© Olivier Garros
Alain Sionneau est président de la SMA-BTP et du groupe Projets Actions Formation du Medef.
Refonder la formation professionnelle continue
L’accord du 20 septembre
2003 sur la formation continue apporte nombre de novations sur lesquelles
insiste le chef de file de la négociation pour le Medef.
Dans notre pays, la formation
professionnelle est un sujet très souvent passionnel, tant elle
concerne un grand nombre d'acteurs, tous profondément attachés
au développement de la per-sonne, à sa qualification, sa
reconnaissance, sa réussite. Les moyens attribués sont considérables,
les chemins et les pratiques de la formation les plus divers. Cependant,
les systèmes légaux et conventionnels et les dispositifs
publics et professionnels, créés depuis près d'un
siècle n'ont pas atteint pleinement leurs buts.
En ce début de troisième
millénaire, jeunes et adultes n'ont pas les mêmes chances
d'accès à la formation. Nombreux sont ceux qui n'ont pas
acquis le noyau de compétences fondamentales leur permettant de
devenir des citoyens responsables et des professionnels qualifiés
et aptes à évoluer.
Avec le temps, tout système
dérive. Nous avons par exemple constaté que la formation
n'avait pas toujours l'ambition de rendre les entreprises plus compétitives.
Ajoutons à ces dérives les raideurs administratives, les
modèles pédagogiques par trop normés qui ne conviennent
plus à un monde économique en perpétuel mouvement,
exigeant souplesse et réactivité.
Il devenait donc urgent de refonder
la formation professionnelle continue, en prenant en compte les évolutions
de l'environnement des entreprises et des pays appartenant à l’Union
européenne avec ses repères de cohérence, alors que
le concept de formation tout au long de la vie a fait son chemin dans
les esprits. Encore fallait-il s'assurer que les entreprises, les employeurs
et les salariés s'appropriaient l'idée, et étaient
prêts à inventer les voies et moyens de la traduire dans
des modalités de réalisation possibles.
L'accord social entre les parties
légitimes a pu être facilement construit sur cette base de
réflexion, en y intégrant des objectifs de progrès
comme la responsabilité partagée, la professionnalisation,
le droit à formation pour tous et l'engagement pour l'élévation
des qualifications.
Au cœur de l’entreprise
Depuis longtemps, les professions organisées et
représentatives d'un grand nombre d'entreprises savent combien
l'apport d'une ingénierie spécifique en formation continue
est indispensable. De même, l'appel à des formateurs professionnels
est une condition incontournable pour répondre aux besoins.
Il était cependant utile, pour les jeunes comme
pour les salariés, de rétablir plus fortement la logique
qui consiste à partir de la réalité des emplois et
des situations de travail. De même, il est plus efficace de partir
du partage du diagnostic des compétences, d'une part, et de la
détermination des objectifs et des moyens entre l'employeur et
son salarié, d'autre part. Évolutions vers des comportements
plus participatifs des salariés et des employeurs, mais évolutions
des comportements des organismes de formation aussi. La formation continue
est liée d'abord et avant tout à l'activité présente
et future de l'entreprise, au contrat de travail, à l'emploi, à
la compétence et à la qualification de chaque salarié.
Sont en jeu l'existence même de l'entreprise et l'employabilité
des salariés. Cette formation ne peut être seulement tributaire
de modèles et de référentiels par trop normatifs.
Notre accord du 20 septembre est opportun et novateur.
Il arrive en effet au moment où la compétition interentreprises,
interprofessions et interpays fait rage pour trouver les collaborateurs
les plus qualifiés et les plus talentueux, à l’heure
où l'inversion démographique produit des bouleversements
dans la gestion des ressources humaines des entreprises.
La responsabilité comme philosophie générale
De ces réalités, ajoutées aux inégalités
d'accès à la formation qui se sont creusées au fil
du temps, l'enjeu de la négociation est apparu clairement : il
s'agissait de créer les conditions d'une modification profonde
de certains comportements en matière de formation continue au sens
large du terme.
Par exemple, il n'y a pas si longtemps, on entendait
certains parler de « dédit formation » et réclamer
que les salariés quittant l'entreprise remboursent l'investissement
formation dont ils avaient pu bénéficier ! Ce type de raisonnement
n'est plus adapté aux besoins de mobilité des salariés
ni aux fluctuations que subissent les entreprises dans notre économie
moderne et planétaire.
Si l'on a pu parler avec raison d'accord « historique
», c'est parce qu'il pose l'équation « salarié
acteur = salarié libre », en même temps qu'il oblige
chaque employeur à s’investir réellement, en prenant
l'initiative de la discussion, de la construction de projets et de plans
d'élévation des compétences. Cet accord est équilibré
parce qu'il repose sur l'engagement personnel du salarié et sur
la possibilité de se former hors temps de travail. Avec le nouveau
droit individuel à la formation — le DIF — créé
par cet accord, si la formation s'effectue à l'initiative du salarié,
c'est toujours avec l'accord de l'entreprise, à qui reste la charge
de payer les coûts de formation. Ce DIF peut par ailleurs être
financé à la fois par les fonds de l'entreprise, les fonds
de branche et la contribution en temps du salarié. Beaucoup de
professions dont celle du Bâtiment ont toujours souhaité
cette forme de fongibilité des financements pour mettre en œuvre
des projets à la carte, en particulier adaptés à
la situation de chaque entreprise, a fortiori des petites et moyennes.
Responsabiliser l'employeur, tous les employeurs sur
l'adaptation et l'élévation des compétences de leurs
collaborateurs ; responsabiliser les salariés, tous les salariés,
sur le maintien ou le développement de leur niveau d'employabilité
et de qualification, telle est la colonne vertébrale de l'accord
signé par tous les partenaires sociaux.
Comment traiter la double difficulté souvent exprimée
par les employeurs qui prétendent que les jeunes sortant de l'école,
au sens large du terme, sont loin d'être employables dans les situations
de travail d'aujourd'hui ? Ils attendent de l'école qu'elle donne
des connaissances plus nombreuses et plus importantes afin que ces jeunes
s'adaptent aux fluctuations économiques notamment.
Professionnaliser
L'école ne peut remplir tous les rôles.
L'entreprise a la responsabilité de professionnaliser les débutants
et parfois de reprofessionnaliser ses salariés en milieu de carrière
ou ayant subi une rupture ou ayant besoin d'une remise en condition de
réussite professionnelle. Il fallait offrir, d'une part, aux jeunes
et aux salariés qui ont des parcours si multiformes aujourd’hui,
et c'est tant mieux, et d'autre part, aux employeurs qui ont des emplois
si différents les uns des autres à proposer, la possibilité
de définir des objectifs de professionnalisation et de formation
dans le cadre d'un contrat de travail effectif.
Or, pour traiter la variété des situations,
des niveaux, des personnes, des âges, il fallait concevoir un contrat
à négocier dans sa durée et son temps de formation,
bien entendu à partir d'une base minimum. Le contrat et la période
de professionnalisation que nous avons créés sont inscrits
dans la philosophie recherchée, à savoir codécision
d'abord au cœur de l'entreprise avant de faire appel à la
compétence complémentaire d'un prestataire de formation.
Et puis, nous avons introduit dans cette formule tous les acquis incontestés
de la formule de l'apprentissage et des contrats d'insertion en alternance
qui puisent leur source dans l'acte de travail.
Un nouvel élan
Jules Ferry a inventé l'école obligatoire
pour tous. Cent ans plus tard, notre accord interprofessionnel du 20 septembre
crée les conditions d'une formation tout au long de la vie pour
tous et de l'investissement formation pour tous les employeurs.
Il n'y a pas d'amélioration des performances des
entreprises sans progrès des compétences et élévation
des qualifications de leurs collaborateurs. Il n'y pas de progrès
humain sans progrès économique.
Au pays des droits de l'Homme, nous avons ajouté
une pierre à la mise en œuvre de cette déclaration
universelle. Mais il n'y a pas de droits sans devoirs. C'est pourquoi
nous avons introduit le devoir d'investir dans la formation de tous et
le devoir de prendre soin de son capital compétences pour chacun.
Beaucoup de pays envient notre détermination dans
le domaine de la formation professionnelle. Certains ne prendront pas
les voies que nous avons empruntées, considérant que, dans
une démocratie ouverte et libérale, chaque individu a la
liberté de se former et chaque employeur celle de former ses collaborateurs.
Notre tradition est autre. Les grandes réalisations
de notre pays sont le fait d'un maillage de droits et de devoirs, de pouvoirs
d'initiatives et de contraintes régaliennes. L'accord 2003 refondant
la formation professionnelle continue trente ans après ses premiers
socles de 1971, contraint les employeurs et les salariés à
prendre des initiatives, si ce n'est l'initiative de la formation. Mais
il libère les énergies et favorise la créativité
par sa méthode de mise en œuvre au niveau de l'entreprise.
Il ouvre des espaces nouveaux à la formation et des horizons probablement
insoupçonnés pour le progrès de l'Homme et de l'entreprise
France.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/refonder-la-formation-professionnelle-continue.html?item_id=2528
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