Bernard COLOOS

Économiste, auteur notamment, avec Jean Bosvieux, de l’ouvrage Le logement et l’État providence (2020), et de 15 questions de politique du logement (2020).

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L’amélioration de la rentabilité de l’immobilier par la TVA à 5,5 % dans le logement

L’obsolescence liée au temps et à l’usage n’épargne pas l’immobilier d’habitation. Elle conduit à une dépréciation du bien que seuls des travaux contrecarrent. Or ces travaux permettent souvent une amélioration sensible de la rentabilité de ce bien immobilier. La mesure étendue à la TVA à 5,5% s’inscrit dans cette action.

La TVA occupe une place primordiale (un peu plus de 40%) dans les recettes fiscales de l’Etat. Ce constat et les engagements européens expliquent tout à la fois les difficultés, pour les pouvoirs publics, à modifier les règles du jeu et les convoitises suscitées en raison des enjeux financiers associés.

Force est cependant de constater que cette rentrée fiscale n’a pas le même impact sur tous les secteurs de l’économie. La décision d’une expérimentation de la TVA à 5,5% dans le domaine des travaux d’entretien du logement, pour une période allant du 15 septembre 1999 au 31 décembre 2002, en constitue une parfaite illustration. Le choix du Bâtiment comme cible ne doit rien au hasard. Plusieurs de ses spécificités ont eu une influence cruciale sur la décision. A ce titre, on peut citer :

1 - un contenu en emplois élevé. Rappelons à cet égard qu’un euro de chiffre d’affaires dans le bâtiment s’accompagne d’un effet emplois trois fois plus fort que dans l’industrie et deux fois et demie plus élevé que dans l’ensemble de l’économie marchande ;

2 - la possibilité de corriger par des baisses ciblées de TVA des distorsions de prix préexistantes. On se réfère ici à la concurrence de l’économie souterraine, mais aussi à l’auto-production. Or le Bâtiment concentre le tiers de la production au noir en France (cf. encadré p. 33) ;

3 - l’importance de l’offre et donc de la concurrence (275 000 entreprises dont 259 000 de zéro à dix salariés), les comportements des clients de plus en plus avertis en matière de prix et, enfin, une demande exclusivement portée par des consommateurs finaux qui n’ont pas la possibilité de récupérer la TVA.

Or une baisse ciblée n’est utile et possible que pour les secteurs très intensifs en main-d’œuvre, très concurrentiels (faute de quoi la baisse de la TVA risque d’accroître les rentes de monopole) et pour lesquels la demande finale est fortement élastique au prix. Cela est d’importance puisque l’expérience suggère que toute mesure sectorielle contient un risque substantiel d’extension du champ au-delà de ce qui est justifié en termes d’efficacité relative. Cela conduit à réserver l’utilisation d’instruments ciblés, comme les baisses de TVA, à des biens et services pour lesquels une telle approche peut être fondée en raison de spécificités avérées (notamment concurrence de l’économie informelle). Dans les autres cas, la priorité en matière de politique de l’emploi devrait rester aux instruments agissant directement sur la demande de travail.

Les difficultés d’un chiffrage

Les travaux réalisés sur le logement existant sont soumis à la concurrence de l’économie « informelle » (cf. encadré) qui se dérobe par nature à l’investigation statistique et à la quantification précise. Il en va de même de la fraude et de l’évasion fiscales. Un chiffrage complet des effets du taux réduit de TVA impose pourtant une quantification de ces éléments, sachant que d’autres éléments perturbateurs compliquent encore l’exercice.

En premier lieu, il faut citer le faible nombre d’observations disponibles sur le passé, concernant les travaux sur le parc existant. Si la construction neuve fait l’objet d’un recensement permanent depuis plus de cinquante ans, les données sur le secteur de l’entretien remontent à la création du baromètre de l’entretien : en 1993 pour le logement et en 1994 pour le non-résidentiel. Une période d’observation aussi courte nuit aux tests économétriques de mesure d’impact de la TVA à 5,5%.

En deuxième lieu, il y a les conséquences de la tempête de la fin de l’année 1999. Les sociétés d’assurance n’ont pas pu, de fait, dissocier le coût global entre les différents postes de dépenses. En économétrie, il est plus difficile de chiffrer un choc transitoire qu’une modification profonde du marché.

Enfin, le recul manque sans doute pour estimer avec certitude l’effet d’une mesure de caractère structurel dont la montée en puissance n’est pas achevée.

Les premiers résultats estimés

Il y a, aujourd’hui, un peu plus de deux années que la mesure est entrée en vigueur. Malgré les difficultés mentionnées, on peut tenter d’en tirer un premier bilan.

En premier lieu sur l’évolution des prix. De fait, de nombreuses craintes ont été émises à ce sujet, aggravées par la coïncidence, en termes de calendrier, entre date de mise en place de la TVA à 5,5% et survenance de la tempête de la fin de l’année 1999 qui a accentué les tensions préexistantes sur l’appareil de production.

Les chiffres disponibles en matière de prix invalident de telles craintes. La baisse de la TVA fut bien répercutée sur la clientèle. Sur l’année 2000, la hausse des prix (+ 4%) a été pratiquement équivalente à celle des coûts1 (3,5 à 4%). Certes, au cours du premier trimestre 2001, la hausse s’est un peu accélérée2 (+ 4,5% en glissement annuel) mais depuis, une décélération est intervenue. Au deuxième semestre, la hausse se situe à 3% en rythme annuel par rapport au premier semestre, chiffre à
rapprocher d’une hausse des coûts de 2,5% l’an sur la même période.

En second lieu sur les aspects activité et emploi. A cet égard, distinguer effet économique, effet tempête et effet TVA se heurte à de nombreuses incertitudes et difficultés techniques. Tous les tests économétriques effectués à ce jour touchent leurs limites du fait de deux contraintes : un système d’observation sur l’entretien trop récent et une relative instabilité des tests effectués. Les deux sont d’ailleurs en grande partie liés. Le test le plus vraisemblable sur le plan économique conduit néanmoins à un supplément de travaux sur deux années pleines de 2,5 milliards d’euros ayant conduit à la création de 50 000 emplois dont 30 000 emplois directs (20 000 en 2002 et 10 000 en 2001).

Ce supplément net résulte de trois effets conjugués :
  1. un supplément de demande lié directement à l’effet solvabilisateur ;
  2. une réduction du travail noir et de la fraude liée à l’effet prix, bien réel, de la mesure TVA ;
  3. une compensation des travaux « perdus » du fait de la suppression des mesures fiscales relatives aux réductions d’impôt sur les grosses réparations, travaux de ravalement et travaux d’entretien3.

Cette évaluation de l’impact de la mesure TVA à taux réduit doit s’apprécier pour ce qu’elle est : un film dont la chute reste à écrire. En particulier, il faut rappeler que la mesure fut mise en place dans un contexte de tensions sur les capacités de production, tensions qui demeurent très vives au premier trimestre de l’année 2002.

Sa montée en régime devrait donc se poursuivre au cours du deuxième semestre 2002 et sur l’année 2003 sous l’effet d’une nette détente des tensions des capacités de production. On devrait alors s’orienter progressivement vers un supplément annuel de travaux de plus de 1,5 milliard d’euros générant environ 30 000 emplois directs par an, soit 50 000 en y incluant les effets induits. Ce chiffre, que seul le temps validera, si cette mesure est pérennisée après fin 2002, suffit à lui tout seul à démontrer à la fois l’ampleur des effets et les enjeux de cette mesure pour le secteur du bâtiment.

L’économie informelle

L’économie informelle ou souterraine recouvre, d’une part, l’ensemble des activités productrices licites non déclarées (fraude et évasion fiscales, travail illégal, services de voisinage), d’autre part, l’ensemble des activités illicites productrices de biens ou de services (trafics de stupéfiants, d’armes ou de cigarettes, proxénétisme).

Bien que cette économie soit difficile à quantifier, l’Insee tente de la chiffrer en la limitant à deux grands postes :

  • la fraude et les évasions fiscales ou activités licites dissimulées d’entreprises déclarées et immatriculées, telles qu’évaluées par redressement des documents fiscaux ;
  • le travail noir ou production (valeur ajoutée) non déclarée d’entreprises clandestines ou non déclarées dont l’estimation se révèle plus délicate.

Ces deux postes représenteraient environ 30 milliards d’euros en 1985, soit 4% du PIB4.

La principale raison d’être du travail au noir est d’ordre économique : l’un des partenaires améliore ses ressources, l’autre réduit ses dépenses. Une telle équation magique ne trouve de solution que par le poids des cotisations sociales et de l’impôt, TVA en particulier. Mais d’autres facteurs sont à prendre en considération.

  • La revanche sur le fisc, le souci d’aider une personne en difficulté ou en situation irrégulière, l’impossibilité de trouver une offre adaptée ou dans les délais impartis, la volonté d’être associé à la réalisation des travaux, la logique du coup de main, constituent autant de facteurs déclenchants chez les ménages. De plus, le sentiment d’impunité reste assez fort.
  • Les spécificités liées au secteur du bâtiment avec de fortes périodes de pointe, un éclatement géographique des chantiers, le développement de la sous-traitance et du tâcheronnage. L’accroissement des contraintes en termes d’heures légales de travail ne peut qu’accentuer une telle tendance naturelle.
  • Enfin, la tentation reste forte pour certaines entreprises de se soustraire totalement ou partiellement au paiement des charges sociales et fiscales dont le montant très élevé est une puissante incitation à la fraude.

Les chiffres de la construction

Les ordres de grandeur relevés par les Comptes de la Nation pour le secteur de la construction (ensemble du secteur bâtiment et génie civil et agricole) sont les suivants.

  • La fraude et l’évasion fiscales pour le secteur construction (9,9% de la valeur ajoutée) sont certes plus importantes que pour la moyenne de l’économie (6,5% de la valeur ajoutée) mais nettement moindres que dans de nombreux autres secteurs (exemple : 26,1% pour les hôtels-cafés-restaurants). Le redressement pour fraude et évasion fiscales représente 3% du PIB ou valeur ajoutée ou 2,3% du chiffre d’affaires déclaré. Pour la construction, le rehaussement est de 4,3% du chiffre d’affaires déclaré.
  • Le travail noir représente 7,2 milliards d’euros de valeur ajoutée. Il s’agit d’une estimation très prudente. Si le montant de la production au noir est globalement modeste selon l’Insee, avec 0,8% du PIB, le seul secteur construction y est représenté pour près du tiers.

Le secteur du logement se révèle néanmoins le plus affecté par le travail noir et la fraude. Ainsi, les trois quarts du total du travail noir s’effectuent dans le seul segment du logement.

  1. Selon l’index BT 01 du ministère de l’Equipement.
  2. Selon l’IPEA, indice des prix entretien amélioration du logement du ministère de l’Equipement.
  3. Ignorer ce facteur reviendrait à supposer l’absence totale d’efficacité de ces mesures.
  4. « L’économie souterraine dans les comptes nationaux », Willard Jean-Charles, Economie et Statistiques n° 226, novembre 1989, p. 35 à 51.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-5/l-amelioration-de-la-rentabilite-de-l-immobilier-par-la-tva-a-55-dans-le-logement.html?item_id=2427
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