Alain LAMBERT

Ministre délégué au Budget*.

*Cet article a été rédigé avant la formation du gouvernement Raffarin, alors qu’Alain Lambert était président de la commission des Finances du Sénat et sénateur-maire d’Alençon

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Les obstacles à l’investissement logement

Pour le Ministre délégué au Budget, ancien président de la commission des finances du Sénat, de nombreuses dispositions réglementaires et fiscales pénalisent l’investissement dans le logement qui nécessite un cadre de référence stable.

Les plus éminents fiscalistes et économistes s’accordent pour constater que les mesures fiscales ne permettent pas d’accroître l’épargne des ménages mais d’influencer ceux-ci dans leurs arbitrages entre les différentes formes d’épargne.

A ce titre, le soutien à l’investissement immobilier peut être considéré comme une préoccupation majeure des pouvoirs publics si l’on en juge par l’importance des aides budgétaires et non budgétaires consacrées annuellement à ce secteur1.

L’attention portée au logement s’explique par une combinaison de facteurs : l’importance macroéconomique du secteur de la construction et de l’artisanat du bâtiment, notamment en termes d’emploi2, la dimension sociale mais aussi symbolique du logement, une des premières priorités de nos concitoyens, enfin l’instabilité des cycles immobiliers qui invite les pouvoirs publics à corriger les déséquilibres du marché.

Manque de transparence et de lisibilité

Au-delà des motifs clairement établis qui poussent les pouvoirs publics à agir, se trouvent des moyens budgétaires et fiscaux importants dont les objectifs et les modalités de mise en œuvre sont cependant loin de correspondre aux critères de transparence et de lisibilité favorables à l’investissement immobilier, en particulier dans le secteur social.

De surcroît, si les pouvoirs publics ont décidé d’agir sur la décision d’investir dans l’immobilier, public ou privé, avec des succès variables, et de nombreuses remises en cause, la dimension patrimoniale des biens immobiliers a toujours été fortement négligée.

Comme le soulignait le 17e rapport du Conseil des impôts sur la fiscalité des revenus de l’épargne3, les politiques fiscales d’incitation à l’investissement immobilier souffrent de deux maux majeurs : l’instabilité et la complexité. Ces remarques sont particulièrement pertinentes dans le cas du secteur locatif privé, même si, derrière l’instabilité des mesures fiscales, se cache un réel impact en termes économiques. Cet impact est en revanche loin d’être vérifié dans le domaine du logement social et la variation des aides budgétaires et fiscales semble avoir été la simple traduction de l’impuissance des pouvoirs publics depuis quelques années.

Dans le secteur locatif privé en effet, les mesures fiscales en faveur du logement neuf se sont succédé au cours des années : les réductions d’impôt pour investissement «Quilès-Méhaignerie» de 1985 à 1997, puis le régime de l’amortissement « Périssol » à partir de 1996 et enfin le régime « Besson » à partir de 1998. Les avantages fiscaux ont été, pendant cette période, considérablement modifiés, puisqu’il s’agissait dans un premier temps de déductions forfaitaires majorées combinées à des réductions d’impôts puis, dans un second temps, d’un système d’amortissement avec déduction forfaitaire minorée, enfin d’un dispositif d’amortissement plus restrictif et encadré par des normes réglementaires strictes. A l’instabilité de l’incitation fiscale s’est en outre ajoutée, sur la même période, la multiplication de régimes fiscaux dérogatoires en faveur de la construction neuve dans des zones spécifiques (aide à l’investissement immobilier dans les DOM-TOM ou dans l’immobilier touristique situé dans certaines zones défavorisées) ou répondant à des objectifs de restauration du patrimoine (loi Malraux, dispositions en faveur des monuments historiques). Ces régimes, tout en poursuivant des objectifs parfaitement identifiés et légitimes, notamment en termes de développement économique, pouvaient brouiller le message adressé aux investisseurs et disperser les initiatives.

Régression des incitations

Si l’incitation fiscale en faveur du logement privé a toujours été instable, il faut noter l’importance considérable qu’elle occupe désormais dans le secteur de l’investissement locatif privé. Entre 1996 et 1999, le dispositif « Périssol » a soutenu la construction dans un contexte économique difficile en bénéficiant à 30 000 à 50 000 logements par an. Et, à cet égard, les années récentes ont marqué une régression en termes d’incitation, malgré la pérennisation et la légitimation du dispositif d’amortissement en faveur du logement locatif. Le nouveau régime « Besson » est bien moins incitatif (65% du bien peut être amorti sur 15 ans contre 80 % sur 24 ans dans le dispositif Périssol, le plafond d’imputation des déficits fonciers est abaissé de 12 245 à 10 672 euros), plus restrictif (la location aux ascendants et descendants du contribuable est interdite sauf suspension de l’avantage fiscal), et enfin plus contraint. En effet, il impose des conditions de ressources pour le locataire et des plafonds de loyers selon une grille déterminée par voie réglementaire. Au total, l’impact du régime Besson se situe en deçà du dispositif précédent, mais avec, tout de même, un rôle non négligeable puisque ce régime aura bénéficié à 31 % des opérations de ventes de logements locatifs neufs en 2001, soit près de 25 000 unités.

Plus consternant est l’échec patent des dispositifs d’incitation à la construction de logements locatifs sociaux lancés depuis 1997. Il est vrai que, dans ce domaine, les incitations budgétaires et fiscales ont considérablement varié ces dernières années, au rythme des « plans de relance » dont le dernier en date a tout juste un an. Au-delà des changements de régime fiscal (application du taux réduit de TVA à la construction des logements sociaux en remplacement des aides budgétaires, élargissement progressif de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties) qui n’ont pas eu d’impact en termes quantitatifs, le symptôme des hésitations gouvernementales s’est manifesté surtout par la succession de prêts aidés aux dénominations variées4 qui ont tous échoué à accroître la construction de logements sociaux. Contrairement aux attentes du gouvernement (ndlr : gouvernement Jospin), le nombre de logements sociaux financés n’a cessé de décroître, à un rythme toujours plus élevé, passant ainsi de 59 879 unités financées en 1996 à 42 117 unités en 2000, c’est-à-dire un point historiquement bas. Le secteur locatif social illustre ainsi, jusqu’à la caricature, les faiblesses de l’instrument budgétaire et fiscal devant les réalités économiques et sociologiques qui caractérisent le secteur du logement social, avant tout déterminé par une nécessaire adaptation de l’offre à la demande.

Solvabilisation de la demande

S’agissant d’un troisième grand secteur de l’investissement immobilier, à savoir l’accession à la propriété, l’action des pouvoirs publics s’oriente logiquement vers une problématique de solva-bilisation de la demande. Le gouvernement peut en effet agir sur la rentabilité des investissements immobiliers, pour inciter à la construction d’un parc locatif, par la voie de la défiscalisation, mais également sur la solvabilité des acheteurs. Cette solvabilité dépend tout à la fois du pouvoir d’achat, des conditions de remboursement des emprunts et de l’évolution des prix des logements : l’Etat étant impuissant, dans le secteur libre, à agir directement sur le pouvoir d’achat et les prix, il lui reste la faculté d’aider les ménages à réunir les conditions de financement de leur achat immobilier et les garanties afférentes.

Dans un premier temps, les mécanismes d’aide à l’accession à la propriété reposaient en grande partie sur les réductions d’impôt pour intérêts d’emprunts, pour un coût élevé, et qui ont fait l’objet d’incessants aménagements jusqu’à ce que le dispositif soit abandonné en 1997. Depuis 1995, le prêt à taux zéro est l’instrument essentiel et remarquable de la politique d’aide à l’accession : la nécessité de ce dispositif n’est plus à démontrer puisqu’il a été le seul vecteur de progression de la construction aidée dans la période récente d’atonie de la construction sociale, et son usage dans le secteur immobilier est aujourd’hui considérable (en 2001, les trois-quarts des ventes de maisons individuelles se sont accompagnées de la distribution d’un prêt à taux zéro).

Malgré son évident succès ou plutôt à cause de celui-ci, ce dispositif, d’un coût annuel de 900 millions d’euros pour une distribution annuelle de 110 000 prêts, est soumis à des contraintes budgétaires et fiscales toujours plus grandes, avec sa restriction aux primo-accédants dès novembre 1997, et depuis 1999 le plafonnement de la subvention de l’Etat, la réduction de la période de remboursement des prêts et la non-revalorisation des barèmes de ressources. De surcroît, en 2002, deux mesures expérimentales sont mises en œuvre sous la forme d’une aide à la pierre complémentaire au prêt à taux zéro dans des secteurs défavorisés ou pour des ménages modestes, avec le risque, si l’expérimentation se concrétise par une extension du dispositif, d’une remise en cause de la distribution du prêt à taux zéro «classique». Dans un contexte d’augmentation des prix et des taux d’intérêt de long terme, l’intérêt d’un dispositif en faveur de l’accession à la propriété pour les ménages à revenus modestes et moyens est pourtant évident.

Au-delà de l’impact des incitations budgétaires et fiscales sur la décision d’investissement privé malgré les restrictions dont elles font l’objet (qu’il s’agisse de locatif ou d’accession), et de « l’épuisement » de ces incitations dans le secteur social, force est de constater la faiblesse des réformes en matière de fiscalité immobilière proprement dite.

En effet, l’investissement immobilier est un investissement de long terme, à forte conception patrimoniale, pour lequel l’investisseur prend en compte les éléments fiscaux relatifs à la détention et à la transmission du bien. Or, dans ce domaine, le système fiscal français, qui néglige le logement ancien, et donc la durée de l’investissement, est fort peu compétitif.

Faiblesse des réformes de la fiscalité immobilière

S’agissant de la détention d’un bien immobilier, la fiscalité du propriétaire-occupant, mais surtout celle du propriétaire-bailleur, est relativement pénalisante. Pour les bailleurs n’entrant pas dans un régime fiscal dérogatoire et temporaire, comme ceux cités plus haut, les revenus nets fonciers sont imposés au barème de l’impôt sur le revenu et à des prélèvements sociaux à hauteur de 10 %, alors que la déduction forfaitaire, représentative des frais de gestion et d’assurance, qui était encore de 20% en 1979, est limitée à 14 %. Mais surtout, le propriétaire-bailleur est soumis à une fiscalité spécifique comme la contribution représentative du droit de bail, ou, pour les bailleurs interrompant longuement leur location, la taxe sur les logements vacants. Ce panorama doit être évidemment complété, pour les détenteurs de biens immobiliers, par les éléments de la fiscalité locale (taxe d’habitation, taxe foncière sur les propriétés bâties).

S’agissant du logement locatif ancien, s’ajoute à la relative lourdeur de la fiscalité la complexité excessive des régimes dérogatoires. A ce titre, la création d’un nouveau dispositif en faveur de la location aux personnes défavorisées, en complément du régime « Besson » pour le logement ancien, et consistant en une déduction forfaitaire majorée de 60 % contre 25 % pour le logement intermédiaire, avec de nouvelles grilles de ressources et de loyers et des durées d’engagement de location réduites, est, à l’évidence, un élément de complexité supplémentaire pour les bailleurs.

Des simplifications inachevées

La fiscalité s’attachant à la détention d’un bien immobilier a certes connu quelques simplifications, mais celles-ci restent inachevées. Les diverses réductions et déductions d’impôt pour travaux d’amélioration ou de réparation dans les logements d’habitation ont été avantageusement remplacées par l’application d’un taux réduit de TVA, mais la complexité de la circulaire d’application, l’exclusion de certains équipements et travaux, ont récemment conduit à recréer de nouveaux mécanismes de réductions d’impôt qui avaient pourtant vocation à disparaître. Par ailleurs, s’agissant de l’imposition des revenus fonciers, le régime du « micro-foncier » créé par la loi de finances pour 1998 a constitué une simplification utile, étendue largement par la loi de finances pour 2002, mais avec malheureusement une insuffisante souplesse pour permettre aux propriétaires de revenir au régime réel d’imposition et, de ce fait, revêt un caractère pénalisant.

Au-delà de la fiscalité attachée à la détention du bien immobilier, la fiscalité s’appliquant à la transmission du logement est également un sujet majeur de préoccupation pour un investisseur immobilier.

En matière de cession onéreuse, les droits de mutation ont été considérablement réduits, mais cette réduction a seulement permis de mettre fin à « l’exception française » qui conduisait à de nombreux détournements de la loi fiscale. En revanche, aucun effort n’a été réalisé pour faciliter la transmission du patrimoine immobilier par un allègement significatif des droits de succession ou de donation. En matière de droits de transmission à titre gratuit, la France privilégie encore des tarifs élevés, corrigés seulement en partie par des réductions d’assiette et un assouplissement des conditions de donation.

La faiblesse de la réflexion des pouvoirs publics en la matière est inquiétante alors que les questions de transmission du patrimoine sont des questions centrales dans les décisions des ménages. Le sujet trouve une acuité particulière en ce qui concerne l’immobilier locatif, car la mutation des biens immobiliers suite au décès du propriétaire est une cause majeure d’interruption des locations. Si l’Etat aide l’investissement locatif, il ne se préoccupe guère du maintien des logements dans le parc locatif.

Enfin, la fiscalité applicable aux plus-values immobilières n’a pas connu de modification majeure ces dernières années, malgré son incidence importante sur les décisions d’investissement.

Investissement de long terme

En conclusion, l’incitation à investir dans l’immobilier doit prendre en compte une évidence, qui mérite pourtant d’être répétée : un investissement immobilier est un investissement de long terme, qui répond davantage à des préoccupations patrimoniales avec, la plupart du temps, le souci de transmettre ce patrimoine, qu’à un souci de rentabilité de court terme, et il nécessite de ce fait un cadre de référence stable. La multiplication des dispositifs fiscaux, la persistance d’impositions spécifiques, les contraintes excessives pesant sur les propriétaires-occupants ou bailleurs sont autant de freins à l’acquisition d’un logement et contredisent la volonté affichée des pouvoirs publics de favoriser l’investissement immobilier. Gageons qu’à l’avenir, la prise en compte de ces éléments permettra aux décideurs publics de trouver les solutions les mieux adaptées pour développer, conformément aux vœux de nos compatriotes, le logement des Français.

  1. L’effort public de la Nation en faveur du logement est estimé à 29 milliards d’euros en 2000 dont 2 milliards d’euros d’aides budgétaires à la pierre et 8,5 milliards d’euros de dépenses fiscales.
  2. La « richesse en emplois » du secteur fut même le principal argument de la mesure de diminution du taux de TVA pour les travaux dans les logements d’habitation décidée dans la loi de finances pour 2000.
  3. 17e rapport du Conseil des impôts au président de la République, La Fiscalité des revenus de l’épargne (1999).
  4. Prêt locatif aidé, prêt locatif aidé très social, prêt locatif aidé d’intégration, prêt locatif aidé à loyer modéré, prêt locatif à usage social, etc.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-5/les-obstacles-a-l-investissement-logement.html?item_id=2425
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