est délégué général de l'Institut de l'entreprise.
L'éducation face aux défis du XXIe siècle
Dans une économie de la connaissance qui se mondialise, la qualité de l’éducation est devenue un enjeu stratégique : c’est à l’école que se forge la compétitivité des entreprises. Mais l’école a du mal à s’adapter. D’où les propositions qui suivent…
Si, de tout temps, le développement
économique a été fondé sur les progrès
des connaissances scientifiques et techniques, ce qui caractérise
de ce point de vue la période actuelle, c'est que la production
et la mise en œuvre des innovations ne reposent plus sur un nombre
relativement restreint d'individus œuvrant dans des laboratoires
et des bureaux d'études, mais proviennent du stock de connaissances
accumulées chez un grand nombre de personnes qui ont la capacité
de les transférer entre elles.
Les attentes des entreprises se sont ainsi profondément transformées
sous la pression du rythme croissant des innovations technologiques et
organisationnelles. L'entreprise taylorienne des années soixante
se satisfaisait relativement bien d'une main-d'œuvre de masse peu
qualifiée et peu autonome. L'entreprise du début du XXIe
siècle met en œuvre des technologies et des modes d'organisation
beaucoup plus exigeants en termes de qualifications, de compétences
et de comportements professionnels et sociaux.
Une réponse qualitative inadaptée
Face à cette profonde transformation du monde,
notre système éducatif a eu du mal à s'adapter. Cette
difficulté est perceptible à différents niveaux.
Le système éducatif français a procédé
en dix ans à un ajustement quantitatif d'une ampleur sans précédent.
En 1985, moins de 30 % d'une classe d'âge obtenait son bac (29,4
%), dix ans plus tard plus de 60 % d'une génération est
titulaire du baccalauréat (61,5 %). Mais à l'examen, on
peut faire trois constats.
- Sous l'effet de la prolongation des études,
le niveau d'ensemble de chaque génération a monté,
comme l'a mis en évidence l'exploitation des tests des armées.
Mais à chaque étape de la scolarité (fin de primaire,
CAP, baccalauréat…) les résultats n'ont pas progressé
: davantage d'élèves y accèdent, mais ils ne surpassent
pas leurs homologues d'hier en termes de connaissances scolaires. Or les
coûts par élève, en francs constants, ont progressé,
en vingt ans, de 86 % dans le premier degré, et de 65 % dans le
secondaire, sous le double impact de la revalorisation des traitements
des enseignants et de la forte diminution des effectifs des classes. La
permanence d'un noyau dur d'illettrés, estimé à 10
% de chaque classe d'âge, illustre bien l'entropie qui affecte le
système.
Une pénurie de professionnels
- La montée de l'accès au baccalauréat
s'est faite principalement par les filières générales
et technologiques, les bacheliers professionnels représentant moins
de 20 % du total des bacheliers. Or les baccalauréats généraux
et technologiques conduisent massivement à la poursuite d'études
dans le supérieur. Nous avons ainsi en une quinzaine d'années
inversé la pyramide des qualifications, en multipliant par quatre
les sortants diplômés du supérieur long et en divisant
par deux le nombre de ceux qui quittent le système de formation
initiale avec un diplôme professionnel de niveau 5, organisant ainsi
une pénurie de professionnels et une surabondance de diplômés.
- Au niveau des études supérieures
longues elles-mêmes, la désaffection pour les études
scientifiques fondamentales proposées par les universités
pose le problème du recrutement des enseignants et du remplacement
des chercheurs.
L’enseignement professionnel dégradé
Notre société est, moins que d'autres,
capable de reconnaître la pluralité des excellences. Cette
infirmité lui fait perdre beaucoup de talents et elle explique
la place, le rôle et le statut diminués que nous avons donnés
à l'enseignement professionnel. Le rééquilibrage
de notre système de formation passe par une revalorisation de sa
composante professionnelle, singulièrement sous sa forme d'apprentissage
qui offre un mode de formation particulièrement efficace chaque
fois que l'on est en présence d'une formation à finalité
directement professionnelle, ce qui est presque toujours le cas dans l'enseignement
supérieur.
L’Université paupérisée
La France est le seul pays développé qui
dépense moins pour un étudiant que pour un lycéen.
Quand la dépense moyenne par étudiant est de 200 aux États-Unis,
elle est de 100 dans les pays de l'OCDE et de 70 en France. Et encore
s'agit-il de moyennes qui masquent des différences très
importantes entre les disciplines et les institutions éducatives.
Faute de moyens, l'Université française
n'est plus en situation de donner à ses étudiants une formation
de qualité ni d'attirer des étudiants et des chercheurs étrangers de haut niveau ni même, ce qui est plus grave encore,
de retenir dans ses laboratoires ses meilleurs doctorants.
La formation continue négligée
La France incarne ce paradoxe d'être un pays qui
a institué il y a trente ans une obligation légale de formation
continue
et qui y consacre moins de 10 % de sa dépense globale d'éducation.
Un salarié anglais bénéficie pendant sa vie active
de trois à quatre fois plus de formation continue que son homologue
français. La maintenance mal assurée du capital humain conduit
à l'exclusion précoce du marché du travail.
Que faire ? Ou mieux encore, comment le faire ? De ce
point de vue, soyons au moins assurés d'une chose : il n'y aura
pas de Grand soir. Tous les ministres, parfois après avoir nourri
quelques illusions, ont éprouvé la capacité de résistance
du système. Quelques pistes s'ouvrent à nous, certaines
pour peu de temps, qu'il faut donc se hâter d'emprunter.
Réallouer les ressources à l’intérieur
du système
La France consacre près de 7,5 % de son PIB à
l'éducation et se situe dans le peloton de tête des pays
de l'OCDE. Le budget de l'Éducation a doublé en euros constants
en vingt ans, quand le PIB progressait de 60 %. Les moyens sont dans le
système et pas dans de nouvelles injections d'argent public. Il
faut redéployer une partie des moyens du primaire et du secondaire,
qui sont surdotés, au profit des universités et de la formation
continue. La démographie des élèves et des enseignants
en offre l'occasion.
La qualité de l'enseignement se joue dans les
établissements et dans les classes, c'est-à-dire au niveau
des unités de production elles-mêmes. C'est à ce niveau
seul que peuvent être prises en charge l'extraordinaire diversité
et la très grande hétéro-généité
des situations pédagogiques concrètes.
Il faut donc donner davantage d'autonomie aux établissements
à tous les niveaux : primaire, secondaire, supérieur et
une autonomie qui porte sur le cœur du métier, c'est-à-dire
l'enseignement lui-même.
Mais il n'y a pas d'autonomie s'il n'y a pas évaluation
et contrôle externes. La mise en place d'instances externes d'évaluation
des résultats et des performances des établissements représente
donc un enjeu majeur.
Gérer les personnes pour les motiver
Quand on cherche à expliquer les différences
importantes dans les performances d'établissements qui scolarisent
des élèves comparables par leurs origines sociales, on constate
que l'essentiel se situe au niveau de l'engagement et de la motivation
des enseignants, de l'existence de véritables équipes éducatives,
du leadership du chef d'établissement. Or l'Éducation nationale
gère des postes et des procédures, elle ne gère pas
des personnes et elle est devenue de ce fait une gigantesque machine à
dilapider les énergies.
Mais rien ne se fera sans la coopération active
des personnels. Or, pas plus que les salariés du secteur privé,
les professeurs n'aiment le changement. Les salariés du privé
sont contraints de l'accepter, car c'est la condition de la survie collective
sur un marché concurrentiel. Les enseignants peuvent y échapper
durablement. Comment trouver un substitut à la régulation
qu'exerce le marché sur les entreprises ? Tant que les ministres
n'auront pas répondu à cette question, il est à craindre
qu'ils connaîtront plus de défaites que de victoires dans
la morne plaine de Grenelle.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/l-education-face-aux-defis-du-xxie-siecle.html?item_id=2524
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