Guillaume ALLÈGRE

Économiste au département des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

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Une situation économique et sociale précaire et inégale

En matière d'emploi, de ressources, de logement ou de santé, la situation des jeunes est très diverse. Le système de protection sociale français, qui ne s'est pas entièrement adapté aux évolutions qui les touchent, devrait être aménagé avec de nouveaux instruments de solidarité sociale et intergénérationnelle.

François Hollande a fait de la jeunesse la priorité de son quinquennat. Cette priorité illustre une préoccupation publique grandissante envers la situation économique et sociale des jeunes. De nombreux rapports et études soulignent ainsi les difficultés que la jeunesse traverse aujourd'hui. Pour comprendre ces difficultés, il faut tout d'abord distinguer ce qui relève d'un « effet âge », lié à la recomposition pérenne du cycle de vie, de ce qui relève des inégalités entre cohortes successives (« effet génération ») et de l'impact conjoncturel de la crise économique : les difficultés concernent-elles une génération particulière qui serait marquée de façon persistante ou la jeunesse fait-elle face à une crise structurelle qui touche plusieurs générations successives ? Il faut également se demander si les difficultés touchent tous les jeunes de façon homogène ou si, au contraire, elles sont ciblées sur seulement une partie de la jeunesse.

La jeunesse est souvent définie comme la période de la vie située entre la fin de la scolarité obligatoire et l'accès à l'indépendance financière et résidentielle. Par construction, cet âge se caractérise par la dépendance financière due à l'éloignement du marché du travail (études, recherche d'emploi). Par souci de comparaison, nous nous appuierons ici sur des statistiques par classes d'âge (par exemple les 18-25 ans). Il faut toutefois garder en tête qu'avec le vieillissement, l'allongement des études et la recomposition du cycle de vie, avoir 20 ans aujourd'hui n'a pas la même signification qu'il y a vingt, trente ou quarante ans.

Des difficultés déjà « anciennes »

Les jeunes sont particulièrement touchés par la crise économique : le taux de chômage des 15-24 ans est passé de 18,6 % en 2008 à 22 % en 2011 1, soit une augmentation de 3,4 points en trois ans, contre 1,8 point pour l'ensemble de la population d'âge actif (15-64 ans). Le graphique ci-contre montre que les jeunes sont particulièrement touchés par les fluctuations économiques : leur taux de chômage a atteint des pics dépassant les 20 % en 1985 (20,1 %), 1994 (22,2 %) et 2009 (23,2 %). On voit également que les conditions d'entrée dans la vie active se sont très fortement dégradées de façon structurelle entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 : les difficultés que les jeunes rencontrent en entrant dans la vie active ne datent donc pas d'hier! La montée du chômage s'est également accompagnée d'un développement important de l'emploi temporaire. En 1982, ces emplois ne constituaient que 4 % de l'ensemble des emplois et 14 % des emplois occupés par les 16-25 ans. En 2010, ils représentent 12 % de l'ensemble des emplois, 48 % de ceux occupés par les jeunes et près du tiers de ceux occupés par des actifs ayant moins de cinq ans d'expérience.

Taux de chômage par tranches d’âge, 1975-2011

Source : Insee, Enquêtes emploi 1975-2011, séries longues.

De plus, les écarts de salaires entre les jeunes et les moins jeunes ont augmenté depuis les années 1970. La rémunération en début de vie active des générations nées après 1950 s'est dégradée, mais ce recul du salaire de départ a été compensé par une progression plus rapide durant la carrière : les écarts entre tranches d'âge se sont creusés, et l'âge où la rémunération est maximale s'est élevé.

Les difficultés sur le marché du travail ont eu pour conséquence une augmentation du taux de pauvreté des jeunes dans la crise : le taux de pauvreté des 18-29 ans s'élevait à 17,8 % en 2010, en hausse de 3,1 points depuis 2004, tandis que le taux de pauvreté de l'ensemble de la population est passé de 12,6 % à 14,1 % durant la même période. De même que le taux de chômage, le taux de pauvreté des jeunes est très sensible à la conjoncture : il s'élevait déjà à 18,9 % en 1996 (contre 14,5 % pour la population entière) avant de redescendre au début des années 2000. Sur longue période, on assiste toutefois à un inversement de la courbe par âges : tandis que, dans les années 1970, la pauvreté touchait plus fortement les personnes âgées, c'est désormais chez les jeunes que la proportion de pauvres est la plus élevée 2.

Pour les jeunes, la forte augmentation du coût du logement se cumule aux difficultés rencontrées sur le marché du travail. L'augmentation de la cherté relative du logement depuis la fin des années 1970 touche particulièrement les ménages jeunes, dont les revenus progressent moins vite que l'ensemble des ménages. Pour les locataires de moins de 30 ans, la part de loyers (hors charges) dans le revenu a plus que doublé entre 1978 et 2006, passant d'environ 10 % à 20 % 3.

De meilleures conditions de vie quand même...

Malgré les effets de la crise et les difficultés accrues d'insertion dans la vie active, les jeunes bénéficient de l'amélioration générale des conditions de vie. En 2010, le niveau de vie moyen des 18-24 ans est ainsi 21 % plus élevé qu'en 1996, évolution qui n'est guère différente de celle de l'ensemble de la population (22 %) 4.

Sur longue période, les jeunes vivent également dans des logements plus grands : les locataires de moins de 25 ans vivent dans 35 m2 par personne en 2006 contre 32 m² en 1982 et seulement 27 m2 en 1978. Le surpeuplement des logements a considérablement diminué et le confort s'est nettement amélioré. L'absence de WC, de douche ou de bain et de chauffage est en effet devenu très exceptionnelle : elle concerne moins de 10 % des jeunes ménages en 2006 contre 40 % en 1973 5.

Il est plus difficile de comparer l'évolution de la santé des jeunes, l'état de santé étant moins facilement résumé à l'aide d'un indicateur unique. On peut toutefois noter que le taux de mortalité des 20-24 ans a fortement baissé entre 1975 et 2010, passant de 12,3 morts pour 10 000 personnes à 4,7. Si la mortalité ne peut résumer les problématiques inhérentes à la santé des jeunes (la baisse de la mortalité est en partie liée à la réduction des accidents de la route), cette statistique permet d'illustrer une amélioration de la situation des jeunes générations en termes de risques.

Finalement, en se comparant à leurs parents, les jeunes peuvent se désoler en constatant que les écarts de revenus se sont creusés et que les conditions d'entrée dans la vie active se sont détériorées, ou se consoler en observant que, au même âge, ils ont un niveau de vie plus élevé.

... mais pas pour tous

L'évolution des conditions moyennes par classes d'âge masque les inégalités au sein des âges, les difficultés n'étant pas partagées également entre l'ensemble des jeunes. Le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq) suit des cohortes de jeunes à leur sortie de formation initiale et analyse leurs parcours d'entrée dans la vie active. Les résultats pour les jeunes sortis du système éducatif en 2007 montrent des différences importantes d'accès à l'emploi selon le niveau du diplôme. Après trois ans de vie active, le taux de chômage des individus sortis du système éducatif sans diplôme est de 40 %, contre 19 % pour les individus sortis avec un diplôme du secondaire et 9 % pour les diplômés du supérieur 6.

Les jeunes sortis sans diplôme sont ainsi particulièrement exposés à la conjoncture lors de leur entrée dans la vie active, alors que les diplômés accèdent toujours relativement rapidement à l'emploi stable. Or, l'obtention du diplôme est fortement liée à l'origine sociale : parmi les jeunes ayant terminé leur formation initiale entre 2008 et 2010, 61 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme du supérieur contre seulement 31 % des enfants d'ouvriers et d'employés 7. Le constat d'une forte transmission intergénérationnelle des inégalités scolaires est loin d'être nouveau : Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron l'avaient déjà souligné en 1964 8.

Le logement constitue une autre voie de transmission intergénérationnelle des inégalités. Les taux de propriété baissant peu ou pas aux âges les plus élevés, les gains liés à l'augmentation des prix de l'immobilier sont transmis aux enfants par les donations et les successions. De plus, recevoir une donation de ses parents augmente la probabilité d'acquérir un logement.

Si la transmission intergénérationnelle des inégalités n'est pas nouvelle, les mécanismes décrits ici (transmission du capital humain, donations, aide à l'accession immobilière) permettent de tordre le cou à l'idée d'une « fracture générationnelle » ou d'une spoliation des jeunes par les baby-boomers, puisque les solidarités privées entre générations viennent compenser la faiblesse des solidarités publiques.

Quelles politiques ?

Il apparaît tout de même que le système de protection sociale ne s'est pas entièrement adapté à l'allongement de la durée des études et aux difficultés d'insertion sur le marché du travail. En l'absence d'une protection sociale adaptée, les jeunes doivent se reposer sur leur famille, avec les inégalités que cela implique. De plus, une grande partie des aides liées à la dépendance de jeunes adultes se fait toujours en direction des familles et non pas des jeunes eux-mêmes : les prestations familiales, le système de quotient familial et une part des allocations logement bénéficient aux parents et non aux jeunes directement, ce qui renforce leur dépendance alors que la demande d'autonomie grandit. Pour les étudiants, le système de transfert est généreux pour les ménages les plus pauvres (grâce aux bourses) et les plus riches (grâce aux réductions d'impôt), mais, au milieu, les classes populaires et moyennes sont peu aidées. Dès lors, soit l'étudiant est aidé par sa famille, soit il devra travailler en parallèle, ce qui peut peser sur la réussite de ses études. Les jeunes actifs bénéficient peu de l'indemnisation chômage, faute le plus souvent de la durée de cotisation nécessaire.

L'allongement de la durée des études et les difficultés d'entrée dans la vie active plaident pour une meilleure prise en compte par la protection sociale de ces temps de dépendance économique, soit par des politiques spécifiques visant les étudiants (système de bourse élargi) et les entrants sur le marché du travail (allocation d'insertion), soit par une réforme plus ambitieuse du financement de la formation et de la protection sociale tout au long de la vie. Même si cela ne constitue pas une solution miracle, proposer des emplois non marchands aux jeunes est également une solution relativement peu coûteuse, qui permet, en plus, de répondre à un certain nombre de besoins sociaux. Par exemple, proposer des monitorats aux étudiants qui le désirent permettrait de leur procurer un travail et un revenu sans que cela nuise à leurs études, et de répondre aux nombreux besoins des universités (ouverture des bibliothèques, mise en ligne de cours, soutien, vie étudiante) ou de l'enseignement secondaire (soutien scolaire).

En ce qui concerne l'entrée dans la vie active, une politique consistant à ne laisser aucun jeune sans solution à la sortie de sa formation initiale pourrait être menée. Cela nécessiterait d'évaluer les besoins des individus qui, six mois après leur sortie de formation initiale, seraient encore sans emploi. Selon leur besoin, un référent leur proposerait alors un emploi d'avenir, un service civique, une formation rémunérée ou une allocation d'insertion, de telle sorte que, durant cette période, personne ne soit sans revenu.

Répondre à la crise de la jeunesse nécessite d'inventer de nouveaux instruments de solidarité sociale et intergénérationnelle. La demande croissante d'autonomie des jeunes et la présence d'un certain nombre de besoins non satisfaits plaident à la fois pour une protection sociale élargie et pour un recours plus important à l'emploi non marchand comme complément à l'emploi marchand.

  1. Le taux de chômage est calculé parmi les actifs seulement, soit les personnes en emploi ou en recherche d'emploi. Comme une part importante des jeunes font des études, la part de jeunes au chômage est beaucoup plus faible : elle s'élevait à 8,6 % des 15-24 ans en fin d'année 2010.
  2. Marie-Émilie Clerc, Olivier Monso et Erwan Pouliquen, « Les inégalités entre générations depuis le baby-boom », L'Économie française, édition 2011, Insee Références.
  3. Guillaume Allègre et Guillaume Dollé, « Le logement des jeunes et des nouvelles générations, 1978-2006 », Revue de l'OFCE, n° 128, 2013.
  4. Source Insee-DGI. Personnes vivant dans un ménage dont la personne de référence n'est pas étudiante.
  5. Laurent Fauvet, 2009 : « Le poids du logement dans le budget des ménages : une approche générationnelle », in «Compte du logement », Commissariat général au développement durable, 2009.
  6. « 2007-2010. Premiers pas dans la vie active. Le diplôme : un atout gagnant pour les jeunes face à la crise », Enquête Génération 2007, Cereq, 2011.
  7. L'état de l'école 2012, ministère de l'Éducation nationale, 2012.
  8. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Minuit, 1964.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-11/une-situation-economique-et-sociale-precaire-et-inegale.html?item_id=3387
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