Consultant indépendant et analyste financier spécialiste du marché immobilier.
La pierre cotée, atouts et limites
L’immobilier coté est représenté
en France par vingt-trois foncières de nature et d’origine
diverses. Ces actions sont un investissement indirect dans l’immobilier
que l’on peut comparer à l’acquisition directe.
Les points forts des foncières face à
l’investissement direct
Les foncières cotées sont des entreprises
de droit commun. Les statuts spécifiques des SII (société
d’investissement immobilier) ou Sicomi ne sont plus que des reliques
dont on n’exhume plus le souvenir que pour en expliquer les traces
dans la physionomie actuelle de l’immobilier coté. Même
s’il s’agit d’entreprises de droit commun et non d’OPCVM,
les foncières n’en ressemblent pas moins à des outils
de gestion collective : des fonds collectés auprès des actionnaires
pour acquérir des immeubles, en percevoir les loyers et restituer
aux porteurs des actions une quote-part de leur profit.
A ce titre, les foncières peuvent se vanter d’offrir
les avantages que toute gestion collective présente face à
la gestion directe :
- la délégation de la gestion permet de s’affranchir
des soucis quotidiens,
- la délégation à un professionnel permet d’espérer
un résultat plus élevé,
- la détention d’une quote-part d’un vaste portefeuille
permet une diversification des risques, à la différence
de la détention directe d’un seul actif de même valeur,
- la gestion collective permet d’accéder à des investissements
inaccessibles au particulier et même au petit investisseur institutionnel
en direct (grandes tours de bureaux à La Défense, centres
commerciaux, parcs logistiques, etc),
- l’investissement et le désinvestissement peuvent être
fractionnés.
Ces arguments en faveur de la gestion collective sont
valables tant pour l’investissement immobilier que pour les valeurs
mobilières, voire les produits dérivés ou monétaires.
Les foncières ajoutent un atout spécifique qui est la liquidité.
Face aux mois d’attente et de négociation suivis des mois
de formalités exigés par une cession immobilière,
les titres cotés offrent une possibilité de cession immédiate.
Les principaux acteurs sont négociés sur le marché
continu, ouvert huit heures par jour, et les plus petits sont tout de
même cotés deux fois par jour. Le coût de la transaction
est également sans commune mesure. Aux droits d’enregistrement
de 4,8%, frais de notaire et commission d’agence de la transaction
immobilière s’opposent un courtage boursier de moins de 0,6% TTC pour un particulier et de 0,15 à 0,3% HT pour un professionnel,
augmenté d’un impôt de Bourse de 0,3% plafonné
à 610 euros par opération.
De façon plus large, la fiscalité des valeurs
mobilières est plus favorable que celle des actifs sous-jacents.
Un particulier qui détient ses actions de foncières dans
un plan d’épargne en actions bénéficie d’un
avoir fiscal de 50% du dividende net, formant un dividende global exonéré
d’impôt (sous réserve des 10% de contributions dites
sociales). Comme les sociétés distribuent l’essentiel
de leur résultat courant, l’impôt qu’elles acquittent
est presque entièrement récupéré par les actionnaires
particuliers. Au total, le flux des loyers nets transite quasiment sans
impôt du locataire à l’actionnaire. Le résultat
est très significativement supérieur à celui d’un
investissement direct dont les profits sont taxés au taux marginal
de l’impôt sur le revenu.
Les foncières face aux SCPI : des objectifs
différents ?
Il est d’usage d’opposer les SCPI (sociétés
civiles de placement immobilier) aux foncières. Les premières
seraient plus sûres au motif qu’elles ne sont pas cotées,
ce qui justifierait quelques inconvénients. La réalité
nous paraît différente.
Les foncières bénéficient face aux
SCPI des mêmes atouts fiscaux et de liquidité qu’elles
peuvent opposer au marché immobilier. Les droits d’enregistrement
de 4,8% constituent un frein bien réel aux transactions sur les
parts de SCPI. Mais l’argument de la liquidité technique est
en voie de s’estomper. La réforme en cours, qui attend ses
textes d’application, aboutira en effet à une cotation de
fait. Le prix et la transaction seront déclenchés par l’offre
et la demande. Cette évolution, parrainée par la COB dont
la culture est à dominante financière, entérine l’assimilation
des SCPI aux foncières pour ce critère. Les SCPI seront
cotées, seuls les horaires différeront. Ajoutons à
cela la transmission de l’information sur l’offre et la demande
par internet et l’identité se renforce. Dernier mode de convergence
: la course à la taille. Avec un retard sur les foncières,
et un point de départ plus défavorable, maintes SCPI ont
entrepris de se regrouper pour former de plus vastes ensembles. Les économies
d’échelle ne sont guère perceptibles et profitent aussi
au gestionnaire. Mais il en résulte un marché secondaire
bien plus animé, qui se rapproche du marché boursier. Les
SCPI devront-elles jalouser la cotation continue ? Que nenni. La course
à la liquidité a ses limites et elles ont été
franchies en Bourse. La cotation continue est incohérente avec
la durée de détention économique des actifs : point
n’est besoin de pouvoir vendre en trois secondes un actif dont la
valeur est formée des bénéfices des trente ans à
venir. Il en résulte une précipitation irréfléchie
et une volatilité des prix qui nuisent fortement aux détenteurs,
au bénéfice des seuls intermédiaires.
Les SCPI subissent le poids de règles sans fondement
et très pénalisantes que les foncières ignorent :
l’interdiction d’arbitrer plus de 5% du patrimoine chaque année
et l’extension de la responsabilité des associés au
double du capital. Au train où vont les réformes du secteur,
ces aberrations devraient être corrigées d’ici moins
de trente ans.
La principale différence entre SCPI et foncières
cotées n’est, au fond, pas tant technique que philosophique.
Ce sont les objectifs qui divergent, bien que cela ne soit jamais clairement
dit. Comme souvent, le contrat social, clé de voûte de la
relation entre épargnant et gestionnaire, n’est pas explicite.
Du comportement des SCPI, on peut déduire que leur objectif est
d’offrir la meilleure duplication de l’investissement immo-bilier
par une restitution la plus élevée possible du revenu locatif
net et l’absence de prise de risque spécifique. Du comportement
des foncières, on peut déduire que leur objectif est d’offrir
aux actionnaires la rentabilité la plus élevée possible
de leurs capitaux en utilisant la matière immobilière. Les
profits sont donc en partie retenus pour être réinvestis,
au motif que l’entreprise dispose d’opportunités rentables,
et le risque est sensiblement accru par rapport à une acquisition
passive par le recours à un endettement significatif, qui plus
est souvent de beaucoup plus courte durée que dans un investissement
direct, et parfois par un risque de promotion pour compte propre.
C’est progressivement que les foncières sont
passées d’un type de contrat social à l’autre.
Les SII avaient manifestement une vocation de fonds indiciel du fait de
leur spécialisation, de leur endettement réduit, de leur
obligation de distribution. Cette obligation est tombée avec la
fin du statut (abandon massif fin 1992), de même que celle des Sicomi
avec la suppression du statut (à partir de 1991). Par ailleurs,
les foncières ont intégré la gestion jusqu’alors
déléguée (Unibail et Klépierre n’avaient
pas de personnel il y a dix ans) puis ont assimilé la culture financière
qui s’est emparée du marché immobilier. La page a été
tournée doucement et donc sans bruit, rendant difficile une contestation
– compréhensible – des actionnaires historiques.
Du coup, les SCPI conservent un atout que les foncières
ont perdu : leur distribution totale des profits permet une reproduction
assez fidèle de la rentabilité récurrente d’un
investissement immo-bilier. Un partage des territoires s’est opéré
de fait entre des investisseurs particuliers qui préfèrent
les SCPI et des investisseurs professionnels qui se portent vers les foncières
cotées. C’est une répartition de fait qui devrait évoluer
: les foncières devraient solliciter plus fortement les particuliers
qui sont, par le biais de l’avoir fiscal et du PEA, les actionnaires
qui tireront la rentabilité la plus élevé de leur
placement. C’est donc la veuve de Carpentras qui pourra payer le
prix le plus élevé. Quant aux SCPI, on voit mal pourquoi
elles ne répondraient pas aux attentes d’investisseurs professionnels
en quête d’un revenu récurrent dès lors que le
rendement offre une prime de risque significative. La transparence fiscale
permet en outre à chaque porteur de doser l’effet de levier
qu’il obtient par endettement.
Foncières cotées et SCPI face
à l’investissement direct : décote et non-corrélation
L’analyste financier qui tient cette plume aura
pu être soupçonné de faire pencher la balance du côté
qu’il fréquente le plus assidûment. Mais il est un mal
commun qui réunit les SCPI et les foncières cotées
dans une même difficulté face à l’investissement
immobilier.
Les huit plus grosses foncières françaises
cotées affichent une décote de 27% par rapport à
leur actif net réévalué tel qu’expertisé
fin 2001 en valeur de remplacement. Le cours de Bourse ne reflète
donc pas la valeur des immeubles sous-jacents. L’observation est
identique pour les SCPI, même si la mesure en est moins rapide.
Cette décote sévit à l’état endémique
chez les foncières depuis plusieurs décennies et s’observe
également dans d’autres contrées. Chez les SCPI, le
phénomène est plus récent parce que l’histoire
du secteur est plus brève mais aussi parce que les encours actuels
ont largement été collectés dans l’euphorie
de la fin des années quatre-vingt. La sous-évaluation des
parts s’observe donc depuis moins de dix ans. Elle ne doit pas être
confondue avec la chute de valeur des actifs sous-jacents provenant de
la crise immobilière, d’une part, ni avec la dépréciation
des immeubles achetés neufs (régime Méhaignerie)
et qui aujourd’hui ne sont plus que « récents »,
d’autre part. Nous estimons que la décote des parts de SCPI
sur le marché secondaire est destinée à perdurer
car il n’y a pas de différence de fond entre ce marché
et le marché boursier1.
Non seulement les actions des foncières font apparaître
une décote mais cette décote est fluctuante. En d’autres
termes, les cours n’évoluent pas parallèlement aux
prix du marché immobilier. En pleine euphorie immobilière,
on les a vus, plonger dans la crise boursière de 1987. En pleine
crise immobilière, on les a vus, flamber dans le rallye boursier
de 1993. Rien n’interdit de penser que les SCPI pourraient échapper
tout à fait à cette déconnexion apparente.
La conséquence de ces comportements est avant
tout un quasi-gel de la collecte de capitaux neufs. Les fonds nouveaux
servent essentiellement à soulager le marché secondaire
et la décote ne permet pas d’émettre de nouveaux titres
sans diluer à l’excès les anciens actionnaires. Surtout,
on peut légitimement s’interroger : les foncières cotées
et les SCPI sont-elles encore des investissements immobiliers ?
- Sur la question de la décote et de son traitement, nous nous permettons
de renvoyer au Guide de l’immobilier coté, édité par la société de Bourse Fideuram-Wargny, juin 2001, dans l’étude intitulée « Pourquoi la décote ? » (pp. 33-41).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-5/la-pierre-cotee-atouts-et-limites.html?item_id=2424
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