est président de l'entreprise Hervé Thermique.
Développer une « culture de l'apprenance »
Si, au cours des trente dernières
années, la formation a connu une diffusion toujours plus forte
au sein des entreprises, il n’est pas rare qu’implicitement,
se cristallise sur elle un supposé conflit d’intérêts
entre employeur et salarié. Pourtant, l’entreprise est tout
à fait en mesure de créer un climat favorable à la
formation, et d’inciter les salariés à accepter de
se remettre en cause.
D‘un
côté, la formation ne serait qu'un simple outil à
la disposition de l'entreprise pour ajuster ses compétences aux
exigences du marché ; de l'autre, elle serait un outil au service
des salariés afin de leur permettre un développement et
un épanouissement personnels1. Il est indéniable
que, selon qui est à l'origine de la demande, qui fixe les objectifs
à atteindre, qui sélectionne la formation à suivre,
qui la finance, etc., les bénéfices ne seront pas de même
niveau, voire de même nature, tant du point de vue de l'individu
que de celui de l'organisation qui l'emploie.
Idéalement, la situation
à rechercher est celle où l'intérêt est maximal
de part et d'autre, c'est-à-dire une formation répondant
de manière congruente aux objectifs du salarié et de l'entreprise.
Mais n'existe-t-il pas une autre dimension à intégrer à
cette réflexion ? L'environnement extérieur à l'entreprise
ne constitue-t-il pas une variable à part entière qui va
peser sur les motivations de formation ? Dans quelle mesure l'entreprise
peut-elle agir pour susciter l'intérêt et favoriser l'adhésion
des salariés aux formations choisies par elle et, réciproquement,
que peut-elle attendre d’eux ?
La demande de l’entreprise
Il est évident que l'objectif recherché
par toute entreprise au travers de la formation est une augmentation de
son niveau de compétence — donc de performance —, que cette recherche
de compétence obéisse à un déficit à
combler ou entre dans le cadre d'un projet de développement plus
global, individuel ou collectif.
Mais au-delà de l'acquisition de savoirs et savoir-faire
normalement inhérente à toute action de formation — capacités
qui, une fois de retour en situation de travail, devront se convertir
en compétences —, un effet majeur de tout processus pédagogique
est aussi de réinterroger des habitudes de travail, des modes opératoires
hérités d'une première formation ou de l'observation
faite au creuset des expériences professionnelles successives.
Sans entrer dans les conséquences psychologiques que peut provoquer,
chez le salarié, ce type de remise en cause, il est intéressant
de souligner que l'avantage pédagogique de la formation sera d'autant
plus important que l'individu sera psychologiquement préparé
à remettre en question ses propres repères.
La volonté de l’individu
Autrement dit, si le processus pédagogique bouscule
les schémas établis, encore faut-il que le salarié
soit prêt à l'accepter et, dans une certaine mesure, en soit
même le promoteur. C'est bien dans cette capacité de remise
en question doublée de curiosité intellectuelle que résidera
l'attente principale du dirigeant vis-à-vis des salariés.
Sur ce point, le chef d'entreprise a un rôle à jouer en créant
les conditions favorables à cette ouverture.
Accepter de se remettre en question, percevoir la nécessité
de se former et en avoir l'envie constituent les premières étapes
nécessaires, mais n'en sont pas pour autant suffisantes. Dans une
organisation comme la nôtre, où le travail en autonomie est
de mise à tous les niveaux, il paraît également essentiel
que les individus soient pleinement partie prenante dans les phases d'identification
de leurs propres besoins de formation, en ayant une lisibilité
claire des axes de progrès possibles pour eux-mêmes comme
pour l'organisation dans laquelle ils évoluent.
De même, il semble opportun qu'ils puissent exercer
une responsabilité dans le choix des moyens à mettre en
œuvre pour se former : formation « traditionnelle » sous
forme de stage, autoformation, recours à des sources d'information
diverses et variées… Le salarié doit être en
mesure de choisir son propre mode d'apprentissage parmi un ensemble de
moyens mis à sa disposition.
Des leviers pour agir
Pour créer, développer et entretenir le
climat favorisant la capacité des salariés à s'interroger
et se remettre en question, le chef d'entreprise dispose de plusieurs
leviers sur lesquels il peut agir.
En premier lieu, l'organisation et le mode de management
ont une influence directe sur ce climat. Dans une structure verticale
avec de faibles zones d'autonomie et un découpage fort des responsabilités,
l'individu aura davantage tendance à attendre que les solutions
à ses problèmes lui soient apportées par l'organisation,
plutôt qu’à rechercher lui-même l'émergence
de ses propres solutions. À terme, cela peut aboutir à l'enfermer
dans un comportement excluant toute remise en cause de ses propres modes
de fonctionnement.
À l'inverse, une structure dotée d'un management
de proximité mettant
l'accent sur l'autonomie et la responsabilité est à même
de faciliter l'investissement du salarié dans des projets de développement
des compétences le concernant. À cet égard, un dispositif
d'évaluation des compétences intégrant une phase
d'auto-évaluation conduit le salarié à examiner ses
pratiques professionnelles et à envisager ses marges possibles
de progression. La confrontation de cette auto-évaluation avec
celle pratiquée par la hiérarchie doit être menée
dans le même état d'esprit de questionnement des habitudes
de travail, y compris si celles-ci ne posent a priori aucun problème
particulier.
Mais les conséquences de l'évaluation des
compétences, aussi pertinente soit-elle, peut aussi être
de nature à créer une distance « institutionnelle
» entre le contexte où le besoin se manifeste et la réponse
qui va lui être apportée. Si l'on prend l'exemple d'un déficit
de compétence individuel se posant dans une organisation très
cloisonnée, on peut imaginer la situation où ce déficit
pointé par un hiérarchique va trouver une «réponse
formation» seulement après être passé par le
tamis d'analyses successives de la part de différents acteurs (hiérarchique,
salarié, services fonctionnels, direction). Le risque est alors
bien réel d'assister à une perte de lisibilité entre
la formation proposée et le besoin qui en est à l'origine.
Dans des cas extrêmes, cela peut aboutir à ce que le départ
en formation soit vécu comme une véritable contrainte.
Des comportements favorables au service
À l'opposé, la réduction des lignes
hiérarchiques — et la montée en responsabilité qu'elle
sous-tend — a aussi pour effet quasi mécanique de favoriser la
proximité avec le client. De cette proximité vont naître
des comportements cherchant davantage à apporter le service qui
va satisfaire le client qu'à apporter une compétence répondant
à la sollicitation de son employeur. Dès lors, le salarié
établit de manière beaucoup plus directe le lien entre la
situation vécue au contact du client et les moyens qui lui fourniront
des éléments de progrès (ou de réponse à
une difficulté rencontrée), parmi lesquels la formation.
Ce constat, qui dépasse la dualité employeur-employé
évoquée en introduction, montre à quel point l'environnement
externe à l'entreprise peut également avoir une influence
forte sur la capacité de remise en cause des salariés, à
travers la valorisation que ceux-ci vont obtenir auprès du client.
En cherchant à encourager cette proximité, l'entreprise
favorise ce mouvement.
Dans ce contexte, il pourrait être dangereux de
ne pas mettre à disposition des salariés des moyens, des
éléments de réponse à leurs questions. Si
rien n'est prévu, le risque en effet est que l'individu, confronté
à l'absence de pistes, ne perçoive plus l'intérêt
qu'il y a à se remettre en cause, et adopte dès lors un
fonctionnement rigide fondé sur ses propres habitudes de travail
— posture plus confortable à certains égards —, ce qui
contribuerait à décrédibiliser tout le système
évoqué plus haut.
Des outils indispensables
Au sein de la palette de moyens dont dispose l'entreprise,
la formation continue classique, sous forme de stages, a également
droit de cité. Il s'agit pour l'entreprise d'anticiper autant que
faire se peut les besoins de formation de ses salariés et, pour
les impliquer encore davantage dans le processus, de les inciter à
exprimer eux-mêmes leurs souhaits de formation. De fait, dans une
grande majorité de cas, les demandes de formation des salariés
rejoignent les projets de formation exprimés au moment de la phase
d'évaluation. Le rôle de l'entreprise, et du service Formation
en particulier, est alors d'aiguiller le salarié vers les formes
de formation qui paraîtront les plus pertinentes en fonction de
l'individu et des effets recherchés.
Si le développement et l'intégration des
Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC)
ont transformé profondément les métiers et les compétences
afférentes, cela se vérifie sans doute encore plus pour
les conditions dans lesquelles ces compétences s'expriment. La
mise à disposition de réseaux d'information, notamment sous
forme de réseaux intranet, peut jouer un rôle très
positif, à la double condition que ce réseau soit facilement
accessible et que les informations qu'on y trouve soient utiles et actualisées
régulièrement. Concrètement, cela a deux effets :
- sachant qu'il a à sa portée une masse d'informations accessibles
et pertinentes, le salarié va peu à peu y recourir, la curiosité
de départ évoluant au fil du temps en réflexe ;
- sur le long terme, cela va favoriser l'autoquestionnement systématique,
de telle sorte que « même si, pour le moment, je ne suis
confronté à aucun problème majeur de déficit
de connaissance ou de compétence, j'ai malgré tout peut-être
accès à des informations qui vont m'aider à m'améliorer.
»
En mettant à disposition des salariés une
telle ressource d'informations, on encourage des coordinations transversales
plus efficaces, fondées sur le partage des savoirs, ce qui contribuera
à renforcer chez les salariés le désir d'acquérir
du savoir, et donc de formation.
On se situe dès lors
dans une approche autodidacte2, à ceci près
que l'individu désireux de se perfectionner aura à sa disposition
une palette de moyens fournie par son entreprise. L'information, si elle
est correctement structurée et adaptée, peut se révéler
être un mode de formation à part entière et puissant.
Et réciproquement, si l'on considère l'acte pédagogique
comme une transmission d'information, la formation n'est-elle pas, après
tout, une source d'information parmi d'autres ?
Une
récente étude3 a mis en évidence
que l'apprentissage professionnel informel est la forme d'apprentissage
majoritaire chez les adultes, ce qui exige de la part de l'individu qu'il
juge et pilote lui-même ses apprentissages. En veillant à
accorder dans son mode de management une place importante à la
dimension compétence, l'entreprise peut créer et entretenir
un climat propice à cette forme d'apprentissage. Pour l'entreprise,
l'enjeu majeur n'est-il pas de développer davantage ce que P. Carré4
nomme une « culture de l'apprenance » plutôt que de
formation ?
- Ressources humaines, J.M. Peretti, Vuibert, 4e édition, 1994
- L'autodidaxie ou l'art d'apprendre par soi-même, C. Larose, Cité Educative, Vol. 8, n°1, sept.-oct. 1992
- Recherche pluridisciplinaire menée par Interface recherche et le Centre de recherche éducation-formation, voir Les adultes apprennent
surtout en dehors des stages, Entreprises & Carrières, n°691, nov. 2003
- Ibid
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/developper-une-«-culture-de-l-apprenance-».html?item_id=2523
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