Jacques LORTHIOIR

est directeur de la formation du CCCA-BTP.

Partage

Le BTP à l'avant-garde de l'alternance

Si l’alternance est apparue en France plus tard qu’on ne le pense souvent, les entreprises du Bâtiment et des Travaux Publics ont fait figure de pionnières et continuent de s’impliquer fortement dans la formation professionnelle..

Selon les pays d'Europe et les périodes, les entreprises se sont plus ou moins impliquées dans l'organisation de la formation professionnelle. Cet engagement varie selon trois modèles d'organisation dont les objectifs peuvent être très variés, allant de l'éducation complémentaire de jeunes soumis encore à l'obligation scolaire, à l'adaptation rapide d'autres jeunes à des contextes et process spécifiques d'entreprise.

Trois schémas « historiques » d’organisation

Ces trois modèles peuvent se définir de la façon suivante :

  • l'école sur le chantier ou dans l'entreprise, que caractérise la forme la plus ancienne de « l'apprentissage sur le tas »
  • le chantier ou l'entreprise à l'école, qui a longtemps constitué le modèle d'enseignement technique dominant en France, ainsi que celui de la majorité des pays latins. Il s'agit d'un enseignement hors milieu professionnel visant des applications raisonnées dans des situations de simulation et préalables à l'emploi
  • la formation alternée entre l'école et l'entreprise, qui repose sur une organisation concertée dont l'efficacité ne peut être acquise qu'à partir d'un système de relations et d'engagements réciproques, et dont la forme contractuelle est plus ou moins réglementée.

Dans ce cas, on peut différencier deux formes d'alternance :

  1. celle qui est organisée autour d'un jeune salarié, par une entreprise, et qui est cadrée par un contrat de travail dont l'objectif est l'acquisition d'une qualification professionnelle. C'est le cas, par exemple, du contrat d'apprentissage ou du contrat de qualification (contrat d'alternance) qui doit laisser place au contrat de professionnalisation
  2. celle qui est caractérisée par le statut de lycéen (LP, LT) ou d'étudiant (STS, IUT) et qui n'envisage l'implication d'une entreprise que sous la forme de stages, de séquences éducatives ou, au mieux, de périodes de formation en entreprise, dont la durée et la forme sont arrêtées dans des conventions de stage établies par l'école.

Une évolution progressive

Depuis une vingtaine d'années, ces trois modèles se sont progressivement fondus en un seul, celui de l'alternance. Il semble aujourd'hui incontournable et affirme la place indispensable de l'entreprise dans l'éducation des jeunes et dans l'acquisition de compétences constitutives d'une qualification professionnelle, que ces jeunes soient salariés ou étudiants. Devant l’importance de la place occupée désormais par l'entreprise dans la formation professionnelle, on pourrait penser qu'il en a toujours été ainsi, mais est-ce vraiment le cas ? S'agissant de la formation sur le tas, qui constitue la forme la plus fondamentale et la plus traditionnelle, il est évident qu'elle n'était possible que par l'engagement d'une entreprise ou plus largement d’une « corporation » dans le recrutement, la formation et l'accompagnement d'un jeune.

Ce système était fondé sur le mimétisme opératoire. Il ne se développait que dans la durée (5 à 10 ans). Souvent empreint de malthusianisme, il ne permettait d'accéder qu'à une qualification ouvrière ou, au mieux, de compagnon. Ce système des corporations a été aboli en France en 1791, par la loi Le Chapelier, et a conduit à une forte divergence de modèles en Europe. En effet, les professionnels anglais et ceux d'outre-Rhin exerçant dans cet espace que constituent aujourd'hui l'Allemagne, l'Autriche, une partie de la Suisse et les Pays-Bas, sont restés dans ce système de formation ancré dans la production.

Une première réforme importante a été introduite par la loi Astier en 1919, après une trentaine d'années de débat pour développer un système de formation professionnelle au service de l'économie, sans trop impliquer les professionnels, sinon par une participation financière nouvelle : la taxe d'apprentissage qui, en 1925, permit de mettre en œuvre les cours professionnels rendus obligatoires pour les apprentis depuis 1919.

Cette forme de juxtaposition de cours professionnels (cours du soir ou cours répartis sur une journée hebdomadaire) et de pratique professionnelle en entreprise, s'est installée entre les deux guerres, sans vraiment se développer, ni améliorer la qualification ouvrière qui en résultait.

Parallèlement s'est développé, à partir des années 1880, un dispositif d'enseignement technique visant le moyen encadrement des entreprises dont les effets furent particulièrement brillants et efficaces. Ce dispositif a été porté par les Écoles nationales professionnelles (ENP) de 1880 à 1960. Les entreprises y ont très peu participé, sinon à travers des amicales d'anciens élèves qui favorisaient l'insertion professionnelle des promotions plus jeunes.

Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la Libération pour que l'enseignement technique, avant d'être intégré dans l'Éducation nationale, se développe parallèlement pour former des ouvriers qualifiés dans le cadre des centres d'apprentissage publics devenus CET, LEP, puis LP.

C'est aussi au cours de cette période que fut créé un groupe de professionnels experts, nommés Conseillers de l'enseignement technologique (CET). Dans le cadre de l'élaboration et du déroulement des examens, les recteurs s'appuient sur ce « corps » de conseillers qui doivent veiller à la pertinence des compétences visées et à la régularité de leur certification. Les CET interviennent également au sein des Commissions professionnelles consultatives (CPC) pour conseiller les services ministériels dans la conception et l'adaptation des diplômes aux besoins des branches professionnelles, au regard de l'organisation de leurs qualifications et des perspectives d'emploi qu'elles portent.

Un avènement récent de l’alternance

Ce n'est donc que récemment, contrairement à ce que l'on pense généralement, que le concept d'alternance s'est imposé en France, en écho au système dual allemand, et qu'il s'ouvre progressivement à d'autres pays de l'Union européenne.

Voyons les principales étapes de la mise en œuvre de l'alternance en France.

  • En 1969, après les mouvements estudiantins qui ébranlèrent une partie des pays européens (Mai 68 à Paris) et quelques universités américaines, Olaf Palme, alors ministre de l'Éducation en Suède, vante en ces termes les mérites de l'alternance à l'occasion d'un congrès de l'OCDE à Versailles : « Une éducation alternée doit permettre de résoudre certains troubles : la névrose et le stress de l'adulte. L'alternance doit être un moyen de lutter contre l'infantilisation des formations scolaires. Pour des raisons économiques, il convient de ne pas laisser s'accélérer les dépenses d'éducation des jeunes au risque de ne plus avoir les moyens de favoriser chez les adultes la reprise d'études. L'implication de divers partenaires socio-professionnels doit donc permettre de trouver les moyens de la coexistence des jeunes et des adultes par une meilleure efficacité des uns et des autres. »
  • En 1979, soit dix ans plus tard, Christian Beullac, ministre de l'Éducation peu «classique», puisque ancien directeur de la Régie Renault, choisi par Raymond Barre, Premier ministre de l'époque, réussit l'exploit de mettre d'accord le CNPF (devenu le Medef) et la Fen (Fédération de l'Éducation nationale) pour que l'entreprise prenne toute sa place dans l'éducation des jeunes et particulièrement dans la formation professionnelle des lycées de l'Éducation nationale.

C'est à cette époque que furent créés :

  • l'éducation concertée « école-entreprise »,
  • les séquences éducatives,
  • les stages en entreprise pour les enseignants,

afin de tenter un rapprochement entre le monde économique et le monde éducatif.
Ainsi, l'image de la fabrique « aliénante » du XIXe siècle laisse progressivement la place à l'entreprise formatrice, puis à l'entreprise citoyenne, au risque de faire oublier que la finalité d'une entreprise reste fondamentalement économique, même si sa dimension sociale ne doit pas être négligée.

Cette évolution rompt avec les idéologies dominantes du XXe siècle, fondées, pour certaines, sur la notion de « lutte des classes ». C'est ainsi, et particulièrement dans le secteur du BTP, que d'autres courants, notamment ceux portés par les catholiques sociaux, ont conduit les professionnels à mettre en place des organisations professionnelles et paritaires pour contribuer à l'amélioration des conditions d'exercice de leur métier et pour accompagner socialement leurs salariés, de l'apprentissage jusqu'à la retraite.

En 1989, une nouvelle loi-cadre pour l'Éducation, dite loi Jospin (alors ministre de l'Éducation nationale) stipule qu'à partir de cette date, aucune formation professionnelle, pas même sous statut scolaire, ne peut être organisée et validée par un diplôme sans une période de formation en entreprise. Ainsi, depuis 1992, tous les arrêtés créant les diplômes de l'enseignement professionnel imposent et réglementent des périodes de formation en entreprise.

C'est dans cet esprit et pour leur donner tout leur sens, que fut créé voici dix ans le contrôle en cours de formation (CCF) qui permet d'impliquer davantage les professionnels dans l'évaluation des compétences acquises par les jeunes (scolaires ou apprentis) au fur et à mesure de leur formation alternée.

Un engagement précoce du BTP

L'implication des professionnels du Bâtiment et des professionnels des Travaux Publics est exemplaire tout au long de cette histoire de l'alternance. Ils ont très vite compris son intérêt, dès lors qu'elle n'éloignait pas trop longtemps les jeunes de leur entreprise, et notamment de leurs chantiers. Ils ont souhaité également qu'elle s'accompagne d'un développement des enseignements technologiques et d'autres enseignements plus généraux, qui garantissent la qualification visée, mais qui favorisent surtout l'adaptabilité et rendent possible la promotion par une articulation intelligente avec la formation continue.

Pour y contribuer, et ceci dès 1945, ils ont conforté le CCCA-BTP en pérennisant ses ressources, afin de :

  • promouvoir les métiers du Bâtiment, comme ceux des Travaux Publics,
  • informer les jeunes, leurs familles et les différents partenaires de l'orientation, sur les voies de formation professionnelle initiale (apprentissage comme voie scolaire) pour préparer les diverses qualifications de ces métiers,
  • améliorer la formation des jeunes apprentis salariés d'entreprises du BTP, que ces entreprises soient artisanales, PME, grandes entreprises ou entreprises industrielles.

En 2000, dans le cadre de négociations élargies à tous les partenaires sociaux du BTP, ces missions ont été déclinées à travers six axes de progrès qui visent à l'amélioration de la qualité :

  1. de l'accueil et de l'orientation des jeunes,
  2. de l'accueil et de la formation en entreprise,
  3. de l'accueil et de la formation en CFA,
  4. des examens,
  5. de l'accompagnement professionnel en cours d'apprentissage,
  6. de l'intégration professionnelle.

Ces axes de progrès réaffirment l'intérêt des professionnels du BTP pour leur apprentissage et expriment la nécessité d'une approche globale de l'alternance pour en réussir l'efficacité.

Pour améliorer la qualité de l'accueil et de la formation des jeunes dans les entreprises, les professionnels du BTP ont souhaité le développement de la formation des maîtres d'apprentissage et prônent un système de meilleure reconnaissance de leur action en faveur des jeunes.

Les professionnels du Bâtiment ont ainsi créé un titre de « maître d'apprentissage confirmé » intéressant autant les artisans que les salariés d'entreprises plus grandes, alors que ceux des Travaux Publics créaient un « ordre des tuteurs » favorisant l'accueil et la formation de jeunes dans des entreprises et sur des chantiers qui, jusqu'alors, pour des raisons relatives notamment à la sécurité, ne recevaient que très peu de jeunes apprentis.

Maintenir le rôle des entreprises

Pour conclure, il apparaît de plus en plus évident que si l'entreprise n'est pas en mesure d'assurer à elle seule la qualification des jeunes pour des emplois qui bougent, des marchés qui évoluent et des technologies qui se développent, elle est pourtant nécessaire, voire indispensable, pour intégrer la réalité des contextes socio-économiques dans l'acquisition de nouvelles compétences professionnelles. Ces compétences ne se limitent plus à de simples techniques ou tours de main, qui se transmettraient de génération en génération pour assurer la pérennité des métiers.

L'alternance dans la formation professionnelle, impliquant fortement les entreprises, constitue un atout que la Commission européenne soutient et développe et que les professionnels français du BTP entendent bien maintenir.

Dans cette perspective, l'apprentissage, méthode traditionnelle de formation, reste une modalité de qualification professionnelle étonnamment moderne, dès lors qu'il constitue un système ouvert à la concertation. Il convient alors que les trois principaux acteurs qu'il met en jeu (le maître d'apprentissage, l'apprenti, le CFA) se sentent réellement engagés par un contrat fondé sur un partage explicite de droits et de devoirs réciproques, lorsque de la formation d'un jeune peut dépendre la capacité d'évolution d'une entreprise.

La charte de l'alternance, qui accompagne de plus en plus systématiquement la signature des contrats d'apprentissage, vise à donner toute sa place à l'entreprise dans le recrutement, le suivi, la qualification et l'insertion de jeunes dont les professions du BTP ont tant besoin.

Bibliographie

  • Histoire de l’enseignement technique, Patrice Pelpel et Vincent Troger, Hachette Education, 1993
  • L’éducateur et l’approche systémique, Manuel pour améliorer la pratique de l’éducation, Unesco, 1981
  • De l’entreprise à l’école, la formation des apprentis, André Geay, Editions universitaires, 1985
  • Apprentissage et paritarisme dans le Bâtiment, Philippe Casella, Lucie Tanguy et Philippe Tripier, Recherches, 1992
  • Les artisans en France au XXème siècle, Steven M.Zdatny, Belin, 1999
  • Voyages dans l’apprentissage, Bernard Pasquier, L’Harmattan, 2003
  • Le monde apprenti, Gilles Moreau, La Dispute, 2003
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/le-btp-a-l-avant-garde-de-l-alternance.html?item_id=2533
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article