Les obstacles à l’investissement logement
Pour le Ministre délégué au
Budget, ancien président de la commission des finances du Sénat,
de nombreuses dispositions réglementaires et fiscales pénalisent
l’investissement dans le logement qui nécessite un cadre de
référence stable.
Les plus éminents fiscalistes et économistes
s’accordent pour constater que les mesures fiscales ne permettent
pas d’accroître l’épargne des ménages mais
d’influencer ceux-ci dans leurs arbitrages entre les différentes
formes d’épargne.
A ce titre, le soutien à l’investissement
immobilier peut être considéré comme une préoccupation
majeure des pouvoirs publics si l’on en juge par l’importance
des aides budgétaires et non budgétaires consacrées
annuellement à ce secteur1.
L’attention portée au logement s’explique
par une combinaison de facteurs : l’importance macroéconomique
du secteur de la construction et de l’artisanat du bâtiment,
notamment en termes d’emploi2, la dimension sociale mais aussi symbolique du logement, une des premières
priorités de nos concitoyens, enfin l’instabilité des
cycles immobiliers qui invite les pouvoirs publics à corriger les
déséquilibres du marché.
Manque de transparence et de lisibilité
Au-delà des motifs clairement établis qui
poussent les pouvoirs publics à agir, se trouvent des moyens budgétaires
et fiscaux importants dont les objectifs et les modalités de mise
en œuvre sont cependant loin de correspondre aux critères
de transparence et de lisibilité favorables à l’investissement
immobilier, en particulier dans le secteur social.
De surcroît, si les pouvoirs publics ont décidé
d’agir sur la décision d’investir dans l’immobilier,
public ou privé, avec des succès variables, et de nombreuses
remises en cause, la dimension patrimoniale des biens immobiliers a toujours
été fortement négligée.
Comme le soulignait le 17e rapport du Conseil des impôts
sur la fiscalité des revenus de l’épargne3, les politiques fiscales d’incitation à l’investissement
immobilier souffrent de deux maux majeurs : l’instabilité
et la complexité. Ces remarques sont particulièrement pertinentes
dans le cas du secteur locatif privé, même si, derrière
l’instabilité des mesures fiscales, se cache un réel
impact en termes économiques. Cet impact est en revanche loin d’être
vérifié dans le domaine du logement social et la variation
des aides budgétaires et fiscales semble avoir été
la simple traduction de l’impuissance des pouvoirs publics depuis
quelques années.
Dans le secteur locatif privé en effet, les mesures
fiscales en faveur du logement neuf se sont succédé au cours
des années : les réductions d’impôt pour investissement
«Quilès-Méhaignerie» de 1985 à 1997,
puis le régime de l’amortissement « Périssol
» à partir de 1996 et enfin le régime « Besson
» à partir de 1998. Les avantages fiscaux ont été,
pendant cette période, considérablement modifiés,
puisqu’il s’agissait dans un premier temps de déductions
forfaitaires majorées combinées à des réductions
d’impôts puis, dans un second temps, d’un système
d’amortissement avec déduction forfaitaire minorée,
enfin d’un dispositif d’amortissement plus restrictif et encadré
par des normes réglementaires strictes. A l’instabilité
de l’incitation fiscale s’est en outre ajoutée, sur la
même période, la multiplication de régimes fiscaux
dérogatoires en faveur de la construction neuve dans des zones
spécifiques (aide à l’investissement immobilier dans
les DOM-TOM ou dans l’immobilier touristique situé dans certaines
zones défavorisées) ou répondant à des objectifs
de restauration du patrimoine (loi Malraux, dispositions en faveur des
monuments historiques). Ces régimes, tout en poursuivant des objectifs
parfaitement identifiés et légitimes, notamment en termes
de développement économique, pouvaient brouiller le message
adressé aux investisseurs et disperser les initiatives.
Régression des incitations
Si l’incitation fiscale en faveur du logement privé
a toujours été instable, il faut noter l’importance
considérable qu’elle occupe désormais dans le secteur
de l’investissement locatif privé. Entre 1996 et 1999, le
dispositif « Périssol » a soutenu la construction dans
un contexte économique difficile en bénéficiant à
30 000 à 50 000 logements par an. Et, à cet égard,
les années récentes ont marqué une régression
en termes d’incitation, malgré la pérennisation et
la légitimation du dispositif d’amortissement en faveur du
logement locatif. Le nouveau régime « Besson » est
bien moins incitatif (65% du bien peut être amorti sur 15 ans contre
80 % sur 24 ans dans le dispositif Périssol, le plafond d’imputation
des déficits fonciers est abaissé de 12 245 à 10
672 euros), plus restrictif (la location aux ascendants et descendants
du contribuable est interdite sauf suspension de l’avantage fiscal),
et enfin plus contraint. En effet, il impose des conditions de ressources
pour le locataire et des plafonds de loyers selon une grille déterminée
par voie réglementaire. Au total, l’impact du régime
Besson se situe en deçà du dispositif précédent,
mais avec, tout de même, un rôle non négligeable puisque
ce régime aura bénéficié à 31 % des
opérations de ventes de logements locatifs neufs en 2001, soit
près de 25 000 unités.
Plus consternant est l’échec patent des dispositifs
d’incitation à la construction de logements locatifs sociaux
lancés depuis 1997. Il est vrai que, dans ce domaine, les incitations
budgétaires et fiscales ont considérablement varié
ces dernières années, au rythme des « plans de relance
» dont le dernier en date a tout juste un an. Au-delà des
changements de régime fiscal (application du taux réduit
de TVA à la construction des logements sociaux en remplacement
des aides budgétaires, élargissement progressif de l’exonération
de taxe foncière sur les propriétés bâties)
qui n’ont pas eu d’impact en termes quantitatifs, le symptôme
des hésitations gouvernementales s’est manifesté surtout
par la succession de prêts aidés aux dénominations
variées4 qui ont tous échoué
à accroître la construction de logements sociaux. Contrairement
aux attentes du gouvernement (ndlr : gouvernement Jospin), le nombre de
logements sociaux financés n’a cessé de décroître,
à un rythme toujours plus élevé, passant ainsi de
59 879 unités financées en 1996 à 42 117 unités
en 2000, c’est-à-dire un point historiquement bas. Le secteur
locatif social illustre ainsi, jusqu’à la caricature, les
faiblesses de l’instrument budgétaire et fiscal devant les
réalités économiques et sociologiques qui caractérisent
le secteur du logement social, avant tout déterminé par
une nécessaire adaptation de l’offre à la demande.
Solvabilisation de la demande
S’agissant d’un troisième grand secteur
de l’investissement immobilier, à savoir l’accession
à la propriété, l’action des pouvoirs publics
s’oriente logiquement vers une problématique de solva-bilisation
de la demande. Le gouvernement peut en effet agir sur la rentabilité
des investissements immobiliers, pour inciter à la construction
d’un parc locatif, par la voie de la défiscalisation, mais
également sur la solvabilité des acheteurs. Cette solvabilité
dépend tout à la fois du pouvoir d’achat, des conditions
de remboursement des emprunts et de l’évolution des prix des
logements : l’Etat étant impuissant, dans le secteur libre,
à agir directement sur le pouvoir d’achat et les prix, il
lui reste la faculté d’aider les ménages à réunir
les conditions de financement de leur achat immobilier et les garanties
afférentes.
Dans un premier temps, les mécanismes d’aide
à l’accession à la propriété reposaient
en grande partie sur les réductions d’impôt pour intérêts
d’emprunts, pour un coût élevé, et qui ont fait
l’objet d’incessants aménagements jusqu’à
ce que le dispositif soit abandonné en 1997. Depuis 1995, le prêt
à taux zéro est l’instrument essentiel et remarquable
de la politique d’aide à l’accession : la nécessité
de ce dispositif n’est plus à démontrer puisqu’il
a été le seul vecteur de progression de la construction
aidée dans la période récente d’atonie de la
construction sociale, et son usage dans le secteur immobilier est aujourd’hui
considérable (en 2001, les trois-quarts des ventes de maisons individuelles
se sont accompagnées de la distribution d’un prêt à
taux zéro).
Malgré son évident succès ou plutôt
à cause de celui-ci, ce dispositif, d’un coût annuel
de 900 millions d’euros pour une distribution annuelle de 110 000
prêts, est soumis à des contraintes budgétaires et
fiscales toujours plus grandes, avec sa restriction aux primo-accédants
dès novembre 1997, et depuis 1999 le plafonnement de la subvention
de l’Etat, la réduction de la période de remboursement
des prêts et la non-revalorisation des barèmes de ressources.
De surcroît, en 2002, deux mesures expérimentales sont mises
en œuvre sous la forme d’une aide à la pierre complémentaire
au prêt à taux zéro dans des secteurs défavorisés
ou pour des ménages modestes, avec le risque, si l’expérimentation
se concrétise par une extension du dispositif, d’une remise
en cause de la distribution du prêt à taux zéro «classique».
Dans un contexte d’augmentation des prix et des taux d’intérêt
de long terme, l’intérêt d’un dispositif en faveur
de l’accession à la propriété pour les ménages
à revenus modestes et moyens est pourtant évident.
Au-delà de l’impact des incitations budgétaires
et fiscales sur la décision d’investissement privé
malgré les restrictions dont elles font l’objet (qu’il
s’agisse de locatif ou d’accession), et de « l’épuisement
» de ces incitations dans le secteur social, force est de constater
la faiblesse des réformes en matière de fiscalité
immobilière proprement dite.
En effet, l’investissement immobilier est un investissement
de long terme, à forte conception patrimoniale, pour lequel l’investisseur
prend en compte les éléments fiscaux relatifs à la
détention et à la transmission du bien. Or, dans ce domaine,
le système fiscal français, qui néglige le logement
ancien, et donc la durée de l’investissement, est fort peu
compétitif.
Faiblesse des réformes de la fiscalité
immobilière
S’agissant de la détention d’un bien
immobilier, la fiscalité du propriétaire-occupant, mais
surtout celle du propriétaire-bailleur, est relativement pénalisante.
Pour les bailleurs n’entrant pas dans un régime fiscal dérogatoire
et temporaire, comme ceux cités plus haut, les revenus nets fonciers
sont imposés au barème de l’impôt sur le revenu
et à des prélèvements sociaux à hauteur de
10 %, alors que la déduction forfaitaire, représentative
des frais de gestion et d’assurance, qui était encore de 20%
en 1979, est limitée à 14 %. Mais surtout, le propriétaire-bailleur
est soumis à une fiscalité spécifique comme la contribution
représentative du droit de bail, ou, pour les bailleurs interrompant
longuement leur location, la taxe sur les logements vacants. Ce panorama
doit être évidemment complété, pour les détenteurs
de biens immobiliers, par les éléments de la fiscalité
locale (taxe d’habitation, taxe foncière sur les propriétés
bâties).
S’agissant du logement locatif ancien, s’ajoute
à la relative lourdeur de la fiscalité la complexité
excessive des régimes dérogatoires. A ce titre, la création
d’un nouveau dispositif en faveur de la location aux personnes défavorisées,
en complément du régime « Besson » pour le logement
ancien, et consistant en une déduction forfaitaire majorée
de 60 % contre 25 % pour le logement intermédiaire, avec de nouvelles
grilles de ressources et de loyers et des durées d’engagement
de location réduites, est, à l’évidence, un
élément de complexité supplémentaire pour
les bailleurs.
Des simplifications inachevées
La fiscalité s’attachant à la détention
d’un bien immobilier a certes connu quelques simplifications, mais
celles-ci restent inachevées. Les diverses réductions et
déductions d’impôt pour travaux d’amélioration
ou de réparation dans les logements d’habitation ont été
avantageusement remplacées par l’application d’un taux
réduit de TVA, mais la complexité de la circulaire d’application,
l’exclusion de certains équipements et travaux, ont récemment
conduit à recréer de nouveaux mécanismes de réductions
d’impôt qui avaient pourtant vocation à disparaître.
Par ailleurs, s’agissant de l’imposition des revenus fonciers,
le régime du « micro-foncier » créé par
la loi de finances pour 1998 a constitué une simplification utile,
étendue largement par la loi de finances pour 2002, mais avec malheureusement
une insuffisante souplesse pour permettre aux propriétaires de
revenir au régime réel d’imposition et, de ce fait,
revêt un caractère pénalisant.
Au-delà de la fiscalité attachée
à la détention du bien immobilier, la fiscalité s’appliquant
à la transmission du logement est également un sujet majeur
de préoccupation pour un investisseur immobilier.
En matière de cession onéreuse, les droits
de mutation ont été considérablement réduits,
mais cette réduction a seulement permis de mettre fin à
« l’exception française » qui conduisait à
de nombreux détournements de la loi fiscale. En revanche, aucun
effort n’a été réalisé pour faciliter
la transmission du patrimoine immobilier par un allègement significatif
des droits de succession ou de donation. En matière de droits de
transmission à titre gratuit, la France privilégie encore
des tarifs élevés, corrigés seulement en partie par
des réductions d’assiette et un assouplissement des conditions
de donation.
La faiblesse de la réflexion des pouvoirs publics
en la matière est inquiétante alors que les questions de
transmission du patrimoine sont des questions centrales dans les décisions
des ménages. Le sujet trouve une acuité particulière
en ce qui concerne l’immobilier locatif, car la mutation des biens
immobiliers suite au décès du propriétaire est une
cause majeure d’interruption des locations. Si l’Etat aide l’investissement
locatif, il ne se préoccupe guère du maintien des logements
dans le parc locatif.
Enfin, la fiscalité applicable aux plus-values
immobilières n’a pas connu de modification majeure ces dernières
années, malgré son incidence importante sur les décisions
d’investissement.
Investissement de long terme
En conclusion, l’incitation à investir dans
l’immobilier doit prendre en compte une évidence, qui mérite
pourtant d’être répétée : un investissement
immobilier est un investissement de long terme, qui répond davantage
à des préoccupations patrimoniales avec, la plupart du temps,
le souci de transmettre ce patrimoine, qu’à un souci de rentabilité
de court terme, et il nécessite de ce fait un cadre de référence
stable. La multiplication des dispositifs fiscaux, la persistance d’impositions
spécifiques, les contraintes excessives pesant sur les propriétaires-occupants
ou bailleurs sont autant de freins à l’acquisition d’un
logement et contredisent la volonté affichée des pouvoirs
publics de favoriser l’investissement immobilier. Gageons qu’à
l’avenir, la prise en compte de ces éléments permettra
aux décideurs publics de trouver les solutions les mieux adaptées
pour développer, conformément aux vœux de nos compatriotes,
le logement des Français.
- L’effort public de la Nation en faveur du logement est estimé
à 29 milliards d’euros en 2000 dont 2 milliards d’euros
d’aides budgétaires à la pierre et 8,5 milliards d’euros
de dépenses fiscales.
- La « richesse en emplois
» du secteur fut même le principal argument de la mesure de
diminution du taux de TVA pour les travaux dans les logements d’habitation
décidée dans la loi de finances pour 2000.
- 17e rapport du Conseil des impôts
au président de la République, La Fiscalité des revenus
de l’épargne (1999).
- Prêt locatif aidé,
prêt locatif aidé très social, prêt locatif aidé
d’intégration, prêt locatif aidé à loyer
modéré, prêt locatif à usage social, etc.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-5/les-obstacles-a-l-investissement-logement.html?item_id=2425
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