Former par l’approche «compétence»
Les Compagnons
du Devoir se plaisent à dire que la spécificité de
leur démarche de formation est la transmission. Si l’on se
réfère au dictionnaire, transmettre signifie « céder,
mettre ce que l’on possède en la possession d’un autre
» 1. Dans le cadre du compagnonnage, la notion
de transmission pourrait se définir comme la rencontre avec le
patrimoine d’un métier afin de se l’approprier et d’apprendre
à le léguer à ceux qui suivent. Elle doit donc s’inscrire
dans la durée, et suppose de voyager pour rencontrer, découvrir
l’autre et l’accepter.
Les Compagnons du Devoir s'inscrivent
par leur proposition de formation, d'accompagnement, dans un schéma
de formation tout au long de la vie : formation initiale, par l'apprentissage
du métier en alternance, perfectionnement par le voyage pour les
jeunes qui ont choisi la voie du compagnonnage, et formation continue
pour ceux qui souhaitent parfaire des connaissances, des savoir-faire
dans l'exercice de leur métier.
Quelle cohérence donner
pour que ces différentes étapes trouvent un lien entre elles
et vis-à-vis de l'éthique, des fondements des Compagnons
du Devoir ?
La notion de compétence
nous paraît un point d'entrée intéressant pour un
dispositif de formation qui :
- veut former à des
métiers. En effet, la maîtrise d'un métier se manifeste
avant tout par la compétence reconnue de celui qui le pratique
- propose une démarche
fondée sur un parcours alliant une expérience en entreprise
et des compléments en centre de formation
- prépare à
des métiers qui peuvent tous être considérés
comme des métiers de service dans la mesure où ils proposent
des biens ou des services répondant à une demande directe
ou indirecte de «clients».
Il est important de préciser
que ces actions n'ont pas de raison d'être en elles-mêmes.
Elles puisent leur sens dans la finalité de l'action du compagnonnage
du Devoir : « permettre à l'homme de s'accomplir dans et
par son métier ». Cette expression donne tout son sens à
l'action des Compagnons du Devoir. Elle exprime parfaitement que celle-ci
vise avant tout l'homme et son accomplissement, et que le moyen d'y parvenir
est l'acquisition d'un métier. C'est la constante de toutes les
actions du compagnonnage au cours de l'Histoire, y compris à travers
l'engagement du compagnon au devoir de transmettre.
La finalité de la formation
L'association conduit essentiellement des actions de
formation, d'une part, en direction des jeunes, pour les former aux métiers
d'autre part, en direction des salariés, pour maintenir et actualiser
les compétences acquises au départ. Ce qui est visé,
à l'occasion de cette formation, ce n'est pas l'obtention de tel
ou tel diplôme ou titre (même s'ils sont nécessaires)
mais la formation d'un homme de métier. C'est là la finalité
de l'action de formation.
L'homme de métier est celui qui possède
les compétences nécessaires à la pratique de son
art, en vue de produire un bien ou un service répondant à
l'attente d'un usager. Il se reconnaît à ses compétences
lui permettant de tenir un poste ou d'occuper une fonction, en un mot
de tenir sa place dans une entreprise.
Aujourd'hui, tenir sa place et être reconnu compétent
suppose, bien sûr, un savoir-faire qui renvoie à une technicité,
mais aussi une compréhension des phénomènes ou des
effets produits par l'action ce qui demande des savoirs ou des connaissances
permettant l'analyse et donc la compréhension. Enfin, la compétence
se manifeste par l'attitude ou le comportement de la personne face à
la situation professionnelle dans laquelle elle se trouve c'est une
manière d'être, d'aborder les problèmes qui lui sont
soumis qui fait aussi l'homme de métier.
Une analyse des compétences
Il apparaît donc nécessaire pour un organisme
de formation qui se donne comme objectif de former un homme de métier
d'être au clair sur les compétences nécessaires à
cet homme pour la pratique de son métier aujourd'hui. C'est donc
par l'analyse des compétences que doit commencer toute démarche
d'élaboration d'un cursus de formation à un métier.
Par compétence, nous entendons : la mise en œuvre d'un ensemble
combiné de savoirs, de techniques et de comportements professionnels
dans une situation donnée, demandant initiative et responsabilité.
Les Compagnons du Devoir affirment que les lieux d'acquisition
des compétences sont avant tout ceux où se pratiquent les
métiers, c'est-à-dire… les entreprises.
L'entreprise sollicite souvent directement les savoir-faire.
Or ceux-ci nécessitent en général, soit des apprentissages
préalables, compte tenu des conséquences pouvant découler
de mauvaises mises en œuvre, soit des connaissances nécessaires
à l'appréhension des phénomènes et de leurs
effets. C'est là que se justifie souvent un autre lieu d'acquisition
des éléments du savoir constitutifs de la compétence
: le centre de formation.
Enfin, comme le dit la sagesse populaire : « on
en apprend tous les jours », la vie, le quotidien, qui plus est
l'engagement dans telle ou telle action, activité ou mouvement…
peuvent être aussi des lieux
d'expériences où l'on acquiert des compétences, ou
tout au moins des éléments constitutifs de certaines compétences.
Ainsi nous pouvons identifier trois lieux de construction des compétences
d'une personne : l'entreprise, le centre de formation, les expériences
de la vie.
Le patrimoine des savoirs, des techniques acquises ou
du savoir-être ne devient compétence que lorsqu'il est reconnu
dans une circonstance professionnelle donnée. En dehors de l'action
qui permet le constat, il n'y a pas à proprement parler de compétence,
il y a peut-être aptitude ou capacité. On dit de quelqu'un
qu'il est compétent en regardant le résultat de son action
dans un contexte donné. Il n'y a donc pas de compétence
sans reconnaissance.
Cette reconnaissance peut être assurée par
différents acteurs considérés comme légitimes.
Dans la démarche de formation que proposent les Compagnons du Devoir,
au moins trois entités peuvent être identifiées pour
intervenir dans cette reconnaissance : l'entreprise (au sens des professionnels
intervenant dans celle-ci), le ou les formateur(s) (intervenant dans les
centres de formation) et le corps de métier (au sens des compagnons
du corps de métier pouvant être amenés à côtoyer
le professionnel).
Des parcours de formation individualisés
Le Tour de France est, dans sa conception, un parcours
individuel qui, par une suite d'expériences, permet à chacun
de se former. L'idée d'un parcours sous-entend la notion de projet.
Il n'y a pas de sens à un parcours sans objectif. Aussi, la mise
en place d'un parcours de formation va supposer l'élaboration par
l'itinérant d'un projet professionnel. Il est clair que celui-ci
n'existe que très rarement a priori, il est souvent nécessaire
d'aider le jeune à le construire. C'est pourquoi il est primordial
qu'il soit au clair sur les compétences nécessaires à
l'exercice du métier qu'il veut exercer.
L'analyse des compétences nécessaires permettant
de construire le projet, permettra aussi le positionnement en vue de la
reconnaissance des acquis antérieurs. Alors le parcours des acquisitions
complémentaires pourra être construit.
Une indispensable validation
La reconnaissance n'est pas la validation, qui suppose
l'obtention d'un diplôme, d'un titre ou d'un certificat délivré
par un jury habilité à cet effet. Aujourd'hui, nul ne peut
nier l'intérêt d'une validation des parcours de formation.
C'est pour cela que les Compagnons du Devoir ont décidé
de s'engager dans cette voie à l'issue des parcours d'expériences
en entreprise complétés par une formation complémentaire
en centre (Maison des compagnons). Mais le processus de validation des
acquis de l'expérience ne peut se construire que sur une explicitation
des compétences acquises à l'occasion du travail. Aussi,
là encore apparaît la nécessité d'une approche
compétence pour mettre en place un tel dispositif.
La formation initiale par apprentissage affiche très
clairement comme finalité
l'obtention d'un diplôme. C'est un objectif légitime. Cependant,
il y a alors le risque de soumettre la formation initiale aux seules nécessités
du diplôme et, ainsi, d'entraîner chez le formateur la mise
en place d'un cursus de formation qui ne prenne en compte que cette finalité,
en négligeant la réalité de la pratique du métier
en entreprise.
L'objectif de la formation initiale est aussi la maîtrise des opérations
confiées à un débutant en entreprise et l'acquisition
des bases du métier qui doit permettre ensuite de construire les
parcours personnalisés de formation. L'approche de la formation
au métier par les compétences permet une analyse plus précise
des savoir-faire nécessaires aux débutants et leur meilleure
prise en compte dans l'organisation de la formation initiale.
Il n'est pas question de démontrer que l'approche
par les compétences est la solution miracle à toutes les
questions concernant la formation. Cependant, la notion de compétence
nous paraît pertinente pour notre démarche de formation.
Elle apporte à la fois la cohérence nécessaire et
les éléments de progrès que nous devons mettre en
œuvre pour répondre aux attentes des jeunes du Tour de France
et des salariés d'entreprise. C'est une notion qui « colle
» bien avec l'idée de formation tout au long de la vie.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/former-par-l-approche-«competence».html?item_id=2537
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