Colette NEUVILLE

est présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam).

Partage

Les fonds souverains, contre-pouvoirs de demain

Divers contre-pouvoirs existent dans les sociétés par actions : conseil d’administration, assemblée générale, actionnaires individuels, regroupés ou non, fonds activistes et maintenant fonds souverains... Tous ne fonctionnent pas avec la même efficacité.

Quels sont les contre-pouvoirs dans les sociétés par actions ?

Colette Neuville. D’abord, je voudrais préciser que, de mon point de vue, un contre-pouvoir n’est pas nécessairement en opposition avec le pouvoir, mais constitue à la fois un mécanisme de contrôle et une force de proposition. Dans une société par actions, il ne s’agit pas d’organiser des affrontements entre partenaires, car toutes les énergies doivent converger vers l’intérêt commun. Cela étant dit, les dirigeants de sociétés sont en principe soumis au contrôle et aux propositions du conseil d’administration, d’une part, de l’assemblée générale, d’autre part. Le conseil d’administration participe à l’élaboration de la stratégie et doit veiller à ce que les décisions prises par l’éxécutif soient conformes à l’intérêt social et à celui des actionnaires.
Quant à l’assemblée générale, elle dispose du pouvoir suprême : celui de nommer et révoquer les administrateurs. Elle peut aussi refuser d’approuver les décisions importantes qui lui sont soumises, comme l’arrêté des comptes, les augmentations de capital, les fusions, etc.
Il y a aussi des contre-pouvoirs collectifs plus réduits : 5 % des actionnaires peuvent ainsi demander une expertise ou déposer des projets de résolution. Il y a, enfin, les pouvoirs attachés au détenteur d’une seule action, pouvoir d’agir en justice, sans oublier celui de poser des questions dans les assemblées générales.

Ce contre-pouvoir là n'a pas beaucoup de puissance !

Détrompez-vous ! Le seul fait de poser une question, c’est important. Un actionnaire ne disposant que d’une action peut, par son interrogation, attirer l’attention de la communauté financière sur un problème. D’ailleurs, tout « actionnaire activiste » commence comme cela si la direction d’une entreprise n’a pas préalablement répondu à ses interrogations. S’il ne posait pas ces questions en assemblée générale, il pourrait se voir refuser une expertise de minorité. Le droit à l’information constitue un contre-pouvoir très important : les actionnaires ne sont d’ailleurs pas les seuls à l’exercer ; il y a aussi les analystes financiers.

Votre association rassemble des actionnaires minoritaires : est-ce ce regroupement qui vous donne le plus de poids ?

Certainement, car le pouvoir d’intervention d’un actionnaire isolé est malgré tout très limité. Seul, il ne peut pas aller bien loin car, pour être efficace, il faut pouvoir peser dans les assemblées générales ou dans les opérations financières,ou encore avoir les moyens de payer des consultations ou des expertises, de lancer des actions en justice, d’avoir un écho médiatique... Et si j’ai créé l’Adam, c’est effectivement afin de disposer des moyens nécessaires pour agir.
Nous accueillons toutes sortes d’actionnaires minoritaires, en particulier des organismes de placements collectifs qui contribuent à plus de 90 % du chiffre d’affaires de l’association. C’est ainsi que l’Adam parvient à se faire entendre. Mais c’est aussi parce que l’Adam a été organisée de manière à assurer la réactivité et la rapidité d’action. En général, quand on apprend l’existence d’une opération financière, elle a été préparée pendant des mois dans l’entreprise, et quand elle est rendue publique, les délais sont très courts pour réagir. Il faut donc aller très vite si nous la jugeons contraire aux intérêts des actionnaires minoritaires. L’existence d’une structure toujours en alerte, disposant de conseils et d’avocats prêts à intervenir, constitue un atout indispensable.

Existe-t-il encore d'autres contre-pouvoirs dans les sociétés paractions ?

Les fonds activistes et les fonds souverains prennent une place croissante. Ce sont de véritables contre-pouvoirs et ils le deviendront encore plus à l’avenir.
Autrefois, les investisseurs cherchaient à placer leur argent dans des sociétés leur garantissant un retour sur investissement élevé. Aujourd’hui, les actionnaires « actifs » (ou « activistes ») sélectionnent au contraire les entreprises les moins bien gérées. Ils y prennent une participation dans le but d’infléchir la gestion, voire la stratégie – au besoin, en entrant dans les conseils d’administration –, de manière à bénéficier du supplément de valorisation qu’ils contribueront à créer. Bien sûr, certaines directions développent des stratégies défensives, par exemple en essayant de grossir pour « diluer » l’entrant ou en mettant en place des pilules empoisonnées pour s’opposer à d’éventuelles OPA... mais les stratégies défensives n’ont qu’un temps si les performances ne sont pas au rendez-vous.
En ce qui concerne les fonds souverains, il me semble qu’ils pourraient apporter aux entreprises les capitaux nécessaires à leur développement de manière plus saine qu’en ayant recours à des montages financiers de plus en plus complexes et risqués. En contrepartie, il est vraisemblable que ces fonds chercheront à exercer une surveillance, puis une influence, et que, progressivement, ils pourraient bien être tentés d’imposer une gouvernance aux sociétés dont ils seront actionnaires. Il reste que l’on ne sait pas bien quelles règles appliqueront les fonds chinois, russes ou ceux du Golfe qui n’ont pas la même conception de la gouvernance que les démocraties occidentales. J’espère, pour ma part, que l’on arrivera à une certaine uniformisation des règles de gouvernance, respectant les droits des minoritaires et leur fonction de contre-pouvoir.

Pour vous, en France, l'Autorité des marchés financiers est plutôt un organe de régulation qu'un contre-pouvoir...

Oui, il s’agit d’un organe de régulation très important pour les sociétés cotées. L’AMF fixe les règles du jeu, notamment les règles de transparence, et dispose de moyens pour obliger les sociétés à publier des informations exactes, précises et sincères. Elle peut mener des enquêtes et imposer des sanctions, réprimer les manipulations de cours, les délits d’initiés... En un mot, elle règlemente, surveille l’application des règles qu’elle a édictées et sanctionne ceux qui ne les respectent pas. Ce faisant, elle cumule les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ce qui est contraire à toutes les règles de séparation des pouvoirs, mais cela est un autre problème !

Est-ce que le système français fonctionne bien ?

Il reste de nombreux blocages. Ainsi, il arrive fréquemment que les conseils d’administration ne jouent pas bien leur rôle, qui est d’agir dans l’intérêt de la société, et servent surtout à aider le pouvoir en place à se maintenir. Prenons un seul exemple : pourquoi le conseil d’administration de Vivendi n’a-t-il pas mis plus tôt le holà à certaines décisions de Jean-Marie Messier ? Trop souvent, les conseils d’administration laissent le management s’éterniser jusqu’à ce qu’il y ait une majorité à l’assemblée générale pour le changer ! Il vaudrait mieux que cela se passe plus tôt, et en douceur, les administrateurs jouant alors un vrai rôle de représentation des actionnaires. Autre blocage : les administrateurs indépendants ne le sont pas toujours. N’étant pas (ou si peu) actionnaires, ils ne sont pas intéressés au résultat de l’entreprise, mais parfois seulement à leur propre rémunération, ce qui est contraire au bon fonctionnement du système. La séparation entre le pouvoir et la propriété fait que le capitalisme ne fonctionne plus !
Autre source de difficulté : le capital des sociétés est maintenant aux mains d’organismes de placements collectifs qui gèrent les capitaux apportés par le public. Là encore, il y a séparation entre le pouvoir et la propriété. La plupart des gérants sont plus préoccupés par la concurrence qui s’exerce entre eux que par leur qualité d’actionnaires de telle ou telle société. De plus, la règlementation les oblige à être « liquides » en permanence, ce qui peut les contraindre à revendre à perte et à ne pas pouvoir soutenir des sociétés au moment où ce serait nécessaire pour elles. Cette règle, qui est censée protéger l’épargne, se retourne ainsi à la fois contre les investisseurs et contre les émetteurs : un investissement en actions doit être à moyen et long termes, et non un placement liquide tous les jours.
Finalement, un des problèmes qui se posent aujourd’hui est celui de faire fonctionner un capitalisme qui ne s’exerce plus que par délégation dans des sociétés dont les dirigeants ne sont pour la plupart pas propriétaires du capital, pas plus que les administrateurs, ni même les actionnaires.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2008-2/les-fonds-souverains-contre-pouvoirs-de-demain.html?item_id=2832
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article