Michèle RIVASI

est présidente du Centre de recherche et d'information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques (CRIIREM) et ex-députée de la Drôme.

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Affirmer le droit de savoir du citoyen

Avec l’exemple de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité, née au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, sa fondatrice explique la genèse et les obstacles rencontrés par un contrepouvoir, mais aussi les leçons à en tirer pour l’avenir.

Le 26 avril 1986, après l’explosion du réacteur de Tchernobyl et la dispersion de milliards de particules radioactives dans l’atmosphère, on n’observe en France aucune manifestation d’angoisse, aucun doute sur des conséquences éventuelles… Pourtant, dans la Drôme, quelques personnes s’interrogent : pourquoi certains pays limitrophes de la France prennent-ils des mesures de protection ? Pourquoi trouvet- on des indices atypiques dans l’air ? Pourquoi pleut-il quand on nous annonce un anticyclone qui protège la France ? Un contre-pouvoir est ainsi en gestation...

Confirmer et faire partager

Dans quelles conditions et dans quel contexte ce contre-pouvoir a-t-il pu se créer ?
Première condition : la confirmation scientifique des doutes sur le mensonge grâce à la collaboration d’universitaires qui dévoilèrent à partir de nos prélèvements la composition du nuage en radionucléides spécifiques. Ce fut le début de la prise de conscience de la nécessité de créer un laboratoire indépendant de mesure de la radioactivité.
Deuxième condition : faire partager cette conviction par le plus grand nombre et créer une association, la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), qui sera l’instrument du combat et le moyen de résister aux nombreuses attaques et procès à venir.
Troisième condition : disposer de compétences scientifiques reconnues et pluridisciplinaires pour contrer la désinformation organisée par les structures officielles incriminées et puis de beaucoup d’énergie renouvelable pour convaincre, pour argumenter, pour former les journalistes à des concepts de radioprotection inconnus jusqu’alors.
Tous ces ingrédients pour la création de ce contre-pouvoir qui fut à l’époque un « petit miracle », comme l’avait dit Brice Lalonde au cours d’une journée organisée dans la Drôme pour inaugurer les premières balises indépendantes de mesure de la radioactivité.

Organiser la résistance

Comment s’organise alors la contre-attaque de ces petits miracles de résistance ?
L’institution monte au créneau par l’intermédiaire des fonctionnaires de la préfecture pour dénoncer et marginaliser les instigateurs de ces troubles. Même les ministres tiennent des propos méprisants : « La CRIIRAD, ce petit laboratoire qui fait des mesures dans sa cuisine », déclare Michèle Barzach, ministre de la Santé à l’époque. Ensuite, il y a la phase des menaces sur les agriculteurs pénalisés par leurs produits contaminés et qui, manipulés par l’institution ou par leurs syndicats, dénoncent le fauteur de troubles comme le coupable de leurs problèmes (« qui veut tuer son chien l’accuse de la rage »). Puis vient la phase des procès pour déstabiliser la petite structure par le coût des avocats et le temps passé à l’élaboration des mémoires.
La sphère politique, démunie par son ignorance des problèmes posés, va se retourner sur ces institutions qui, elles-mêmes, vont faire confiance aux fonctionnaires de l’État complice du mensonge, avec le soutien des hautes autorités de l’État, et le cycle recommence.
Enfin, la population, confiante à l’époque en ses institutions, ne pouvant croire qu’on lui ait menti sciemment pour ne pas l’alarmer, déclare :« Mais si cela avait été dangereux, ils nous l’auraient dit. »

Un arsenal de freins à connaître

La stratégie pour freiner un contre-pouvoir présente des invariants qui se reproduisent à quelques nuances près pour bien d’autres combats :

  • un lobby puissant disposant de relais dans toute la sphère des décideurs ;
  • une consanguinité entre les politiques et les industriels qui contamine l’indépendance des esprits et le sens du collectif ;
  • l’utilisation d’institutions « vérolées » mais influentes – comme les académies des sciences ou de médecine – pour distiller des propos rassurants et souvent plus idéologiques que scientifiques ;
  • la création de sociétés écrans institutionnelles ou factuelles, souvent financées par les lobbies, pour désamorcer toute critique sur le pouvoir en place ;
  • l’utilisation de scientifiques reconnus et complices pour conforter des thèses contraires aux critiques formulées par les contre-pouvoirs, alors qu’ils sont souvent juge et partie avec les lobbies incriminés ;
  • l’instrumentalisation des médias par le poids de la publicité dans leurs ressources et la pratique d’une politique de séduction vis-à-vis des journalistes ;
  • l’utilisation de la justice pour attaquer en diffamation ou intenter des procès afin de déstabiliser et de ruiner ses adversaires et de les faire renoncer à leur combat, sans parler de la stratégie de dénigrement des personnes à titre personnel.

Voilà tout un arsenal de pratiques bien huilées pour freiner les contre-pouvoirs. Pourtant, des lanceurs d’alertes, seuls ou organisés en association, continuent à émerger, à se rebeller contre les mensonges et les injustices.
Comment faire alors pour donner plus de pouvoir aux contre-pouvoirs ?

  • Reconnaître et protéger les « lanceurs d’alerte » par une loi, afin encourager les gens à dénoncer des dysfonctionnements sans pour autant perdre leur travail ou leur dignité ;
  • demander des études contradictoires ou alternatives sur un même sujet pour favoriser le débat et la controverse, pour réfléchir ensemble et permettre ainsi l’apparition de laboratoires et d’experts indépendants ;
  • rendre publics le cursus des scientifiques et leurs sources de revenus.

Favoriser l'implication des citoyens

Le pouvoir des contre-pouvoirs viendra de l’implication des citoyens et des collectivités territoriales qui les conduira à être exigeants et à demander des études indépendantes.
L’exemple de la CRIIRAD a été utile. L’État a en effet reconnu la contamination due à Tchernobyl et la publication de chiffres erronés, mais la CRIIRAD a aussi obtenu la mise en examen des fonctionnaires impliqués dans cette affaire.
Après vingt ans de travail, son expertise est désormais internationale. Et, aujourd’hui, plus personne ne demande aux opérateurs du nucléaire de rédiger un rapport sur la contamination de leurs sites, car la notion de « juge et partie » est inscrite dans la mémoire collective.
Quels que soient les régimes politiques, il y aura toujours un pouvoir qui voudra cacher, minimiser ou ignorer un problème : il appartient donc à la population de garantir l’expression de la pluralité et sa protection par une législation adéquate.
Le droit de savoir est une exigence collective.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2008-2/affirmer-le-droit-de-savoir-du-citoyen.html?item_id=2843
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