Jean-François AMADIEU

Professeur à l’université Panthéon-Sorbonne

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Une discrimination « sélective »

La crise n'a pas un impact homogène sur les jeunes : elle pénalise d'abord les non-diplômés, ceux qui viennent d'un milieu social défavorisé, vivent dans un quartier peu coté et n'ont pas le « bon look » ou le sexe masculin...

Les périodes de chômage rendent plus difficile le retour à l'emploi des salariés les plus âgés et ont des effets d'accroissement des inégalités parmi les candidats débutants ou peu expérimentés. Il faut ainsi se garder de ne porter attention qu'à la hausse du taux de chômage des plus jeunes, et surtout examiner de plus près les effets différenciés de la crise sur les jeunes. En effet, pour 81 % des salariés français 1, la crise augmente le risque de discrimination à l'égard de certaines catégories.

Emploi : plutôt mieux que les seniors

Les sondages annuels du Défenseur des droits (et antérieurement de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) permettent de savoir si, aux yeux des Français, être jeune est un avantage ou un inconvénient pour trouver un emploi. Depuis plusieurs années, ces enquêtes montrent que le fait d'être jeune serait plus un atout qu'un handicap pour trouver un travail et évoluer professionnellement. La dernière livraison de ces sondages 2, publiée en janvier 2013, indique une forte aggravation du sentiment de discrimination en raison de l'âge. L'âge est le premier facteur mentionné par les salariés s'estimant victimes de discrimination. Ces victimes sont à la fois certains jeunes, qui souvent sont également discriminés pour d'autres motifs, et, massivement, des seniors. En effet, si, aux yeux des salariés, être âgé de moins de 25 ans peut certes être un désavantage pour trouver un travail et évoluer professionnellement (25 % des salariés du privé et 28 % des salariés du public le pensent), cette jeunesse serait plutôt bénéfique selon 28 % des salariés du privé et 29 % des salariés du public. En revanche, être senior (plus de 45 ans) ne serait selon eux que très rarement avantageux (10 % des répondants) et serait en règle générale rédhibitoire (51 % des salariés du privé et 55 % des salariés du public le pensent).

D'autres enquêtes vont dans le même sens. Dans les sondages réalisés au niveau européen par TNS Sofres 3, on note que deux tiers des Européens croient que la crise économique contribue à davantage de discrimination à l'encontre les travailleurs les plus âgés (plus de 55 ans). Seulement 18 % des Européens pensent que la discrimination envers les moins de 30 ans est répandue dans leur pays, mais c'est en France que la discrimination à l'égard des jeunes est la plus importante : 30 % des répondants estiment que cette discrimination envers les jeunes y est répandue. Les jeunes connaissent par ailleurs des taux de chômage élevés et une précarité de l'emploi qui n'est pas à proprement parler le fruit d'une discrimination en raison de leur âge.

Prime au diplôme et au milieu social

Les périodes de chômage conduisent inévitablement à allonger les « files d'attente » sur le marché du travail, ce dont les jeunes sortant du système éducatif et pas ou peu expérimentés sont évidemment les premières victimes. Mais derrière cet effet se cachent des évolutions contrastées. La sélectivité, les inégalités et les discriminations, en particulier, sont plus importantes lorsque le chômage est important. Le nombre de candidatures disponibles permet aux employeurs d'être plus sélectifs et, pour certains, discriminants.

Premier phénomène, la prime au diplôme, qui est d'autant plus forte en période de chômage. Ceux qui ont des diplômes sont nettement plus protégés que ceux qui en sont dépourvus. Alors que pour les actifs de plus de 30 ans l'exigence d'un diplôme est moindre, pour les plus jeunes, en revanche, l'écart de taux de chômage entre les diplômés du supérieur (bac + 2 et plus) et ceux qui sont sans diplôme ou dotés d'un brevet n'a cessé de se creuser depuis la fin des années 1970. Et, depuis 2008, cet écart s'est fortement accru. Le taux de chômage des jeunes de moins de 30 ans diplômés à bac + 2 est quatre fois moins élevé que celui des jeunes non diplômés. Les titulaires du brevet ou du CEP ou ceux qui sont sortis sans aucun diplôme du système éducatif depuis un à quatre ans étaient 45,7 % à être au chômage en 2011. Les jeunes diplômés du supérieur ne sont que 9,4 % à être sans emploi.

L'effet de l'origine sociale est par ailleurs accru depuis quelques années. L'accès à l'emploi pour les jeunes est très dépendant des stages qui ont été réalisés. Les stagiaires ont évidemment plus de chances d'être embauchés dans l'entreprise dans laquelle ils ont été en stage ou en alternance. Or, l'accès aux stages se fait en grande partie grâce aux réseaux sociaux qu'un jeune est capable de mobiliser. La famille puis les amis jouent alors un rôle majeur. Par ailleurs, pour trouver un emploi, le réseau familial et amical a son importance. On peut estimer que, dans 70 % des cas, un jeune n'est pas un inconnu dans l'entreprise où il décroche un emploi. Une grande partie des emplois sont ainsi pourvus sans que plusieurs candidats aient été en lice car aucune publicité n'a été faite. Et même si, en apparence, plusieurs candidats sont en compétition, en réalité, les jeux sont faits. La profession des parents pèse de plus en plus nettement sur le rendement des diplômes. Alors que l'enseignement supérieur s'est démocratisé, la probabilité de devenir cadre pour un jeune, son type de contrat de travail et son niveau de salaire dépendent davantage de son origine sociale.

Plusieurs facteurs de discrimination

Lorsque plusieurs jeunes sont en compétition, d'autres discriminations que celles liées au milieu social opèrent. L'apparence physique semble, par exemple, avoir des effets toujours plus importants. Il s'agit d'abord du « look », de la façon de s'habiller et de se présenter qui est, de loin, le premier facteur de choix des employeurs à compétence égale. La France se distingue en Europe par la place accordée à l'apparence vestimentaire, au maquillage et à la bonne présentation. Les jeunes sont très inégaux devant la bonne maîtrise des codes sociaux en ce domaine.

La façon de se présenter n'est pas un critère de discrimination prévu par la loi car on comprend bien qu'elle puisse être un critère de sélection légitime des candidats. L'apparence physique est, en revanche, listée depuis 2001 dans le Code pénal. Pourtant, il s'agit d'une importante discrimination de plus en plus, une jeune fille obèse ou à l'apparence disgracieuse peine à trouver un emploi. Beaucoup d'emplois en contact avec la clientèle pour lesquels les jeunes sont préférés aux seniors sont fermés aux jeunes dont l'apparence physique n'est pas assez séduisante. Les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, du commerce de détail ou encore les métiers de l'accueil sont particulièrement concernés.

Les effets du lieu de résidence restent importants en plaçant les jeunes dans des situations différentes selon le quartier dans lequel ils habitent. C'est pourquoi certains parlementaires ont souhaité qu'on ajoute le lieu d'habitation aux 19 critères de discrimination inscrits dans la loi. Quant aux effets de l'origine nationale, de la couleur de peau et de l'appartenance religieuse supposée, ils restent forts malgré les progrès accomplis. En effet, certaines entreprises, en particulier de grande taille, ont paru adopter des politiques de promotion de la diversité et pratiquer des formes de discrimination positive sur une base « ethno-raciale » ou en fonction des quartiers de résidence. Il en va de même de politiques préférentielles de recrutement de jeunes femmes diplômées (ingénieurs en particulier) dans les secteurs de l'industrie ou de l'énergie. Mais, à côté de ces pratiques qui sont l'apanage de quelques très grands groupes, les discriminations restent, en moyenne nationale, importantes.

Dans un test par envois de CV (ou testing) mené en 2013 dans un département de l'Ouest, nous avons noté qu'une femme obtient 58,4 % de réponses positives de moins qu'un candidat homme auquel elle est opposée. Autrement dit, les femmes ont 2,5 fois moins de chances que les hommes d'être reçues en entretien d'embauche. La crainte de l'état de grossesse et la volonté de masculiniser certains emplois semble perdurer, ce dont témoignent les sondages du Défenseur des droits.

À l'évidence, plus que jamais, les jeunes ne forment pas un groupe homogène. Les destinées sur le marché du travail sont de plus en plus différenciées depuis 2008. Les effets renforcés de l'origine sociale se conjuguent avec les effets toujours croissants des discriminations liées à l'apparence, au sexe (ainsi qu'à la situation familiale, au nombre d'enfants, à la grossesse), au handicap ou encore aux origines nationales.

  1. Baromètre Ifop pour le Défenseur des droits et l'Organisation internationale du travail, sondage effectué en novembre et décembre 2012.
  2. Idem.
  3. Eurobaromètre 2012 sur la perception de la discrimination dans l'UE, TNS Sofres, Commission européenne, 22 novembre 2012.
  4. Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-11/une-discrimination-«-selective-».html?item_id=3392
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