Alain BAZOT

est président de l'UFC-Que choisir

Partage

L’exemple de l’UFC-Que choisir

Souvent au centre des discours politiques, les consommateurs sont rarement au coeur des actes. En les fédérant, en les représentant avec force, l’UFC-Que choisir et quelques autres associations strictement consuméristes tentent de leur redonner du pouvoir aussi bien économique, juridique que politique… en attendant que l’État mette à leur disposition des outils indispensables pour jouer pleinement leur rôle de contre-pouvoir.

Créée en 1951, l’UFC-Que choisir, première association de consommateurs en France et en Europe, est aujourd’hui une fédération de 167 associations locales, réparties sur tout le territoire, rassemblant pas moins de 140 000 adhérents, et qui achemine son mensuel Que choisir, édité depuis 1961, et diffusé aujourd’hui à 480 000 abonnés. L’association que je préside est donc, parmi d’autres naturellement, un des nombreux acteurs intermédiaires de la société civile dont on dit souvent qu’ils sont un maillon indispensable de la démocratie : un corps qui rend un service de proximité à 150 000 citoyens/consommateurs par an dans tous les territoires, qui produit de l’information, active des débats, avance des propositions… un corps qui fait de la politique, en somme : une politique d’expertise rigoureuse, alliant idéalisme et pragmatisme, sans aucun dogmatisme !
Toute la politique de l’UFC-Que choisir repose sur la volonté que le consommateur soit maître de ses choix, maîtrise qui conditionne sa qualité de vie, active le jeu concurrentiel sur les marchés et oriente les stratégies et les pratiques des entreprises. Et cette politique s’avère payante !
Transversaux (santé, environnement, finances, logement, alimentation, énergie, télécommunications), les combats fédérateurs de l’UFCQue choisir ont souvent permis d’obtenir des victoires retentissantes pour les consommateurs. La crédibilité de l’association est ainsi renforcée auprès des professionnels comme des consommateurs qui prennent conscience qu’en se regroupant, en se fédérant autour d’associations fortes, les choses peuvent changer.

Le boycott, révélateur d'un contre-pouvoir des consommateurs

Exemple aussi récent qu’emblématique de ce contre-pouvoir consumériste, le secteur des télécommunications, avec le boycott sur le prix des SMS et la condamnation pour entente des opérateurs de téléphonie mobile. En 2003, après avoir publié dans Que choisir une étude exclusive titrée « Les SMS au prix du caviar » démontrant que le SMS facturé 0,15 euro revient en réalité à 0,02 euro à l’opérateur, l’UFC-Que choisir lança une pétition sur son site www.quechoisir.org, avant de lancer un appel au boycott, suivi par un quart des Français. La légitimité de cette action a été confortée par le ministre de l’Industrie de l’époque, qui réclama, dix jours après l’appel au boycott, « une baisse réelle du prix des SMS ». La réussite d’un boycott révèle que cette collectivité de consommateurs, au-delà de sa grande hétérogénéité de composition, partage des valeurs et des intérêts communs. D’autres exigences doivent également être réunies : le bien-fondé de la cause, le caractère mesuré de la privation, sans oublier le caractère massif de la mobilisation… Autant de conditions qui limitent, à raison, le recours à cette riposte. Il s’agit bien de légitime défense qui doit rester exceptionnelle.

La montée en puissance du consommateur, régulateur de l'économie

En 2005, la condamnation des trois opérateurs historiques à une amende record de 534 millions d’euros pour entente par le Conseil de la concurrence, suite à sa saisine par l’UFC-Que choisir, démontra le bien-fondé des griefs de l’association à l’encontre des opérateurs n’hésitant pas à verrouiller le marché pour pouvoir pratiquer des prix artificiellement élevés… Cette condamnation, et l’action entreprise en 2006 par l’association pour obtenir la réparation du plus grand nombre des 30 millions de victimes de ce « Yalta des mobiles », a d’ailleurs valu à l’UFCQue choisir le prix du Régulateur de l’année 2006 décerné par le Nouvel Économiste.

Un pouvoir consumériste savamment dilué par les politiques

Le pouvoir de régulation des consommateurs et de leur groupement, trop longtemps méconnu ou contesté, est donc aujourd’hui enfin reconnu par les professionnels et les journalistes. Mais, s’agissant des politiques, d’importants progrès doivent encore être accomplis.
La classe politique tout entière n’a jamais, audelà d’une reconnaissance de convenance ou teintée d’opportunisme, voulu reconnaître le rôle politique du consumérisme. Mieux, la classe politique a minutieusement miné le mouvement consumériste dans l’étouffoir d’instances aussi inefficaces qu’inaudibles, et par la dilution de son mouvement en dix-huit organisations nationales agréées, d’origine syndicale, familiale et autres.
Dans une démocratie, pour forger l’opinion publique et créer des rapports de forces équilibrés, il faut des partis politiques forts, des syndicats de salariés forts et des associations de consommateurs fortes et organisées. Le paysage consumériste actuel ne correspond pas à cette exigence. L’UFC-Que choisir n’a rien à gagner à être la première force d’un mouvement affaibli par un émiettement excessif. Ce morcellement du mouvement consumériste ne constitue pas « une richesse de diversité », mais une source de faiblesse. Il engendre inévitablement une dilution des crédits étatiques et aboutit à une forme de sous-subventionnement des associations réellement représentatives et qui oeuvrent de manière considérable pour faire avancer la cause des consommateurs…
En second lieu, pour redonner aux consommateurs un pouvoir en amont, un pouvoir de régulation, il est nécessaire de revoir de fond en comble l’architecture institutionnelle du consumérisme en reconcentrant notamment les moyens sur un nombre plus limité d’instances (il existe plus de 120 instances nationales dans lesquelles siègent les associations de consommateurs), afin d’éviter un éparpillement des forces vives des associations et des moyens financiers de l’État.
Enfin, et au-delà de l’organisation du mouvement consumériste lui-même, il s’agit également de reconnaître le rôle de régulateur des associations de consommateurs, de les inscrire dans la gouvernance. Quand le président de la République fait du pouvoir d’achat un thème politique de tout premier plan, il reçoit les syndicats, mais pas les associations de consommateurs, alors même qu’il est incontestable que le pouvoir d’achat ne se réduit pas aux revenus et aux salaires. Il s’agit donc de permettre aux associations consuméristes d’intervenir de façon significative sur les projets organisateurs de la société, comme la mise en oeuvre de l’action de groupe.

À quand l'action de groupe, arme de dissuasion ?

L’impossibilité de grouper l’accès en justice des consommateurs, victimes de litiges de masse, est une carence procédurale majeure. Comment dans un État de droit peut-on supporter l’idée que le préjudice subi ne soit jamais réparé, même s’il a été avéré? Que la sanction, dont l’effet dissuasif fait l’essence du droit, n’existe plus ? La classe politique, à l’unanimité, semble enfin prendre la mesure du déni de justice actuel et reconnaître que, pour mettre réellement fin à l’abîme existant entre les droits reconnus aux consommateurs et la possibilité d’en obtenir la réalisation devant le juge, alors l’action de groupe s’impose.
En effet, en permettant à toutes les victimes de litiges de masse d’être indemnisées en un seul procès sans avoir à donner de mandat pour agir, l’action de groupe a une double vertu, réparatrice et dissuasive. L’action de groupe, comme le souligne le Conseil de la concurrence, ne fait pas que réparer des injustices, elle redonne au droit toute son effectivité et, par-là même, son pouvoir de dissuasion.
En conclusion, pour l’heure, force est de constater que des réformes sont nécessaires afin d’installer un véritable et indispensable contrepouvoir du consommateur. Le marché n’existe pas sans lui, c’est une évidence. Ce qui l’est moins, c’est que l’on revienne à une logique de demande et qu’on ne reste pas au « diktat » de l’offre d’aujourd’hui.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2008-2/l-exemple-de-l-ufc-que-choisir.html?item_id=2831
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article