Professeur d'anthropologie et de philosophie de l'éducation, cofondateur du Centre interdisciplinaire d'anthropologie historique de l'Université libre de Berlin.
Formation en alternance : la méthode allemande
Outre-Rhin, 70 % des formations professionnelles sont en alternance. Le système allemand se fonde en effet sur la conviction que la pratique en entreprise est capitale pour la formation des jeunes, qui sont donc, très tôt, confrontés à l'expérience concrète du travail en entreprise.
En Allemagne, l'entrée des jeunes dans le monde du travail se fait en deux temps : une première fois dans le cadre de leur formation professionnelle et une seconde fois à l'issue de cette formation. Les deux tiers des Allemands ont suivi leur formation professionnelle dans le cadre d'un système d'alternance (« système dual »), dans lequel l'accès au monde du travail se fait tout d'abord par une phase d'apprentissage dans l'entreprise de trois à quatre jours par semaine. Cette phase est complétée par une formation parallèle d'un à deux jours par semaine dans une école professionnelle. Ce caractère dual de la formation professionnelle - constituée d'une phase en entreprise et d'une phase scolaire - est la caractéristique essentielle de la formation professionnelle en Allemagne. Selon le métier considéré, cette formation dure entre deux ans et trois ans et demi.
Les quatre composantes de la formation
La formation professionnelle consiste à transmettre des connaissances théoriques et à développer des aptitudes et des capacités pratiques. La transmission des connaissances théoriques s'effectue dans une école professionnelle ou un établissement de formation hors entreprise, qui complète la formation pratique en entreprise. En Allemagne, la formation professionnelle se caractérise par quatre composantes :
- l'apport d'une formation professionnelle de base, généraliste
- la transmission des connaissances et aptitudes techniques nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle
- l'acquisition de l'expérience professionnelle requise
- la mise en œuvre de la formation professionnelle dans le cadre d'un cursus cohérent et bien structuré.
La loi sur la formation professionnelle et les différents codes des métiers sont les textes de base qui régissent la formation professionnelle. La qualité de la formation professionnelle dépend en grande partie de la façon dont se déroule la coopération entre les deux institutions indépendantes que sont l'« entreprise » et l'« école profession- -nelle ». En 2011, 70 % des formations professionnelles se sont déroulées dans le cadre de la formation en alternance, soit 8 % de plus qu'en 2009. Même dans les professions intellectuelles, telles que l'enseignement, ainsi que pour les médecins et les juristes, par exemple, il existe une phase pratique de plusieurs années au cours de laquelle on acquiert les connaissances pratiques fondamentales. La phase pratique, sanctionnée par un examen, conditionne le recrutement dans l'un de ses métiers.
La situation des jeunes
Pour mettre en place la formation d'un jeune, un contrat de formation est conclu entre l'entreprise et l'apprenti. C'est également l'élément de base qui conditionne la rémunération de l'apprenti, qui varie selon les secteurs d'activité et évolue entre la première et la troisième année de formation. Dans le bâtiment, par exemple, un apprenti perçoit 554 euros par mois la première année et 1 222 euros la troisième année dans l'industrie chimique, cette rémunération est respectivement de 655 euros et 876 euros, et de 604 euros et 819 euros dans le commerce de détail. Si l'apprenti a fait ses preuves, il peut être embauché par l'entreprise dans laquelle il a accompli sa période de formation.
Au début des années 2000, environ 1,7 million de jeunes étaient inscrits dans 348 filières de formation agréées par l'État. Les entreprises de l'industrie et du commerce employaient 49 % de ces apprentis, et les entreprises artisanales, 38 % les autres secteurs, tels que l'agriculture, les services publics, les professions libérales, l'économie domestique et la navigation maritime représentaient à peine 15 %.
Selon les chiffres de l'Institut fédéral de la formation professionnelle, il y avait, en 2011, 599 800 places d'apprentis pour 646 000 postulants et 570 140 contrats de formation ont été conclus. Il est toutefois difficile pour les jeunes non diplômés de trouver une place d'apprentissage dans les entreprises. Lorsqu'ils sont encore en âge scolaire, ils suivent généralement une année de préformation professionnelle (ou année de stage préprofessionnel), censée leur permettre d'accéder, au bout d'un an, à une formation professionnelle. Au cours de cette année, les jeunes font le bilan de leurs atouts et de leurs points faibles, bénéficient d'une orientation professionnelle et acquièrent des aptitudes professionnelles de base et une qualification élémentaire, directement axée sur l'entreprise et sur un métier.
Learning by doing
Il est toujours bien précisé que les conditions requises pour être admis à une formation professionnelle incluent des compétences techniques, sociales et humaines, ce qui signifie que l'acquisition d'un certain niveau de culture générale fait également partie de la formation professionnelle. Le travail en entreprise reste néanmoins l'élément principal de la formation en alternance. On considère en effet que la pratique, importante pour exercer un métier, s'acquiert au mieux au sein de l'entreprise et sur le terrain. Il s'agit là, en grande partie, d'un learning by doing (apprentissage par la pratique). Pour les nombreuses PME, qui constituent l'essentiel du tissu économique allemand, cette forme d'apprentissage est particulièrement importante. L'apprenti a ainsi la possibilité, dès le début, de faire l'expérience du travail et d'acquérir des compétences professionnelles, sociales et humaines. Il est immédiatement confronté à la réalité du terrain. En outre, l'entreprise dispose, grâce à la collaboration de l'apprenti, d'une main-d'œuvre qu'elle peut utiliser de façon de plus en plus efficace. Cette « collaboration » précoce est également d'un grand intérêt économique, surtout dans les PME.
La transmission des connaissances
Le système allemand de formation en alternance se fonde sur la conviction que la pratique en entreprise est capitale pour la formation des jeunes. Ceux-ci sont donc, très tôt, confrontés à l'expérience concrète du travail en entreprise. Il s'agit de faire acquérir aux apprentis, dès que possible, les connaissances pratiques qui leur permettront d'assumer leurs tâches au sein de l'entreprise. L'acquisition de ces connaissances se distingue de la transmission systématique, théorique (fondée sur la parole) du savoir. La transmission théorique du savoir vise, par exemple, à enseigner des notions et des méthodes permettant de comprendre et d'analyser des situations et des problèmes d'entreprise, dans le but de trouver les meilleures solutions possibles. Grâce aux connaissances pratiques, l'apprenti sera capable d'accomplir les processus de travail nécessaires au sein de l'entreprise. Cela requiert aussi, bien souvent, des pratiques physiques qui se transmettent par des processus mimétiques.
L'apprentissage mimétique - c'est-à-dire par des formes d'imitation créative - joue un rôle important dans tous les secteurs professionnels. Lorsque l'acquisition d'une pratique professionnelle est primordiale, l'apprentissage mimétique est capital, y compris pour des professions intellectuelles, telles que, par exemple, les professions éducatives, médicales et juridiques. L'acquisition - en grande partie mimétique - des connaissances professionnelles pratiques est au cœur du système de formation en alternance. Parmi les principaux secteurs de la formation en alternance - et de la formation pratique qui y joue un rôle majeur - on trouve : l'artisanat, l'industrie, le commerce, les services, la navigation, l'agriculture, les professions libérales et les services publics. Certes, les processus mimétiques d'apprentissage interviennent également à l'école professionnelle, mais ils sont un élément constitutif majeur des trois ou quatre jours de formation en entreprise. En effet, l'appropriation mimétique d'une pratique professionnelle et l'acquisition d'un savoir pratique, important pour le secteur professionnel considéré, en constituent l'essentiel. Dans certains cas, cet apprentissage est complété par une formation interentreprises, ce qui permet de compenser la trop grande spécialisation de certains établissements.
Dans l'apprentissage mimétique, l'appropriation des connaissances pratiques se fait par des processus d'imitation, dans lesquels l'apprenti essaie de « ressembler » au pratiquant expérimenté. Dans ces processus d'assimilation aux professionnels, qui leur servent d'exemples, les apprentis acquièrent de nombreuses compétences pratiques, impossibles à transmettre autrement, qui les qualifient pour le travail en entreprise. Ces processus mimétiques ne sont pas de simples mécanismes de reproduction ils sont, au contraire, autonomes et, bien souvent, créatifs. Chaque apprenti développe sa façon personnelle de mettre en œuvre les pratiques d'entreprise, de sorte que les modalités de la pratique englobent un large spectre dans lequel se révèlent la performativité et la diversité des connaissances professionnelles concrètes.
Un savoir corporel pratique
Dans le monde du travail, l'apprentissage ne se fait pas seulement par la compréhension et la connaissance conscientes c'est aussi, dans de larges domaines, un apprentissage physique, qui suppose une plasticité du corps et intègre, dans ses processus mimétiques, des images, des schémas et des modes de comportement. Les apprentis voient et apprennent comment les tâches sont abordées et maîtrisées concrètement. Lorsqu'ils appréhendent ces processus, cela crée, dans leur corps, des images, des schémas et des modèles de comportement qui les rendent capables d'agir en conséquence dans des situations similaires. Les perceptions intégrées aux processus mimétiques s'associent aux images, schémas et modes de comportement déjà présents dans leur imaginaire. Ces processus, dont l'objectif est de participer aux pratiques du monde du travail, se déroulent en grande partie de façon inconsciente. Ils aboutissent à un savoir corporel pratique, sans lequel il n'est pas possible d'agir professionnellement dans le monde du travail.
Dans les processus mimétiques, les mouvements quotidiens du corps et les pratiques du travail jouent un rôle majeur. Ils créent un lien entre le monde du travail et les individus qui y sont à l'œuvre et offrent à ceux-là une ouverture sur les choses avec lesquelles le monde du travail est en rapport, par exemple sur l'espace et sur le contexte social et culturel dans lequel ils se trouvent. Le savoir pratique naît de cette intrication du monde du travail et du corps des hommes, par exemple dans le training on the job, « formation en milieu professionnel ».
Le succès de ce système de formation en alternance repose en grande partie sur le fait que les jeunes sont déjà familiarisés avec la pratique professionnelle lorsque, à l'issue de leur formation, ils entrent dans le monde du travail.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-11/formation-en-alternance-la-methode-allemande.html?item_id=3391
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