est une journaliste française installée à New York.
États-Unis : e-learning et universités d'entreprise se développent
La formation en ligne représenterait
déjà le quart des dépenses de formation continue
outre-Atlantique alors que nombre de grands groupes ont mis en place leurs
propres universités.
On ne s'attend pas à trouver
l'US Army à la pointe de l'innovation en matière de formation
professionnelle. C'est pourtant le cas. Il y a trois ans, la société
de conseil PricewaterhouseCoopers, qui fait aujourd'hui partie d'IBM,
le géant de l'informatique, a été sélectionnée
par le département de la Défense pour créer une université
militaire virtuelle baptisée « eArmyU » dont la mission
est de dispenser une formation à distance à des dizaines
de milliers de soldats en activité.
En organisation soucieuse de la
rentabilité de ses investissements et de la maîtrise de ses
coûts, l'armée américaine décidait au début
de l'année, peu avant le conflit avec l'Irak, de procéder
à un audit de son programme pour vérifier si l'énorme
contrat de 450 millions de dollars sur cinq ans remporté par la
filiale d'IBM valait toujours la dépense. « Il était
sain de faire une pause après deux ans pour évaluer l'intérêt
du contrat », a justifié Diane Stoskopf, directeur du service
Un marché évalué à 50 milliards de dollars
Le bilan est plutôt positif : plus de 30 500 militaires
d'active ont eu recours à eArmyU et, au total, 80 000 soldats sont
censés suivre une formation pendant les cinq années de ce
programme devenu très populaire dans les casernes. Devant ce succès,
IBM a décidé d'étendre la gamme des formations proposées
et le nombre d'établissements d'enseignement supérieur partenaires
est passé de 19 à 32 en 2003. Ces établissements
sont choisis par IBM pour la qualité de leur offre de formation
en ligne.
La formation professionnelle représente un marché
de plus de 50 milliards de dollars de dépenses par an aux États-Unis,
selon l'estimation la plus large qui comprend les entreprises et les administrations
comme l'armée. Un chiffre en hausse de 10 milliards de dollars
par rapport au début des années 1990. Pour les seules grandes
entreprises réalisant plus de 500 millions de dollars de chiffre
d'affaires, les dépenses de formation ont atteint environ 12 milliards
de dollars en 2003, selon le Fairfield Report, et dépassé
les 1 000 dollars par salarié.
De grandes variations suivant les secteurs
Bien qu'aucune loi ne les y oblige — à la différence
de ce qui existe dans de nom-breux autres pays développés
—, les entreprises américaines ont dépensé en moyenne
2,2 % de leur masse salariale en formation professionnelle en 2002, selon
une étude de l'American Society for Training and Development (ASTD)
qui représente les professionnels du secteur. Contre 1,9 % en 2001,
année marquée, il est vrai, par le ralentissement de l'économie,
l'éclatement de la bulle Internet et les attentats du 11 septembre.
Malgré l'absence de contrainte légale, 79 % des salariés
américains du secteur privé ont reçu une formation
en 2002.
Ce pourcentage global masque en fait des variations considérables
d'une entreprise à l'autre ou d'un secteur à l'autre. «
Dans certains secteurs comme les hautes technologies, les dépenses
de formation dépassent 6 % de la masse salariale », explique
Jeanne Meister, partner chez Accenture Learning, l'un des gros intervenants.
L'ASDT avance une fourchette moyenne de 1 à 4 % de la masse salariale,
soit entre 300 et 1 500 dollars par employé.
Il n'existe pas non plus d'incitation fiscale pour soutenir
la formation continue aux États-Unis. « Ce n'est pas vraiment
nécessaire », ajoute la responsable d'Accenture Learning.
« Les entreprises savent bien ce qu'elles perdraient si elles
n'engageaient pas ces dépenses et elles ont d'ailleurs de plus
en plus tendance à les considérer comme un investissement
plus que comme un coût facilement compressible. »
Une étude réalisée sur quatre ans
par l'ASDT a permis de mesurer l'impact des dépenses de formation
sur la performance des grandes entreprises. Les conclusions sont éloquentes
: en moyenne, les entreprises qui investissent 1 500 dollars par employé
ont une marge brute supérieure de 24 % à celles qui n'investissent
que 125 dollars. Et elles affichent un chiffre d'affaires par employé
supérieur de 218 %. L'investissement est coûteux mais rentable.
On se souvient du mot de Derek Bok, l'ancien président de Havard
qui avait parfois un peu de peine à justifier les frais de scolarité
exorbitants de la prestigieuse université : « Si vous
trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance !
»
L’explosion de l’e-learning
La nouveauté ces dernières années
est bien sûr la part prise sur ce vaste marché par l'e-learning,
la formation en ligne, une technologie grandement facilitée par
la généralisation de l'Internet à haut débit
dans les entreprises. Là encore, les estimations varient mais selon
le cabinet IDC, le marché de l'e-earning atteindra 18 milliards
de dollars en 2005, soit plus du quart du gâteau.
Le nombre d'acteurs sur le marché de l'e-learning a littéralement explosé ces dernières années,
les universités traditionnelles n'étant d'ailleurs pas en
reste. Plus de 3 000 établissements d'enseignement offrent des
cours payants sur le Web, concurrençant les sociétés
spécialisées dans la formation.
« La plus forte demande de formations on line
vient de l'industrie des hautes technologies car le personnel de ces entreprises
a l'habitude de travailler avec un ordi-nateur », explique Andy
DiPaolo, directeur exécutif du Center for Professional Development
de l'université de Stanford, l'une des plus actives sur ce créneau.
Les entreprises sont attirées par l'e-learning, notamment
pour des raisons de coût (moins cher qu'une formation dans une salle
de classe), de rapidité (former très vite des centaines
de vendeurs à un nouveau produit, par exemple) et de commodité
(géographique, horaires, etc.). « Le problème est
que ces critères ne doivent pas être les seuls pris en compte.
L'entreprise doit aussi être bien consciente de ce que cela signifie
pour les salariés », prévient Jeanne Meister.
« Suivre des cours on line requiert une extraordinaire motivation
», ajoute DiPaolo.
Les expériences d'e-learning comportent
des échecs retentissants — lorsqu'un nombre trop élevé
d'employés s'avèrent incapables d'utiliser efficacement
les outils informatiques — et de véritables succès. Après
sa scission avec l'équipementier de télécommunications
Lucent, le groupe américain Avaya a dû très vite mettre
en place une formation accélérée pour ses collaborateurs
dans vingt pays. Une grande partie de l'effort a été réalisé
via des formations sur le Web et les résultats ont été
à la hauteur : en six mois, Avaya a réduit de 50 % le temps
moyen d'acquisition de compétences de ses salariés. De même,
le groupe informatique Cisco a réduit grâce à l'e-learning
le temps de formation de ses vendeurs, gagnant ainsi un avantage compétitif
crucial.
Plus de deux mille universités d’entreprise
L'autre tendance de fond est l'essor de ce que l'on appelle
les corporate universities, les universités d'entreprise. On en
dénombre plus de 2 000 aux États-Unis (400 il y a dix ans),
un chiffre à comparer aux 3 600 établissements d'enseignement
supérieur agréés. Des magazines spécialisés
traitent même de l'actualité de ces structures qui, pour
les plus abouties, fonctionnent comme des centres de profit et non plus
de simples branches internes de l'entreprise. C'est le cas, par exemple,
de Toyota University aux États-Unis, dont les clients sont les
milliers de concessionnaires de la marque.
Le terme corporate university est un peu une invention
marketing, selon Tim Lewis, directeur général de Eddie Bauer
University, mais il correspond à une réalité. À
travers elles, les entreprises veulent mieux contrôler la rentabilité
de la formation professionnelle continue et rendre plus efficace la transmission
du capital de savoir développé en interne. Les sociétés
cotées en Bourse dont les comptes sont épluchés par
les analystes financiers sont en première ligne : elles ont besoin
de justifier leurs budgets de formation et sont mieux considérées
par les investisseurs si elles peuvent apporter une preuve de la rentabilité
de ce type d'investissement. De ce point de vue, la création d'une
corporate university peut être un message adressé aux actionnaires
pour montrer que l'entreprise est soucieuse d'augmenter le retour sur
investissement (ROI) de ses dépenses de formation professionnelle.
La question de l'évaluation de la rentabilité
de ces dépenses et de leur retour sur investissement est au coeur
du débat aux États-Unis actuellement. De plus en plus de
cabinets plus ou moins sérieux en profitent d'ailleurs pour proposer
— c'est la mode — des services d'audit de la qualité de la formation
professionnelle. Il est vrai que peu d'entreprises se préoccupent
réellement de mesurer la rentabilité de leurs investissements.
Selon une étude d'ASTD, seulement une entreprise sur trois essaie
de mesurer l'efficacité de la formation, et à peine plus
d'une sur dix mesure l'impact de la formation sur le chiffre d'affaires.
Dans cette matière, l'US Army se montre décidément
à l'avant-garde avec son programme eArmyU. Ce n'est pas la seule
fois que ses méthodes ont inspiré le monde de l'entreprise.
Dans un ouvrage sur la formation professionnelle, le professeur David
Garvin, de Havard, raconte qu'une cellule de l'armée collecte les
expériences vécues sur le terrain pour les intégrer
immédiatement dans les exercices d'entraînement. Ce fut le
cas notamment après l'invasion de Haïti où, à
chaque fois que des troupes rentraient à leur base, les exercices
de simulation de combat étaient affinés. Au bout de six
mois, l'armée avait été capable de codifier vingt-quatre
« situations réelles » et de former ses soldats en
conséquence, avec des résultats mesurables en terme d'efficacité.
Suivant ce modèle, de grandes entreprises comme Xerox ou IBM ont
systématisé l'intégration de cas réels dans
leurs cursus de formation.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/etats-unis-i-e-learning-i-et-universites-d-entreprise-se-developpent.html?item_id=2532
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