Former des leaders
Former les managers à
leurs responsabilités d’encadrement a fait partie des acquis
de la formation professionnelle depuis vingt ans. L’évolution
actuelle et à venir de l’organisation du travail, de la relation
à l’entreprise et de la notion même de management interroge
cette conception « clés en main » de la formation.
Tant en formation professionnelle qu’en formation initiale, la question
devient : comment détecter et former des leaders ?
Qu'est-ce qu'un cadre et un manager
? Il semble évident depuis longtemps qu'un manager a des fonctions
d'encadrement, c'est-à-dire de fixation d'objectifs, d'évaluation
et de contrôle des résultats, et d'organisation des tâches.
Il est en quelque sorte le relais entre la direction de l'entreprise,
dont il partage les orientations, et les salariés placés
sous sa responsabilité, dont il organise l'activité. Un
modèle de responsabilité vertical, stable, structuré,
qui reste encore un horizon à atteindre dans un certain nombre
d'entreprises.
Ce modèle s'est enrichi
au fil du temps d'une responsabilité du manager sur l'évolution
professionnelle des salariés placés sous sa responsabilité.
Le nouvel accord national interprofessionnel met en valeur cette deuxième
mission, par l'instauration systématique d'entretiens professionnels
avec le salarié tous les deux ans, et la reconnaissance de la fonction
tutoriale dans l'entreprise.
Le rôle des managers évolue
Ce modèle, même élargi, rencontre
un certain nombre de limites, car le rôle même des managers
est en pleine transformation. Trois facteurs principaux contribuent à
cette modification profonde du rôle des managers.
Tout d'abord, le positionnement et l'identité
même des managers ont changé. Jusqu'aux années 1980-1990,
les cadres et les managers s'identifiaient eux-mêmes à l'entreprise
et vivaient avec une certaine fierté et le sens de la responsabilité
le fait d'être les relais de la direction d'entreprise. Ils contribuaient
au succès de l'entreprise, qui était leur propre succès.
Ils avaient un sentiment d'appartenance à l'entreprise et à
une catégorie socioprofessionnelle. Les restructurations pour améliorer
la compétitivité des entreprises existent depuis les débuts
de l'ère industrielle, qu'elles soient liées à la
nécessité de productivité, à des fusions ou
à la recherche de synergies. L'élément nouveau depuis
les années 90, c'est que ces restructurations touchent fortement
l'emploi des cadres, et non plus seulement celui des autres salariés.
Licenciements et préretraites massives ont fait leur apparition
chez les cadres eux-mêmes. Ils ne sont plus des acteurs privilégiés,
protégés par leur fonction.
Cette émergence du risque de perte d'emploi a
généré une distorsion dans le lien des cadres à
l'entreprise, mais aussi et surtout de la génération suivante,
qui a vu ses parents s'investir à fond pour l'entreprise, y consacrer
tout leur temps et leur énergie, s'identifier à celle-ci,
puis parfois perdre leur emploi.
Toutes les enquêtes sur les jeunes montrent cette
nouvelle distance par rapport à l'entreprise : il ne s'agit plus
pour eux de se « donner » pour l'entreprise en attendant un
retour (promotion, salaire, responsabilités) sur le long terme,
mais de trouver une relation « gagnant-gagnant » sur le court
terme avec, si possible, une perspective.
Le rapport à l’autorité
se transforme
Par ailleurs, les relations ont profondément changé
dans les familles, modifiant le rapport à l'autorité jusque
dans les entreprises. Les salariés de moins de trente ans ont été
élevés dans des contextes familiaux très différents
de ceux de la génération précédente. Pour
la majorité des jeunes, l'autorité n'est plus légitime
en soi, ils attendent une relation différente, légitimée
par la compétence, fondée sur le respect réciproque,
plus proche, qui inspire et encourage.
Les jeunes salariés, dans toutes les catégories
socioprofessionnelles et tous les pays développés, témoignent
d'un refus de l'autoritarisme sur le « comment », c'est-à-dire
sur l'exécution des tâches et le contrôle de détail.
En revanche, les différentes études sur le sujet montrent
qu'ils ont une attente très forte vis-à-vis des dirigeants
sur le « pourquoi », c'est-à-dire le partage de la
vision de l'entreprise, le sens de ce qui est accompli et la manière
dont les hommes vont pouvoir apprendre, évoluer et être reconnus
dans l'entreprise. Ils attendent moins d'ordres et plus de repères.
Moins de « fordisme » dans l'organisation,
plus de sens et de reconnaissance, l'attente des nouvelles générations
interpelle les managers : hier, ils occupaient une fonction d'encadrement,
demain ils sont amenés à devenir des leaders. L'exigence
du management ne diminue pas, bien au contraire, mais elle se légitime
dans la valeur ajoutée que le leader apporte.
Il ne s'agit pas seulement d'une nouvelle fonction, car
l'évolution du manager des vingt dernières années
l'a déjà intégré : le modèle du «
petit chef » tâtillon qui considère ses collaborateurs
comme de simples exécutants corvéables à merci a
fait long feu depuis longtemps, dans les petites comme dans les grandes
entreprises. Là où, rarement, il existe encore, il ne fonctionne
plus et constitue une source d'inefficacité.
Le seul statut ne confère plus la légitimité
Il s'agit pour les managers de devenir des leaders :
l'attente porte non seulement sur un rôle, mais aussi sur une authenticité,
une manière d'être. Ils doivent donner des repères,
faire partager la vision et les objectifs, utiliser le contrôle
comme un levier de reconnaissance (le « feed-back »), mais
l'attente va au-delà : ils doivent devenir eux-mêmes des
repères. Leur statut ne suffit plus à les légitimer,
leur leadership personnel est en jeu.
Cette attente de leadership provient de l'ensemble des
partenaires de l'entreprise : de ses collaborateurs, on l'a vu, mais aussi
des partenaires sociaux, des clients, des fournisseurs...
L’impact des nouvelles technologies
Enfin, les évolutions des nouvelles technologies
et de l'organisation du travail ont un impact important sur le rôle
et les responsabilités des managers. Les organisations du travail
deviennent plus flexibles, plus réactives, elles mettent en œuvre
des processus plus complexes, et sont en permanente évolution pour
mobiliser les ressources de l'entreprise sur ses objectifs stratégiques,
dans des marchés eux-mêmes fluctuants. Les standards en coûts,
délais et qualité ne cessent de s'élever, dans l'industrie
comme dans les services.
En outre, les nouvelles technologies ouvrent des perspectives
totalement nouvelles de travail en réseau, permettant de mobiliser
très rapidement des compétences dans le monde entier. Dassault
Systèmes, par exemple, est éditeur de logiciels, leader
mondial du PLM (Product Life Cycle Management). Nos solutions permettent,
avec la puissance de la 3D, de créer, concevoir et simuler la vie
d'un produit, de sa fabrication jusqu'à son recyclage, dans tous
les secteurs industriels (automobile, aéronautique, produits manufacturés,
grande consommation…), mais aussi dans d'autres secteurs comme l'architecture
(le Musée Guggenheim de Bilbao et le Walt Disney Concert Hall de
Los Angeles ont été conçus par Franck Gehry avec
le logiciel Catia).
Pour concevoir ces solutions, les ingénieurs et
scientifiques de Dassault Systèmes coopèrent dans un environnement
collaboratif, de Boston à Tokyo ou Paris, travaillant simultanément
sur la même maquette numérique, entre différents «
labs » et avec nos clients. Les grands clients industriels travaillent
de même avec leurs sous-traitants. L'environnement collaboratif
3D supprime les barrières de temps et d'espace, développe
l'innovation grâce aux interactions sur le même produit, entre
ingénierie R&D et production industrielle, donneur d'ordres
et sous-traitants. Le virtuel modélise et façonne la réalité.De
même qu'Internet modifie déjà la communication des
grandes entreprises comme des petites, notamment dans leurs relations
avec leurs clients, de même l'environnement collaboratif modifiera
les situations de travail de demain dans de nombreux secteurs.
Une autre organisation du travail
Cette nouvelle dimension introduite par la technologie
contribuera à modifier les relations de travail et, par voie de
conséquence, le rôle des managers : le caractère fondamental
du travail en équipe, la force du réseau, le sens de l'interaction
comme source d'innovation, deviennent des fondamentaux. Le manager doit
pouvoir orienter, piloter et soutenir des équipes transversales,
souvent internationales et transfonctionnelles. La plupart des salariés
engagés dans un projet ou une activité sous sa responsabilité
ne dépendent pas de lui hiérarchiquement. Sa légitimité
ne repose plus sur son statut, mais sur sa mission, son énergie,
sa capacité à mobiliser, stimuler et faire réussir
un projet, son talent à faire révéler et grandir
le potentiel de chaque membre de l'équipe comme de l'équipe
elle-même.
Si le cadre d'hier occupant une fonction de manager est
amené à devenir demain un leader, la question clé
n'est plus : comment former les managers, mais : comment détecter
et préparer les leaders ? Répondre à cette question
constitue une mission cruciale des équipes de direction. En témoignent
l'ampleur et la fréquence des programmes de management, des actions
de formation au leadership et de détection des hauts potentiels
dès les premières années de vie professionnelle.
Compte tenu des caractéristiques de leadership évoquées plus haut, la détection des futurs leaders,
à tout niveau, est au moins aussi importante que la formation au
management, qui par ailleurs doit être pleinement intégrée
dans la culture d'entreprise pour être efficace. Cette détection,
qui fait de plus en plus souvent l'objet d'un process, repose sur des
caractéristiques similaires dans toutes les entreprises, mais aussi
sur l'adhésion à la vision, aux valeurs et à la culture
de chaque entreprise, dans sa singularité. Un leader peut réussir
dans une entreprise, et échouer dans une autre. L'exposition des
futurs leaders, c'est-à-dire la mise en situation sur des activités,
missions ou projets clés est un bon moyen d'évaluation et
d'accélération de leur développement, comme leur
rotation rapide sur des fonctions à fort enjeu en termes de formation.
Le tutorat ou coaching par un dirigeant est également utilisé
comme support pour faire grandir les futurs leaders.
Détecter les futurs leaders
Le vivier des futurs cadres et managers est-il préparé
à cette transformation ? On peut en douter fortement, quand on
constate que la formation initiale, en France, repose encore principalement
sur la compétition individuelle et la reproduction des schémas
de pensée, quand il faudrait développer les comportements
et les aptitudes à coopérer, agir efficacement en réseau,
résoudre collectivement des problèmes, négocier,
innover ensemble, créer.
Un nombre encore trop important de jeunes diplômés arrivent
sur le marché du travail en confondant esprit d'initiative et autonomie
individualiste, prise de responsabilité et protection de territoire,
leadership et statut de cadre, intelligence du questionnement et critique
désabusée. La plupart n'ont ni expérience, ni méthodologie,
ni état d'esprit de réel travail d'équipe. Ils sont
en général bien armés intellectuellement, mais peu
aptes à communiquer, à convaincre, à entraîner vers un but commun, à
ouvrir des voies nouvelles. Ils ont encore à apprendre à
faire grandir les autres, en partageant leur savoir et leur expérience,
afin de devenir de vrais leaders. Un leader ne se décrète
pas, il se reconnaît.
Bibliographie
- Objectif Compétences, version une nouvelle politique, P.Zarifian, Ed.Liaisons, 1999
- Préparer les dirigeants de demain, F.Bournois et S.Roussillon, Ed.d’Organisation, 1998
- Pourquoi j’irais travailler ?, J.Duval-Hamel, F.Bournois, J.Rojot, S.Roussillon et R.Sainsaulieu, Ed.d’Organisation, 2003
- Livre Blanc des Jeunes, Travail et changement social, site Cofremca
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/former-des-leaders.html?item_id=2536
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