Rédacteur en chef de Mieux vivre – Votre argent et chroniqueur à France Info.
Le risque ou la sécurité ?
Les investisseurs en Bourse et en immobilier forment
deux populations clairement distinctes.
A priori, rien ne distingue physiquement un agriculteur
charentais d’un ostréiculteur charentais : même allure,
même traits burinés par le grand air. Les habitants de Charente-Maritime
ne s’y trompent cependant pas. La tradition locale veut en effet
que les agriculteurs soient des accumulateurs radins alors que les ostréiculteurs
sont des flambeurs invétérés. On peut élargir
cette distinction à l’ensemble de la population française
dans ses comportements patrimoniaux. Et notamment dans son appétit
pour les deux placements majeurs que sont l’immobilier et les actions.
Depuis deux ans que la Bourse de Paris est victime de
ratés, on pense souvent que les Français en profitent pour
arbitrer leurs placements en actions contre de l’immobilier ou, plus
simplement, que les capitaux nouveaux dont ils disposent prennent cette
direction. Alors qu’il y a une vingtaine d’années, le
niveau élevé des taux d’intérêt à
long terme faisait, disait-on, des placements en obligations un redoutable
concurrent des placements immobiliers (soumis, par ailleurs, au début
de l’ère Mitterrand, à de douloureux tours de vis fiscaux).
Les épargnants avisés passeraient ainsi
de la Bourse à la pierre, en fonction des circonstances.
C’est oublier qu’à la fin des années
quatre-vingt, par exemple, nous avons assisté à une envolée
simultanée des indices boursiers et des prix de l’immobilier
résidentiel, au moins en région parisienne. Cette période
a coïncidé, curieusement, avec une explosion de la cote de
l’art moderne et contemporain, souvent présenté comme
un placement refuge dont l’évolution serait donc contraire
à celle de la Bourse. Mais, clairement, tous les marchés
étaient alors synchronisés.
Des ressorts profonds très différents
En fait, l’immobilier et la Bourse touchent des
populations distinctes, dont les ressorts profonds, comme ceux des Charentais,
sont très différents. On compte environ 2,2 millions de
ménages propriétaires bailleurs. Ils disposent, le plus
souvent, d’un seul bien. Le nombre d’investisseurs vraiment
actifs, adeptes d’une véritable stratégie immobilière,
ne dépasse sans doute pas le million.
Sur le plan boursier, un peu plus de six millions de Français
sont détenteurs d’actions. Mais plus de la moitié d’entre
eux n’ont que des titres acquis à l’occasion de la mise
en Bourse de sociétés nationales. Ce sont des « opportunistes
», dont les portefeuilles sont le plus souvent dérisoires.
Le nombre d’actionnaires considérés comme « normalement
» actifs par les autorités boursières est de l’ordre
de un million et demi. Et encore la définition de l’activité
est-elle très large (plus de quatre transactions par an). Les vrais
boursiers actifs, ceux qui réalisent au moins une opération
par mois, ne sont pas plus de 500 000 et se recoupent à peu près
avec la clientèle des courtiers en ligne.
Mais, surtout, les ressorts profonds d’un boursier n’ont rien
à voir avec ceux d’un amateur de placement pierre. Tout les
sépare en effet. Comme l’équipe de Mieux vivre –
Votre argent l’observe depuis plus de vingt ans, à l’occasion
de l’examen mensuel des « Finances d’une famille »
française. D’un côté, des familles bien garnies
en PEA, en comptes titres, en supports d’assurance vie orientés
vers les actions. Et, de l’autre, les familles détentrices
de contrats d’assurance vie classiques (dits en francs ou en euros)
et propriétaires d’un, ou plutôt de deux ou de trois
biens immobiliers générateurs de revenus et souvent acquis,
du moins depuis quinze ans, dans des conditions présentées
comme fiscalement avantageuses (Méhaignerie-Quilès, Périssol,
Besson, etc.). Rares sont les patrimoines correctement équilibrés
entre l’immobilier et la Bourse. Le plus souvent, c’est l’une
de ces deux voies qui a été privilégiée. Au
mépris d’ailleurs des fameuses « pesanteurs sociologiques
». Tel cadre moyen de l’EDF se révèle un boursicoteur
impénitent, tandis qu’un préretraité de chez
Matra affiche une brochette de studios en ville ou dans des stations balnéaires.
Inutile de les inciter au rééquilibrage : leur choix est
fait.
Cette dichotomie des comportements s’explique. On n’achète
pas des actions Air Liquide ou France Télécom comme on achète
un deux-pièces cuisine à retaper dans la banlieue de Lille.
Et, surtout, on ne troquerait pas les unes contre l’autre (et vice
versa). Pourquoi ? L’explication tient tout entière dans l’étymologie
des termes employés. L’action est une « valeur mobilière
», ce qui signifie mobile ou facile à mobiliser. Un clic
sur l’ordinateur et l’ordre de vente ou d’achat est passé.
Investissement boursier... liquide
Cette liquidité, l’investisseur en Bourse y tient. C’est
son degré de liberté qui lui permet de revendre avec une
plus-value, voire de doubler sa mise en cas d’effondrement de son
titre. Peu lui importe que ses conseillers lui serinent que le placement
en actions doit être jugé sur la durée, ce qu’il
cherche, ce qui le stimule, c’est l’espoir d’un gain rapide,
immédiat (qu’il ne matérialise pas nécessairement).
Aussi le vrai actionnaire est-il constamment à l’affût,
gros consommateur de presse écrite et audiovisuelle, en recherche
constante de la valeur délaissée par le marché (mais
évidemment prometteuse), l’entreprise « opéable
» par un concurrent, l’introduction en Bourse à prix
sacrifiés, etc. A tel point d’ailleurs qu’il est susceptible
d’acheter un titre sur la seule foi d’un tuyau de son beau-frère
ou de son expert comptable, alors qu’il prendra plusieurs semaines
de réflexion avant l’achat de son nouveau réfrigérateur
ou à l’examen des conditions hôtelières offertes
à Djerba. L’actionnaire a au demeurant de quoi s’occuper
: il se passe en effet toujours quelque chose en Bourse. L’augmentation
spectaculaire de la volatilité des actions représente même
une opportunité, celle de réaliser des « écarts
» sur une courte durée de temps. Bref, on l’aura compris,
l’investissement en Bourse n’est jamais dissociable de la spéculation,
même si l’expérience montre qu’en pratique les
particuliers conservent les titres pendant une période de temps
relativement longue, de l’ordre de six à huit ans.
Mais, peut-on se demander, comment agissent-ils lorsque leurs anticipations
ne sont pas confirmées, bref lorsque la Bourse entame une phase
de baisse prolongée, comme depuis deux ans ? La réponse
est simple : s’ils ont été pris de surprise, comme
c’est généralement le cas, ils font le gros dos. Selon
le dicton boursier « Tant qu’on n’a pas vendu, on n’a
pas perdu. » Et puis, ce qui a baissé remontera… En
attendant, on ne bouge pas. Au point d’éviter même de
consulter les « cotes » publiées par la presse, son
compte titres ou son relevé mensuel, par peur de visualiser l’ampleur
des dégâts. Et s’ils ont pu se dégager à
temps ? Eh bien, les boursiers se reportent sur les obligations, réputées
moins volatiles que les actions, voire sur les sicav monétaires
qui progressent toujours mais de très peu (3 % par an actuellement).
Pourquoi ne basculent-ils pas alors leurs actifs sur le placement-pierre
? D’abord, pour cela, il faudrait réaliser leurs pertes. Mais,
surtout, il faudrait pénétrer dans un autre monde.
Immobilier… immobile
La première caractéristique de l’immobilier, c’est
d’être… immobile. Tout le contraire de l’agitation
boursière. Ce qui nous renvoie aux agriculteurs de Charente. L’investisseur
dans l’immobilier apprécie les biens réels, tangibles,
palpables. Il a confiance dans la solidité d’un édifice,
mieux encore dans sa permanence. « La pierre ne ment pas »
est sa devise (même si une actualisation, nécessairement
un peu complexe, de ses flux pourrait bien souvent lui prouver le contraire).
Autre trait de caractère : il a le temps devant lui, il n’est
pas pressé de voir se matérialiser ses plus-values. Ajoutons
que, son bien n’étant pas coté, il n’est pas soumis aux exigences (et aux affres) du cours de clôture quotidien. Et puis, autant l’achat
d’une ligne de L’Oréal se fait dans l’instantanéité,
autant le placement pierre se pèse et se nourrit. Il est par ailleurs
d’une valeur unitaire élevée et souvent assorti d’un
crédit. En somme, on ne diversifie pas son patrimoine immobilier
comme son portefeuille d’actions. On ne sélectionne pas non
plus ses achats en fonction des mêmes critères. Bien souvent,
la fameuse « conjoncture » dont se nourrissent les actionnaires
n’a que fort peu d’importance. En 1998, nous avions interrogé
une famille de boulangers lorrains propriétaires de 55 appartements
et locaux commerciaux qui ignorait tout du krach immobilier subi, quelques
années auparavant, dans la capitale ! Leur patrimoine n’en
avait absolument pas été affecté.
La nature profondément différente des actions et de l’immobilier
explique donc pourquoi leurs clientèles peuvent difficilement être
les mêmes. Bien au contraire, tout les oppose, à commencer
par leur positionnement sur l’axe « sécurité-risque
». Il y a bien un élément commun à ces deux
ensembles en apparence disjoints. Il s’agit des sociétés
foncières cotées en Bourse. Cet élément n’est
commun qu’en apparence. Les investisseurs dans l’immobilier
se méfient des foncières, précisément du fait
que leurs cours subissent les aléas de la Bourse, dont ils ne veulent
pas entendre parler. Ces titres n’intéressent donc que les
boursiers. Médio-
crement, car leurs perspectives de valorisation sont sensiblement inférieures
à celles de la plupart des valeurs cotées (et leurs critères
d’appréciation ne sont pas les mêmes). Pour attirer
la petite clientèle immobilière sans lui faire courir le
risque de la Bourse, les professionnels de l’immobilier ont inventé,
il y a quarante ans, les « anti-foncières », à
savoir les sociétés civiles de placement immobilier. Elles
ont connu un vif succès jusqu’au krach des années quatre-vingt-dix.
Le manque de liquidité de leurs parts (car il en fallait tout de
même…) débouchera néanmoins demain sur leur pseudo-cotation,
l’équilibre entre l’offre et la demande de titres devant
être assuré par leurs gérants. Selon des techniques
inspirées par la Bourse. On doute cependant que les porteurs actuels
apprécient. Ils auront l’impression, eux aussi, de changer
de monde.
L’investisseur en Bourse est-il inéluctablement différent
de l’investisseur dans l’immobilier ? Sans doute que oui, même
si les uns et les autres sont à la recherche de plus-values. Mais
leurs valeurs, leurs objectifs, leur notion du temps et leur univers de
placement ne sont pas les mêmes. A un point près : quelle
que soit la manière dont les Français répartissent
leur patrimoine, ils partagent l’envie commune de devenir propriétaires
de leur logement. Même les ostréiculteurs charentais…
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