Philippe MARCEL

est président d'Adecco France.

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Intérim et formation : une approche originale

Alors que les partenaires sociaux ont récemment signé l’accord interprofessionnel sur la formation continue et que le gouvernement vient d’en transposer les termes dans la loi, il est intéressant de regarder la manière dont la profession de l’intérim a mobilisé l’outil de la formation pour répondre aux attentes conjointes des entreprises et des personnes.

Le cadre particulier du contrat de travail temporaire et la position d'intermédiaire des entreprises de travail temporaire ont conduit les partenaires sociaux de l'intérim, comme les entreprises de la branche, à faire preuve d'originalité et d'adaptation permanente aux mutations du marché du travail.

À la suite des lois Auroux de 1982 donnant un nouveau cadre à l'intérim et au contrat à durée déterminée, les partenaires sociaux de l'intérim ont été invités à mettre en place la formation professionnelle au bénéfice des salariés intérimaires. La problématique de l'adaptation d'un dispositif de formation, conçu originellement pour des salariés en contrat à durée indéterminée, à des salariés sous contrat de travail temporaire s’est alors très vite posée.

Une construction conventionnelle spécifique

Une seule illustration pour s'en convaincre, celle de l'articulation entre contrat de travail et formation. La formation professionnelle n'est possible, au sens de la loi, que dans le cadre d'un contrat de travail. Or un intérimaire est en contrat de travail (contrat de mission) dès lors qu'il est en mission auprès d'une entreprise utilisatrice. Rien que très logique à cela. Il n'était, bien entendu, pas concevable de soustraire un intérimaire à une entreprise pour le former, alors que cette dernière fait appel à lui… pour travailler. Il a donc fallu trouver une autre voie pour rendre effective la formation au bénéfice des salariés intérimaires. C'est ainsi qu'a été « inventé », en 1983, le contrat de mission formation, dont l'objet est d'héberger la formation dans un contrat de travail… hors temps de travail. Dès cette date Adecco a pu bâtir (et notamment dans le domaine du Bâtiment) des dispositifs permettant de former les collaborateurs intérimaires aux compétences recherchées par les entreprises.

Des applications précoces

À partir de cette première pierre, les partenaires sociaux du travail temporaire ont développé un ensemble de dispositifs de formations en alternance innovants avec le souci de leur adaptation permanente aux spécificités des publics visés. C'est ainsi que le contrat de qualification intérimaire a été instauré par la profession du travail temporaire dès 1986. Ce contrat permet, chaque année, à plus de 1 300 salariés intérimaires Adecco d'acquérir une nouvelle qualification par alternance de périodes de formation et de missions en entreprise. Il s'avère être un excellent vecteur d'attraction de nouveaux entrants pour le secteur du BTP en butte à une pénurie chronique de compétences.

Cette recherche permanente d'efficacité a donné lieu à la création, en 1995, du contrat de mission jeunes intérimaires (CMJI), contrat par alternance qui concentre la formation en début de contrat et est suivi de missions visant à mettre en pratique les connaissances acquises. Il s'adresse à un public de jeunes ayant déjà travaillé trois mois dans l'intérim, avec pour objectif de maîtriser rapidement les premières bases d'un métier : chaque année près de 1 000 CMJI sont signés permettant aux entreprises de mobiliser rapidement de nouvelles compétences.

Le principe fondateur de la transférabilité

Enfin, partant du constat que les formations de longue durée montrent leurs limites pour des publics éloignés de l'emploi, la profession a créé en 2000 le contrat de mission formation insertion (CMFI). Destiné à des demandeurs d'emploi éprouvant des difficultés particulières d'insertion ou de réinsertion (chômeurs de longue durée, RMIstes, Programme Trace…), le CMFI est un contrat de formation court (deux à quatre mois) permettant d'inscrire rapidement les personnes dans le cercle vertueux de l'emploi. Un premier bilan réalisé par Adecco sur 540 CMFI montre qu'ils représentent un réel « coup de pouce » pour le retour à l'emploi des publics visés.

Un des atouts de ces dispositifs est qu'ils s'appuient sur un principe fondateur de transférabilité. Transférabilité dans l'emploi : plus de 80 % des formations suivies dans le cadre de l'alternance par les intérimaires débouchent sur une qualification reconnue dans la classification d'une convention collective (24 % pour l'ensemble des contrats de qualification réalisés en France, selon une enquête menée par l'Agefal en 2000). Transférabilité des droits : l'ancienneté des intérimaires pour l'accès à la formation se calcule au niveau de la profession, et non entreprise par entreprise. C'est d'ailleurs aussi le cas pour l'accès au Cif (congé individuel de formation).

Dernière innovation en date, et non des moindres, l'instauration d'un droit individuel à la formation pour les intérimaires dès octobre 2000. La branche de l'intérim fut également l'une des premières à prévoir un mode de financement de la validation des acquis. Ce dispositif s'avèrera particulièrement adapté à la situation des intérimaires en rendant possible la reconnaissance des expériences acquises au fil des missions et en dépassant un horizon jusque-là marqué par l'absence de diplôme.

91 % des intérimaires sont en emploi à l'issue de leur formation en alternance. Ce chiffre est d'autant plus appréciable qu'ils sont 70 % à avoir un niveau de qualification égal ou inférieur au niveau V.

Une telle performance résulte de la position et du mode de fonctionnement des entreprises de travail temporaire. De par leurs réseaux d'agences — Adecco dispose ainsi de 1000 agences sur le territoire — au plus près des réalités économiques locales, elles ont une capacité inégalée à identifier les attentes des entreprises et, par-delà, à détecter les évolutions dans le contenu des métiers comme l'émergence de nouveaux besoins en termes de compétences. En découlent des choix de contenus de formation conduisant à un débouché quasi assuré en emploi.

Les atouts des réseaux

Au-delà de cet atout de proximité, Adecco a développé une véritable ingénierie de formation doublée de moyens d'accompagnement et de tutorat des personnes formées qui permettent de garantir un parcours de formation de qualité. Ce point mérite d'être noté, tant nombre de formations ne vont pas jusqu'à leur terme en raison de l'absence d'un tutorat puissant et à l'écoute des difficultés rencontrées par les stagiaires.

Enfin, cette qualité ne serait rien sans une capacité à identifier, attirer et sélectionner des candidats susceptibles de suivre les formations proposées, a fortiori sur des métiers dits « pénuriques ». La proximité y joue un rôle important, mais aussi un savoir-faire en matière de détection des compétences et des potentiels de publics peu habitués à se « valoriser ».

Aujourd'hui où l'on s'interroge sur les solutions à mettre en place pour réinsérer plusieurs centaines de milliers de personnes plus ou moins éloignées de l'emploi, l'expérience et l'approche originales retenues par l'intérim pourraient très certainement avoir valeur d'enseignement, et constituer un instrument pour contribuer à la résorption du chômage.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-1/interim-et-formation-une-approche-originale.html?item_id=2544
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