Le BTP à l'avant-garde de l'alternance
Si l’alternance est apparue
en France plus tard qu’on ne le pense souvent, les entreprises du
Bâtiment et des Travaux Publics ont fait figure de pionnières
et continuent de s’impliquer fortement dans la formation professionnelle..
Selon les pays d'Europe et les
périodes, les entreprises se sont plus ou moins impliquées
dans l'organisation de la formation professionnelle. Cet engagement varie
selon trois modèles d'organisation dont les objectifs peuvent être
très variés, allant de l'éducation complémentaire
de jeunes soumis encore à l'obligation scolaire, à l'adaptation
rapide d'autres jeunes à des contextes et process spécifiques
d'entreprise.
Trois schémas « historiques »
d’organisation
Ces trois modèles peuvent se définir de
la façon suivante :
- l'école sur le chantier ou dans l'entreprise,
que caractérise la forme la plus ancienne de « l'apprentissage
sur le tas »
- le chantier ou l'entreprise à l'école,
qui a longtemps constitué le modèle d'enseignement technique
dominant en France, ainsi que celui de la majorité des pays latins.
Il s'agit d'un enseignement hors milieu professionnel visant des applications
raisonnées dans des situations de simulation et préalables
à l'emploi
- la formation alternée entre l'école
et l'entreprise, qui repose sur une organisation concertée dont
l'efficacité ne peut être acquise qu'à partir d'un
système de relations et d'engagements réciproques, et dont
la forme contractuelle est plus ou moins réglementée.
Dans ce cas, on peut différencier deux formes
d'alternance :
- celle qui est organisée autour d'un jeune
salarié, par une entreprise, et qui est cadrée par un contrat
de travail dont
l'objectif est l'acquisition d'une qualification professionnelle. C'est
le cas, par exemple, du contrat d'apprentissage ou du contrat de qualification
(contrat d'alternance) qui doit laisser place au contrat de professionnalisation
- celle qui est caractérisée par le
statut de lycéen (LP, LT) ou d'étudiant (STS, IUT) et qui
n'envisage l'implication d'une entreprise que sous la forme de stages,
de séquences éducatives ou, au mieux, de périodes
de formation en entreprise, dont la durée et la forme sont arrêtées
dans des conventions de stage établies par l'école.
Une évolution progressive
Depuis une vingtaine d'années, ces trois modèles
se sont progressivement fondus en un seul, celui de l'alternance. Il semble
aujourd'hui incontournable et affirme la place indispensable de l'entreprise
dans l'éducation des jeunes et dans l'acquisition de compétences
constitutives d'une qualification professionnelle, que ces jeunes soient
salariés ou étudiants. Devant l’importance de la place
occupée désormais par l'entreprise dans la formation professionnelle,
on pourrait penser qu'il en a toujours été ainsi, mais est-ce
vraiment le cas ? S'agissant de la formation sur le tas, qui constitue
la forme la plus fondamentale et la plus traditionnelle, il est évident
qu'elle n'était possible que par l'engagement d'une entreprise
ou plus largement d’une « corporation » dans le recrutement,
la formation et l'accompagnement d'un jeune.
Ce système était fondé sur le mimétisme
opératoire. Il ne se développait que dans la durée
(5 à 10 ans). Souvent empreint de malthusianisme, il ne permettait
d'accéder qu'à une qualification ouvrière ou, au
mieux, de compagnon. Ce système des corporations a été
aboli en France en 1791, par la loi Le Chapelier, et a conduit à
une forte divergence de modèles en Europe. En effet, les professionnels
anglais et ceux d'outre-Rhin exerçant dans cet espace que constituent
aujourd'hui l'Allemagne, l'Autriche, une partie de la Suisse et les Pays-Bas,
sont restés dans ce système de formation ancré dans
la production.
Une première réforme importante a été
introduite par la loi Astier en 1919, après une trentaine d'années
de débat pour développer un système de formation
professionnelle au service de l'économie, sans trop impliquer les
professionnels, sinon par une participation financière nouvelle : la taxe d'apprentissage qui, en 1925, permit de mettre en œuvre
les cours professionnels rendus obligatoires pour les apprentis depuis
1919.
Cette forme de juxtaposition de cours professionnels
(cours du soir ou cours répartis sur une journée hebdomadaire)
et de pratique professionnelle en entreprise, s'est installée entre
les deux guerres, sans vraiment se développer, ni améliorer
la qualification ouvrière qui en résultait.
Parallèlement s'est développé, à
partir des années 1880, un dispositif d'enseignement technique
visant le moyen encadrement des entreprises dont les effets furent particulièrement
brillants et efficaces. Ce dispositif a été porté
par les Écoles nationales professionnelles (ENP) de 1880 à
1960. Les entreprises y ont très peu participé, sinon à
travers des amicales d'anciens élèves qui favorisaient l'insertion
professionnelle des promotions plus jeunes.
Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale
et la Libération pour que l'enseignement technique, avant d'être
intégré dans l'Éducation nationale, se développe
parallèlement pour former des ouvriers qualifiés dans le
cadre des centres d'apprentissage publics devenus CET, LEP, puis LP.
C'est aussi au cours de cette période que fut
créé un groupe de professionnels experts, nommés
Conseillers de l'enseignement technologique (CET). Dans le cadre de l'élaboration
et du déroulement des examens, les recteurs s'appuient sur ce «
corps » de conseillers qui doivent veiller à la pertinence
des compétences visées et à la régularité
de leur certification. Les CET interviennent également au sein
des Commissions professionnelles consultatives (CPC) pour conseiller les
services ministériels dans la conception et l'adaptation des diplômes
aux besoins des branches professionnelles, au regard de l'organisation
de leurs qualifications et des perspectives d'emploi qu'elles portent.
Un avènement récent de l’alternance
Ce n'est donc que récemment, contrairement à
ce que l'on pense généralement, que le concept d'alternance
s'est imposé en France, en écho au système dual allemand,
et qu'il s'ouvre progressivement à d'autres pays de l'Union européenne.
Voyons les principales étapes de la mise en œuvre
de l'alternance en France.
- En 1969, après les mouvements estudiantins
qui ébranlèrent une partie des pays européens (Mai
68 à Paris) et quelques universités américaines,
Olaf Palme, alors ministre de l'Éducation en Suède, vante
en ces termes les mérites de l'alternance à l'occasion d'un
congrès de l'OCDE à Versailles : « Une éducation
alternée doit permettre de résoudre certains troubles :
la névrose et le stress de l'adulte. L'alternance doit être
un moyen de lutter contre l'infantilisation des formations scolaires.
Pour des raisons économiques, il convient de ne pas laisser s'accélérer
les dépenses d'éducation des jeunes au risque de ne plus
avoir les moyens de favoriser chez les adultes la reprise d'études.
L'implication de divers partenaires socio-professionnels doit donc permettre
de trouver les moyens de la coexistence des jeunes et des adultes par
une meilleure efficacité des uns et des autres. »
- En 1979, soit dix ans plus tard, Christian Beullac,
ministre de l'Éducation peu «classique», puisque
ancien directeur de la Régie Renault, choisi par Raymond Barre,
Premier ministre de l'époque, réussit l'exploit de mettre
d'accord le CNPF (devenu le Medef) et la Fen (Fédération
de l'Éducation nationale) pour que l'entreprise prenne toute sa
place dans l'éducation des jeunes et particulièrement dans
la formation professionnelle des lycées de l'Éducation nationale.
C'est à cette époque que furent créés :
- l'éducation concertée « école-entreprise »,
- les séquences éducatives,
- les stages en entreprise pour les enseignants,
afin de tenter un rapprochement entre le monde économique
et le monde éducatif.
Ainsi, l'image de la fabrique « aliénante » du XIXe
siècle laisse progressivement la place à l'entreprise formatrice,
puis à l'entreprise citoyenne, au risque de faire oublier que la
finalité d'une entreprise reste fondamentalement économique,
même si sa dimension sociale ne doit pas être négligée.
Cette évolution rompt avec les idéologies
dominantes du XXe siècle, fondées, pour certaines, sur la
notion de « lutte des classes ». C'est ainsi, et particulièrement
dans le secteur du BTP, que d'autres courants, notamment ceux portés
par les catholiques sociaux, ont conduit les professionnels à mettre
en place des organisations professionnelles et paritaires pour contribuer
à l'amélioration des conditions d'exercice de leur métier
et pour accompagner socialement leurs salariés, de l'apprentissage
jusqu'à la retraite.
En 1989, une nouvelle loi-cadre pour l'Éducation,
dite loi Jospin (alors ministre de l'Éducation nationale) stipule
qu'à partir de cette date, aucune formation professionnelle, pas
même sous statut scolaire, ne peut être organisée et
validée par un diplôme sans une période de formation
en entreprise. Ainsi, depuis 1992, tous les arrêtés créant
les diplômes de l'enseignement professionnel imposent et réglementent
des périodes de formation en entreprise.
C'est dans cet esprit et pour leur donner tout leur sens,
que fut créé voici dix ans le contrôle en cours de
formation (CCF) qui permet d'impliquer davantage les professionnels dans
l'évaluation des compétences acquises par les jeunes (scolaires
ou apprentis) au fur et à mesure de leur formation alternée.
Un engagement précoce du BTP
L'implication des professionnels du Bâtiment et
des professionnels des Travaux Publics est exemplaire tout au long de
cette histoire de l'alternance. Ils ont très vite compris son intérêt,
dès lors qu'elle n'éloignait pas trop longtemps les jeunes
de leur entreprise, et notamment de leurs chantiers. Ils ont souhaité
également qu'elle s'accompagne d'un développement des enseignements
technologiques et d'autres enseignements plus généraux,
qui garantissent la qualification visée, mais qui favorisent surtout
l'adaptabilité et rendent possible la promotion par une articulation
intelligente avec la formation continue.
Pour y contribuer, et ceci dès 1945, ils ont conforté
le CCCA-BTP en pérennisant ses ressources, afin de :
- promouvoir les métiers du Bâtiment,
comme ceux des Travaux Publics,
- informer les jeunes, leurs familles et les différents
partenaires de l'orientation, sur les voies de formation professionnelle
initiale (apprentissage comme voie scolaire) pour préparer les
diverses qualifications de ces métiers,
- améliorer la formation des jeunes apprentis
salariés d'entreprises du BTP, que ces entreprises soient artisanales,
PME, grandes entreprises ou entreprises industrielles.
En 2000, dans le cadre de négociations élargies
à tous les partenaires sociaux du BTP, ces missions ont été
déclinées à travers six axes de progrès qui
visent à l'amélioration de la qualité :
- de l'accueil et de l'orientation des jeunes,
- de l'accueil et de la formation en entreprise,
- de l'accueil et de la formation en CFA,
- des examens,
- de l'accompagnement professionnel en cours d'apprentissage,
- de l'intégration professionnelle.
Ces axes de progrès réaffirment l'intérêt
des professionnels du BTP pour leur apprentissage et expriment la nécessité
d'une approche globale de l'alternance pour en réussir l'efficacité.
Pour améliorer la qualité de l'accueil
et de la formation des jeunes dans les entreprises, les professionnels
du BTP ont souhaité le développement de la formation des
maîtres d'apprentissage et prônent un système de meilleure
reconnaissance de leur action en faveur des jeunes.
Les professionnels du Bâtiment ont ainsi créé
un titre de « maître d'apprentissage confirmé »
intéressant autant les artisans que les salariés d'entreprises
plus grandes, alors que ceux des Travaux Publics créaient un «
ordre des tuteurs » favorisant l'accueil et la formation de jeunes
dans des entreprises et sur des chantiers qui, jusqu'alors, pour des raisons
relatives notamment à la sécurité, ne recevaient
que très peu de jeunes apprentis.
Maintenir le rôle des entreprises
Pour conclure, il apparaît de plus en plus évident
que si l'entreprise n'est pas en mesure d'assurer à elle seule
la qualification des jeunes pour des emplois qui bougent, des marchés
qui évoluent et des technologies qui se développent, elle
est pourtant nécessaire, voire indispensable, pour intégrer
la réalité des contextes socio-économiques dans l'acquisition
de nouvelles compétences professionnelles. Ces compétences
ne se limitent plus à de simples techniques ou tours de main, qui
se transmettraient de génération en génération
pour assurer la pérennité des métiers.
L'alternance dans la formation professionnelle, impliquant
fortement les entreprises, constitue un atout que la Commission européenne
soutient et développe et que les professionnels français
du BTP entendent bien maintenir.
Dans cette perspective, l'apprentissage, méthode
traditionnelle de formation, reste une modalité de qualification
professionnelle étonnamment moderne, dès lors qu'il constitue
un système ouvert à la concertation. Il convient alors que
les trois principaux acteurs qu'il met en jeu (le maître d'apprentissage,
l'apprenti, le CFA) se sentent réellement engagés par un
contrat fondé sur un partage explicite de droits et de devoirs
réciproques, lorsque de la formation d'un jeune peut dépendre
la capacité d'évolution d'une entreprise.
La charte de l'alternance, qui accompagne de plus en
plus systématiquement la signature des contrats d'apprentissage,
vise à donner toute sa place à l'entreprise dans le recrutement,
le suivi, la qualification et l'insertion de jeunes dont les professions
du BTP ont tant besoin.
Bibliographie
- Histoire de l’enseignement technique, Patrice Pelpel et Vincent Troger, Hachette Education, 1993
- L’éducateur et l’approche systémique, Manuel pour améliorer la pratique de l’éducation, Unesco, 1981
- De l’entreprise à l’école, la formation des apprentis, André Geay, Editions universitaires, 1985
- Apprentissage et paritarisme dans le Bâtiment, Philippe Casella, Lucie Tanguy et Philippe Tripier, Recherches, 1992
- Les artisans en France au XXème siècle, Steven M.Zdatny, Belin, 1999
- Voyages dans l’apprentissage, Bernard Pasquier, L’Harmattan, 2003
- Le monde apprenti, Gilles Moreau, La Dispute, 2003
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/le-btp-a-l-avant-garde-de-l-alternance.html?item_id=2533
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