Michel HERVÉ

est président de l'entreprise Hervé Thermique.

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Développer une « culture de l'apprenance »

Si, au cours des trente dernières années, la formation a connu une diffusion toujours plus forte au sein des entreprises, il n’est pas rare qu’implicitement, se cristallise sur elle un supposé conflit d’intérêts entre employeur et salarié. Pourtant, l’entreprise est tout à fait en mesure de créer un climat favorable à la formation, et d’inciter les salariés à accepter de se remettre en cause.

D‘un côté, la formation ne serait qu'un simple outil à la disposition de l'entreprise pour ajuster ses compétences aux exigences du marché ; de l'autre, elle serait un outil au service des salariés afin de leur permettre un développement et un épanouissement personnels1. Il est indéniable que, selon qui est à l'origine de la demande, qui fixe les objectifs à atteindre, qui sélectionne la formation à suivre, qui la finance, etc., les bénéfices ne seront pas de même niveau, voire de même nature, tant du point de vue de l'individu que de celui de l'organisation qui l'emploie.

Idéalement, la situation à rechercher est celle où l'intérêt est maximal de part et d'autre, c'est-à-dire une formation répondant de manière congruente aux objectifs du salarié et de l'entreprise. Mais n'existe-t-il pas une autre dimension à intégrer à cette réflexion ? L'environnement extérieur à l'entreprise ne constitue-t-il pas une variable à part entière qui va peser sur les motivations de formation ? Dans quelle mesure l'entreprise peut-elle agir pour susciter l'intérêt et favoriser l'adhésion des salariés aux formations choisies par elle et, réciproquement, que peut-elle attendre d’eux ?

La demande de l’entreprise

Il est évident que l'objectif recherché par toute entreprise au travers de la formation est une augmentation de son niveau de compétence — donc de performance —, que cette recherche de compétence obéisse à un déficit à combler ou entre dans le cadre d'un projet de développement plus global, individuel ou collectif.

Mais au-delà de l'acquisition de savoirs et savoir-faire normalement inhérente à toute action de formation — capacités qui, une fois de retour en situation de travail, devront se convertir en compétences —, un effet majeur de tout processus pédagogique est aussi de réinterroger des habitudes de travail, des modes opératoires hérités d'une première formation ou de l'observation faite au creuset des expériences professionnelles successives. Sans entrer dans les conséquences psychologiques que peut provoquer, chez le salarié, ce type de remise en cause, il est intéressant de souligner que l'avantage pédagogique de la formation sera d'autant plus important que l'individu sera psychologiquement préparé à remettre en question ses propres repères.

La volonté de l’individu

Autrement dit, si le processus pédagogique bouscule les schémas établis, encore faut-il que le salarié soit prêt à l'accepter et, dans une certaine mesure, en soit même le promoteur. C'est bien dans cette capacité de remise en question doublée de curiosité intellectuelle que résidera l'attente principale du dirigeant vis-à-vis des salariés. Sur ce point, le chef d'entreprise a un rôle à jouer en créant les conditions favorables à cette ouverture.

Accepter de se remettre en question, percevoir la nécessité de se former et en avoir l'envie constituent les premières étapes nécessaires, mais n'en sont pas pour autant suffisantes. Dans une organisation comme la nôtre, où le travail en autonomie est de mise à tous les niveaux, il paraît également essentiel que les individus soient pleinement partie prenante dans les phases d'identification de leurs propres besoins de formation, en ayant une lisibilité claire des axes de progrès possibles pour eux-mêmes comme pour l'organisation dans laquelle ils évoluent.

De même, il semble opportun qu'ils puissent exercer une responsabilité dans le choix des moyens à mettre en œuvre pour se former : formation « traditionnelle » sous forme de stage, autoformation, recours à des sources d'information diverses et variées… Le salarié doit être en mesure de choisir son propre mode d'apprentissage parmi un ensemble de moyens mis à sa disposition.

Des leviers pour agir

Pour créer, développer et entretenir le climat favorisant la capacité des salariés à s'interroger et se remettre en question, le chef d'entreprise dispose de plusieurs leviers sur lesquels il peut agir.

En premier lieu, l'organisation et le mode de management ont une influence directe sur ce climat. Dans une structure verticale avec de faibles zones d'autonomie et un découpage fort des responsabilités, l'individu aura davantage tendance à attendre que les solutions à ses problèmes lui soient apportées par l'organisation, plutôt qu’à rechercher lui-même l'émergence de ses propres solutions. À terme, cela peut aboutir à l'enfermer dans un comportement excluant toute remise en cause de ses propres modes de fonctionnement.

À l'inverse, une structure dotée d'un management de proximité mettant l'accent sur l'autonomie et la responsabilité est à même de faciliter l'investissement du salarié dans des projets de développement des compétences le concernant. À cet égard, un dispositif d'évaluation des compétences intégrant une phase d'auto-évaluation conduit le salarié à examiner ses pratiques professionnelles et à envisager ses marges possibles de progression. La confrontation de cette auto-évaluation avec celle pratiquée par la hiérarchie doit être menée dans le même état d'esprit de questionnement des habitudes de travail, y compris si celles-ci ne posent a priori aucun problème particulier.

Mais les conséquences de l'évaluation des compétences, aussi pertinente soit-elle, peut aussi être de nature à créer une distance « institutionnelle  » entre le contexte où le besoin se manifeste et la réponse qui va lui être apportée. Si l'on prend l'exemple d'un déficit de compétence individuel se posant dans une organisation très cloisonnée, on peut imaginer la situation où ce déficit pointé par un hiérarchique va trouver une «réponse formation» seulement après être passé par le tamis d'analyses successives de la part de différents acteurs (hiérarchique, salarié, services fonctionnels, direction). Le risque est alors bien réel d'assister à une perte de lisibilité entre la formation proposée et le besoin qui en est à l'origine. Dans des cas extrêmes, cela peut aboutir à ce que le départ en formation soit vécu comme une véritable contrainte.

Des comportements favorables au service

À l'opposé, la réduction des lignes hiérarchiques — et la montée en responsabilité qu'elle sous-tend — a aussi pour effet quasi mécanique de favoriser la proximité avec le client. De cette proximité vont naître des comportements cherchant davantage à apporter le service qui va satisfaire le client qu'à apporter une compétence répondant à la sollicitation de son employeur. Dès lors, le salarié établit de manière beaucoup plus directe le lien entre la situation vécue au contact du client et les moyens qui lui fourniront des éléments de progrès (ou de réponse à une difficulté rencontrée), parmi lesquels la formation.

Ce constat, qui dépasse la dualité employeur-employé évoquée en introduction, montre à quel point l'environnement externe à l'entreprise peut également avoir une influence forte sur la capacité de remise en cause des salariés, à travers la valorisation que ceux-ci vont obtenir auprès du client. En cherchant à encourager cette proximité, l'entreprise favorise ce mouvement.

Dans ce contexte, il pourrait être dangereux de ne pas mettre à disposition des salariés des moyens, des éléments de réponse à leurs questions. Si rien n'est prévu, le risque en effet est que l'individu, confronté à l'absence de pistes, ne perçoive plus l'intérêt qu'il y a à se remettre en cause, et adopte dès lors un fonctionnement rigide fondé sur ses propres habitudes de travail — posture plus confortable à certains égards —, ce qui contribuerait à décrédibiliser tout le système évoqué plus haut.

Des outils indispensables

Au sein de la palette de moyens dont dispose l'entreprise, la formation continue classique, sous forme de stages, a également droit de cité. Il s'agit pour l'entreprise d'anticiper autant que faire se peut les besoins de formation de ses salariés et, pour les impliquer encore davantage dans le processus, de les inciter à exprimer eux-mêmes leurs souhaits de formation. De fait, dans une grande majorité de cas, les demandes de formation des salariés rejoignent les projets de formation exprimés au moment de la phase d'évaluation. Le rôle de l'entreprise, et du service Formation en particulier, est alors d'aiguiller le salarié vers les formes de formation qui paraîtront les plus pertinentes en fonction de l'individu et des effets recherchés.

Si le développement et l'intégration des Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) ont transformé profondément les métiers et les compétences afférentes, cela se vérifie sans doute encore plus pour les conditions dans lesquelles ces compétences s'expriment. La mise à disposition de réseaux d'information, notamment sous forme de réseaux intranet, peut jouer un rôle très positif, à la double condition que ce réseau soit facilement accessible et que les informations qu'on y trouve soient utiles et actualisées régulièrement. Concrètement, cela a deux effets :

  • sachant qu'il a à sa portée une masse d'informations accessibles et pertinentes, le salarié va peu à peu y recourir, la curiosité de départ évoluant au fil du temps en réflexe ;
  • sur le long terme, cela va favoriser l'autoquestionnement systématique, de telle sorte que « même si, pour le moment, je ne suis confronté à aucun problème majeur de déficit de connaissance ou de compétence, j'ai malgré tout peut-être accès à des informations qui vont m'aider à m'améliorer. »

En mettant à disposition des salariés une telle ressource d'informations, on encourage des coordinations transversales plus efficaces, fondées sur le partage des savoirs, ce qui contribuera à renforcer chez les salariés le désir d'acquérir du savoir, et donc de formation.

On se situe dès lors dans une approche autodidacte2, à ceci près que l'individu désireux de se perfectionner aura à sa disposition une palette de moyens fournie par son entreprise. L'information, si elle est correctement structurée et adaptée, peut se révéler être un mode de formation à part entière et puissant. Et réciproquement, si l'on considère l'acte pédagogique comme une transmission d'information, la formation n'est-elle pas, après tout, une source d'information parmi d'autres ?

Une récente étude3 a mis en évidence que l'apprentissage professionnel informel est la forme d'apprentissage majoritaire chez les adultes, ce qui exige de la part de l'individu qu'il juge et pilote lui-même ses apprentissages. En veillant à accorder dans son mode de management une place importante à la dimension compétence, l'entreprise peut créer et entretenir un climat propice à cette forme d'apprentissage. Pour l'entreprise, l'enjeu majeur n'est-il pas de développer davantage ce que P. Carré4 nomme une « culture de l'apprenance » plutôt que de formation ?

  1. Ressources humaines, J.M. Peretti, Vuibert, 4e édition, 1994
  2. L'autodidaxie ou l'art d'apprendre par soi-même, C. Larose, Cité Educative, Vol. 8, n°1, sept.-oct. 1992
  3. Recherche pluridisciplinaire menée par Interface recherche et le Centre de recherche éducation-formation, voir Les adultes apprennent surtout en dehors des stages, Entreprises & Carrières, n°691, nov. 2003
  4. Ibid
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/developper-une-«-culture-de-l-apprenance-».html?item_id=2523
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