Hugues VANEL

Président de la commission économique de la Fédération Française du Bâtiment.

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Consolider l'offre de logements

Pour aider les jeunes à se loger, il est impératif de mener une politique volontariste de construction en révisant les pratiques d'attribution des permis de construire, en concevant de nouveaux types d'habitat et en encourageant l'offre locative privée.

Les jeunes de notre pays cumulent les difficultés, ce qui pendant longtemps n'a guère préoccupé les décideurs. « Il ne faut pas perdre de vue que la jeunesse, en France, on ne l'admire que chez les vieillards. » 1 En se limitant au seul domaine de l'autonomie, le constat apparaît sans ambiguïté. Depuis 2000 au moins, les problèmes récurrents de l'accès au logement des jeunes s'accroissent2.

L'accès à la propriété est devenu moins précoce et moins fréquent pour les générations les plus jeunes. Cet accès s'avère d'autant plus difficile que les jeunes vivent plus souvent dans les grandes zones urbaines, où les prix sont les plus élevés3.

Le déficit de logements qui alimente la pénurie, la précarité croissante des situations professionnelles et familiales, l'insécurité économique, font que l'instabilité s'accroît tant vis-à-vis de l'emploi que du logement4. Le manque de moyens financiers, le coût de l'accès au logement s'avèrent d'autant plus pénalisants que la mobilité résidentielle se révèle étroitement liée à l'âge. La novation réside dans le fait que les difficultés constatées pour se déplacer pèsent de plus en plus sur l'accès à l'emploi. L'absence de choix en matière de logement freine l'accès à l'emploi et/ou à la formation. Certes, cela n'est pas vrai dans les mêmes proportions partout et pour tous.

Une attention récente

Les jeunes sont finalement confrontés à une contradiction : d'un côté, le marché de l'emploi requiert mobilité et fluidité, d'un autre côté, le marché du logement s'avère rigide et exigeant. Pourtant, peu de mesures ont été prises pour remédier à ces situations. Michel Mouillart, dans le document cité ci-dessus, note que longtemps les jeunes n'ont pas constitué une catégorie bénéficiant d'une attention spécifique.

Petit à petit, les choses changent. Ainsi, l'accord interprofessionnel d'avril 2011 sur « l'accompagnement des jeunes dans leur accès au logement afin de favoriser leur accès à l'emploi » ambitionnait de créer 15 000 logements de petite taille par an pendant trois ans. Les résultats, faute de moyens, ne sont pas à la hauteur de l'ambition. C'est pourquoi, si l'on souhaite investir réellement dans l'avenir et donc dans la jeunesse, il faut bâtir une vraie politique visant à favoriser l'accès des jeunes au logement.

Deux difficultés principales, dans cette perspective, méritent d'être mentionnées.

  • La première a trait aux moyens budgétaires, rares en ces temps de crise et de réduction des déficits.
  • La seconde tient à la multiplicité des situations et des réalités humaines, avec des jeunes en formation classique, en alternance, en insertion professionnelle, titulaires d'un CDD, saisonniers, etc.

Des actions prioritaires

Pour autant, s'il faut à l'évidence rechercher le meilleur équilibre entre les populations ciblées, les différences territoriales, les aspects de coût et tenter d'isoler des approches fines, quelques axes forts d'actions incontournables se dégagent.

  • Le premier a trait à la politique foncière. Le débat, à ce jour, se focalise autour de l'option densification versus l'artificialisation aux franges. Sans minimiser l'intérêt de ce débat, tout en soulignant l'effort de densification à accomplir pour éviter le gaspillage des ressources naturelles, il convient de mettre prioritairement l'accent sur la question de la délivrance des permis de construire. Depuis les grandes lois de décentralisation des années 1980, ce rôle incombe à la commune. La réalité des marchés et la taille des communes prêchent - tous les experts le reconnaissent et le recommandent - pour un transfert des permis, et plus globalement des compétences en matière d'urbanisme, à l'intercommunalité.
    L'application à la région Île-de-France pose des problèmes particuliers mais non rédhibitoires, dès lors que l'on remet à plat la carte de l'intercommunalité existante. Il faut être clair : on ne développera pas l'offre de logements à un prix maîtrisé sans des politiques foncières volontaristes ! À cet égard, l'exemple de l'agglomération rennaise mériterait une attention particulière.
  • Le deuxième tient en quelques mots : l'accroissement significatif de l'offre doit s'accompagner d'une diversification des formes. Il faut concevoir de nouveaux styles d'habitat. Des expériences sont en cours avec des conteneurs maritimes, du bois, du pisé, l'autopromotion, etc. La loi Alur5, présentée par Cécile Duflot, ouvre de nouvelles perspectives avec les yourtes et les tipis bientôt autorisés en ville, au titre de l'habitat léger. Certains envisagent la mise au point de nouveaux bâtiments, moins onéreux mais de durée de vie courte et sans vocation patrimoniale. Nous pensons que toutes ces expériences positives ne dispensent pas du développement dans le même temps de logements « plus classiques » en colocation, qui existent dans presque tous les pays européens et en Amérique du Nord. Les partenaires sociaux, dans les accords déjà mentionnés, affirment d'ailleurs que c'est une voie à privilégier pour l'accueil des jeunes étudiants en formation, etc. Une telle orientation suppose la définition d'un cadre juridique adapté.
  • Le troisième renvoie aussi et surtout au développement du parc locatif privé. C'est dans ce segment qu'a majoritairement lieu l'accueil des jeunes (59 % des jeunes de moins de 30 ans contre seulement 19 % dans le parc locatif social6). Tout doit donc être fait pour encourager l'offre locative privée, sans laquelle il est vain d'espérer une solution aux problèmes posés. La condition passe par la définition d'un cadre légal adapté, car sans investisseurs bailleurs il ne saurait y avoir d'offre locative. En parallèle, rien n'interdit de réfléchir aux voies et moyens susceptibles d'améliorer l'accueil des jeunes au sein du parc locatif social.
  • Enfin, le quatrième répond au vœu d'un traitement équitable entre les générations, il importe d'aider sans arrière-pensée les ménages primo-accédants modestes. C'est une politique coûteuse, mais c'est une politique incontournable, si l'on souhaite qu'un jour l'objectif fixé de construire 500 000 logements par an (voire 400 000) devienne une réalité.

Deux crises

Certains ne manqueront pas de sourire en lisant sous la plume d'un entrepreneur de bâtiment que, pour résoudre le problème des jeunes, il soit (comme d'habitude !) d'abord nécessaire de produire plus de logements. Je répondrai simplement que notre pays connaît une double crise structurelle : premièrement, une crise de l'emploi, marquée par un taux de chômage conjoncturel et structurel plus élevé que dans la plupart des pays de l'OCDE, Allemagne y compris deuxièmement, une crise du logement, sur laquelle il n'est pas besoin de revenir. Et comme toujours, ces crises frappent les plus faibles, les entrants sur le marché. Ainsi, de la même façon, la crise générale conduit à l'exclusion des seniors du marché de l'emploi. Leur avantage par rapport aux jeunes est d'être logés.

Il faut donc prioritairement résoudre ces deux crises pour trouver des remèdes aux questions de l'emploi et du logement des jeunes. Aucune solution durable, pour l'ensemble de nos concitoyens en général et pour les jeunes plus particulièrement, ne sera trouvée sans un effort de construction conséquent et sur le long terme. Seul un parc plus important de logements permettra de faire baisser les prix, de réduire les taux d'effort et les montants d'épargne que les jeunes doivent mobiliser pour accéder à un logement. Cette épargne pourra alors aller vers d'autres emplois au profit des entreprises et ainsi accroître le bien-être global7.

  1. Roger Martin du Gard et Jacques-Émile Blanche, Petite suite de maximes et de caractères, Flammarion, 1944.
  2. Difficile pourtant de parler de génération(s) sacrifiée(s) : avec près de cent années de décalage avec la génération de 1914, il faut garder aux mots leur sens !
  3. Nadia Kesteman, « Le logement des jeunes. Synthèse des études statistiques récentes », Politiques sociales et familiales, Cnaf, n° 99, mai 2010.
  4. Michel Mouillart, « De la question du logement des jeunes », entretiens d'Inxauseta (Bunus), 30 août 2013.
  5. Projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
  6. « Le logement des jeunes », Habitat Actualité, Anil, novembre 2011, p. 10. Il est à noter que ce pourcentage est de 80 % pour les jeunes de 18 à 21 ans et de 69 % pour les 22-25 ans.
  7. Un nombre de logements disponibles plus élevé accroît le bien-être. Patrick Artus, Document de travail, Natixis, n° 100, 27 août 2013.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-11/consolider-l-offre-de-logements.html?item_id=3395
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