devrait prendre de la consistance assez rapidement. Ils sont le miroir de nos déséquilibres et de nos faiblesses.
Les discours convenus ont permis de nier les phénomènes de délocalisations d’activités et d’emplois. Activées par la volonté de tirer les prix vers le bas, facilitées par les moyens modernes de transport, l’absence de fiscalité sur les carburants des avions et navires des lignes internationales (seul le transport de proximité est taxé), la dématérialisation des données, le réseau Internet, les délocalisations ne cessent de prendre de l’ampleur. Longtemps minimisées par nombre d’économistes, de responsables politiques et syndicaux, il est vrai que les délocalisations stricto sensu sont peu nombreuses et les statisticiens observent qu’elles n’affectent que quelques dizaines de milliers d’emplois par an. Leursévaluations ne sont pas contestables, pas plus que la désindustrialisation ! Faut-il rappeler que nous avons perdu plus d’un million d’emplois industriels en une dizaine d’années ? En fait, le phénomène prend la forme désormais de nonlocalisations. Autrement dit, les nouvelles productions démarrent hors de notre territoire. Le tabou est levé depuis peu. Les récentes déclarations des patrons de l’aéronautique dissipent les illusions. L’exemple de la Logan avait déjà ouvert la voie. Lorsque la décision fut prise de la fabriquer en Roumanie, c’était à destination des automobilistes potentiels d’Europe centrale. La suite a démontré qu’il fallait donner la possibilité aux Français d’acquérir cette voitureà si bon marché.
Encore récemment, il était de bon ton d’affirmer que ce processus vivifiait notre économie. Les industries traditionnelles (textile, chaussures,électronique grand public, horlogerie, jouets...) allaient naturellement faire place à des activités à forte valeur ajoutée et nous offrir un avantage compétitif gageant durablement notre prospérité. C’était se méprendre sur les capacités et le potentiel de créativité et d’expertise des paysémergents. Au fond, c’est moins la mondialisation que la cécité apparente de nos dirigeants, l’absence de réponses adaptées et de réformes structurelles qui suscitent l’angoisse.
Le trop-plein réglementaire
Or, dans ce monde en mouvement, la France n’a cessé d’élargir sa sphère publique, de raffiner son « modèle social », de multiplier les lois et règlements restreignant les marges de liberté des entreprises confrontées à une concurrence mondiale implacable. La loi de 1998 sur les 35 heures est venue couronner notre singularité nationale. Facteur aggravant, nous finançons notre système de protection sociale par des cotisations assises sur la production. Comment pouvons-nous plus longtemps justifier la prise en charge des branches santé et famille du régime général de sécurité sociale par des prélèvements calculés sur les salaires ? Le débat tarde à s’ouvrir, pénalisant ainsi l’activité économique dans nos territoires, poussant corrélativement vers de nouvelles délocalisations1.
Le temps est venu de prendre conscience que des pans entiers de nos législations contrarient nos chances de redressement et nous enferment dans la faillite et le déclin programmés. Nous sommes parvenus à la fin d’un cycle. Ce que la relative étanchéité de nos frontières, la concentration dans le monde occidental des ressources, l’approvisionnement à bas prix de matières premières et d’énergie, l’état des moyens de transport avaient autorisé, c’est-àdire le rêve d’une société capable de répondre à toutes les attentes de solidarité, de réduire la charge de travail et de privilégier les loisirs, est en train de nous échapper.
L'Europe impuissante
Pendant un temps, nous avons cru que l’Europe volerait à notre secours et que, naturellement, chacun des États membres avait l’ambition d’adopter notre si fameux modèle. Cette illusion s’est dissipée. L’Europe reste un espace de libre échange offert au monde. Elle s’est dotée d’une monnaie, l’euro, restée orpheline d’État. Faute de gouvernance économique, nous subissons la loi des autres dans ce qui est devenu une guerre économique. Pourronsnous longtemps négocier au sein de l’Organisation mondiale du commerce sans mettre de l’ordre dans les parités monétaires ? Il y a urgence à ce que l’Union européenne se dote d’une politique de change. Sans elle, tous les industriels qui vendent en dollars déserteront progressivement les territoires où les coûts sont libellés en euros.
Le tableau ainsi dressé se veut stimulant et mobilisateur. La rupture que prône Nicolas Sarkozy doit s’exprimer autant dans les mots que dans les actes. Dans les mots, il est vain de continuer à mettre en avant la consommation comme moteur de la croissance. Lorsque l’État verse chaque année plus de quatre milliards d’euros de prime pour l’emploi, il emprunte pour en assurer le financement et le surcroît de consommation vient gonfler le niveau des importations. Autrement dit, la prime pour l’emploi crée plus d’emplois hors de France que sur notre territoire. Le vrai pouvoir d’achat ne peut résulter de la distribution de fonds publics par un État déficitaire, il ne peut être que le fruit d’un supplément de travail et de production de nouvelles richesses.
Dans les mots, nous devons aider nos concitoyensà comprendre le monde dans son état et son devenir. Dans les mots, si une excellente pédagogie a fait son oeuvre à propos de la dette publique et des retraites, il reste à convaincre l’ensemble des acteurs publics, élus politiques et fonctionnaires, des vertus d’une culture de performance comparée à une culture de moyens. La révision des politiques publiques et celle des prélèvements obligatoires, voulues par le président de la République, sont bien orientées.
Repenser l'art de gouverner
Dans les actes, c’est l’art de gouverner qui est en cause. Il y a urgence à sortir des gesticulations médiatiques et du recours à la loi pour dissimuler trop souvent l’impuissance à agir. Le Parlement lui-même doit se remettre en cause. La réalité de son pouvoir dépend moins de réformes constitutionnelles que de la volonté des députés et sénateurs d’assumer la plénitude de leurs prérogatives. Dans le domaine du contrôle, « seconde nature » du Parlement, nous disposons encore de larges marges de progression. Soyons tous bien convaincus que la fidélité politique n’a aucun besoin de complaisance pour aider le gouvernement à conduire efficacement son action !
De vastes chantiers sont ouverts : l’autonomie des universités, les régimes spéciaux de retraite, la carte judiciaire, la libération du temps de travail, la relance de l’Europe, la réforme de l’État et la réduction des effectifs de la fonction publique. Le mouvement est perceptible, les Français, dans leur grande majorité en comprennent la nécessité. Mais la tâche à accomplir ne saurait être sous-estimée. Pour atteindre l’équilibre du budget de l’État en 2012, le budget 2008 qui vient d’être voté comporte un déficit de 42 milliards d’euros, il faut prévoir une économie de 80 milliards, compte non tenu des déficits globaux de la protection sociale qui, pour l’année en cours, restent évalués au-dessus de la barre des dix milliards. C’est assez dire si ce qui nous attend devra mettre en synergie toutes nos qualités de lucidité et de courage !
États et entreprises en concurrence
Reste à régler le problème majeur de la compétitivité des entreprises, des territoires et du travail. Dans un monde en pleine et souvent brutale évolution, sachons redonner aux entreprises et aux partenaires sociaux les espaces de liberté dont ils ont besoin pour rester dans la course. Ce prérequis étant satisfait, il y a urgence à repenser notre modèle de prélèvements obligatoires.
La mondialisation ne met pas que les entreprises en concurrence. Les États eux-mêmes y sont désormais confrontés. De puissantes stratégies se développent pour capter la matière imposable, non pas par un alourdissement des taxes et impôts, mais par leur allègement. S’agissant des entreprises, le temps est venu de les libérer de charges qui, en tout état de cause, retombent toujours sur les citoyens : à défaut du contribuable, c’est le consommateur qui en dernier ressort doit mettre la main à la poche.
Dans une économie globalisée, demander aux entreprises de payer un impôt sur leurs équipements ou une contribution sur les salaires qu’elles versent à leurs collaborateurs, pour les répercuter ensuite dans le prix des biens et services qu’elles mettent sur le marché, c’est les pousser à se délocaliser pour rester compétitives. Cessons donc de spéculer sur le poids relatif des impôts que les entreprises installées en France pourront durablement assumer. L’impôt est toujours payé par le citoyen. Trois assiettes s’offrent à nous : la fortune, le revenu, la consommation. Sachons trouver le bon arbitrage entre l’équité et les risques de disparition de la matière imposable.
Dans la mondialisation, la France ne peut compter que sur elle-même pour occuper la place qui lui revient. Dans l’attente d’un gouvernement du monde, nous avons le devoir de faire confiance à notre gouvernement, de l’aider, sans complaisance, dans le débat comme dans son action.
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