Bernard COLOOS

Économiste, auteur notamment, avec Jean Bosvieux, de l’ouvrage Le logement et l’État providence (2020), et de 15 questions de politique du logement (2020).

Claire GUIDI

Chef du service des études économiques à la Fédération Française du Bâtiment.

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De la baignoire à la douche : un renoncement difficile

Les perspectives démographiques et l'inéluctable vieillissement appellent de nécessaires adaptations de la société et, au premier chef, de l'habitat. Les aspirations privilégient le maintien à domicile des personnes âgées exposées au risque de la perte d'autonomie. À cet effet, il faut intervenir tôt, afin de proposer un haut niveau d'accessibilité des logements, qui s'incarne dans la possibilité de pouvoir prendre son bain ou, à défaut, une douche. Dans tous les cas, il faut investir et anticiper.

La loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement indique dans son premier article que « l'adaptation de la société au vieillissement est un impératif national et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la Nation ». Les chiffres sont, de fait, révélateurs. L'Insee estime à 9,3 % la population des plus de 75 ans au 1er janvier 2019 en France, y compris Mayotte. Cette part atteindra 17,9 % en 2070 1. On passerait ainsi de 6,2 à 13,7 millions d'habitants « âgés », soit plus d'un doublement en cinquante ans. Rappelons qu'en 1990, la part des plus de 75 ans était de 6,7 %, représentant moins de 4 millions d'habitants (hors Mayotte). Ces chiffres produisent un certain vertige et imposent que des solutions soient trouvées pour répondre à cet enjeu, même si bien entendu toutes les personnes âgées ne sont pas dépendantes. La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des Affaires sociales estime qu'en 2015 près de 1,5 million de personnes de plus de 60 ans vivant à domicile étaient en perte d'autonomie, chiffre auquel il faut ajouter 584 000 personnes vivant en établissement, soit un peu plus de 2 millions.

Vieillissement et autonomie, une préoccupation croissante

Le vieillissement s'accompagne de deux phénomènes majeurs au regard du sujet de la dépendance : le maintien à domicile et la dégradation de la santé, même si elle se manifeste, en moyenne, plus tardivement. Au-delà de 65 ans, une personne sur cinq déclare avoir fait une chute dans l'année. L'âge représente, par ailleurs, le principal facteur de risque de maladie d'Alzheimer et d'autres démences. Compte tenu du vieillissement de la population française, le nombre de personnes souffrant de pathologies neurodégénératives augmentera dans les années à venir.

Si l'on examine la situation des personnes en établissement, on constate une augmentation de l'âge moyen des résidents 2. Il est passé de 81 ans et 10 mois en 1994 à 85 ans et 9 mois en 2015. Par ailleurs, hors foyers-logements, la part des résidents qui ont besoin d'aide pour réaliser leur toilette (a) et s'habiller (b) s'est également accrue :

  • 2007 : 88 % (a) et 79 % (b) ;
  • 2011 : 91 % (a) et 83 % (b) ;
  • 2015 : 93 % (a) et 86 % (b).

Autre élément, l'âge de la « sortie » d'établissement progresse 3. À leur sortie, en 2015, les résidents ont en moyenne 87 ans et 4 mois (88 ans et 6 mois pour les femmes et 85 ans pour les hommes), soit neuf mois de plus qu'en 2011 et dix-neuf mois de plus qu'en 2007. Quant à la durée de séjour moyenne, elle reste stable, de l'ordre de deux ans et six mois.

La question du maintien à domicile

Pour des raisons financières, le maintien à domicile devient une question majeure, face au faible nombre de places en établissements et aux coûts très élevés des séjours dans ces structures. Lorsqu'il devient de plus en plus difficile de se mouvoir, faire réaliser des travaux d'adaptation chez soi relève alors d'une nécessité. Force est cependant de constater que ces travaux sont souvent menés tardivement, voire en urgence, et que pour ces motifs, d'après les professionnels, ils demeurent marginaux au regard des besoins. Selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah), 13 701 logements ont été rénovés pour le maintien à domicile en 2018 dans le cadre du programme Habiter facile (14 317 en 2017) ; le montant de l'aide moyenne par logement s'élevant à 3 229 euros (3 201 euros en 2017). Il faut toutefois noter que, d'une part, ce dispositif s'adresse à des ménages modestes et très modestes 4, et que, d'autre part, il ne traduit pas l'intégralité des travaux, certains étant réalisés sans aide et d'autres pouvant être pris en charge dans le cadre de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) attribuée et versée par les conseils départementaux. Quelle que soit l'incertitude des chiffres, leur faiblesse paraît patente vu le volume potentiel de demandeurs.

Le rapport de Dominique Libault de mars 2019 5 indique d'ailleurs que « selon la dernière étude de l'Anah de 2013, seuls 6 % des logements sont adaptés à la dépendance. Comparé aux pays d'Europe du Nord, le rapport est 2 à 3 fois moindre (12 % en Allemagne et au Danemark, 16 % aux Pays-Bas) ».

Pourquoi une telle situation ? Dans un contexte où l'on a gagné près de quatre années de vie en vingt ans, la première raison est sans doute qu'il est difficile de se voir vieillir. Chacun peut l'éprouver pour soi ou pour ses proches. Il apparaît que, vu le nombre somme toute restreint de personnes en établissements d'hébergement pour personnes âgées (728 000 résidents en 2015), la dégradation liée au vieillissement se vit à domicile. Près de six bénéficiaires de l'APA sur dix fin 2016 (59 % du 1,3 million au total) relèvent de cette catégorie. Près d'un bénéficiaire « à domicile » sur cinq souffre d'une forte perte d'autonomie (19 % sont en GIR 1 ou 2 6). Le tableau de répartition de l'APA fin 2017 montre que 33 % des bénéficiaires en GIR 1 vivant à domicile ont plus de 90 ans.

Répartition des bénéficiaires de l’APA au mois de décembre 2017, par GIR et par tranches d’âge, à domicile et en établissement

Source : Drees, enquête Aide sociale 2017 ; chiffres arrondis à la décimale.

Champ : France métropolitaine et Drom (hors Mayotte).


Un graphique confirme par ailleurs qu'en huit ans, le nombre de bénéficiaires de l'APA à domicile a augmenté de 120 % contre « seulement » 39 % pour les bénéficiaires en établissement.


Évolution du nombre de bénéficiaires de l’APA à domicile et en établissement entre 2003 et 2011

Source : Drees, enquête annuelle sur les bénéficiaires de l’aide sociale départementale et enquête trimestrielle sur l’APA.


Ces éléments montrent l'importance du sujet du maintien à domicile, d'autant plus que, si l'on regarde les revenus, peu de différences apparaissent globalement entre les bénéficiaires de l'APA disposant de ressources faibles et ceux disposant de ressources plus élevées.

Comment agir ?

La loi de décembre 2015 s'est préoccupée du sujet. Face à l'importance accordée au fait de bien vieillir chez soi, elle vise à revaloriser et améliorer l'APA à domicile. Elle mentionne un risque de perte d'autonomie constamment présent dans la politique de l'âge. « L'anticiper, le retarder, l'amoindrir, c'est aussi y faire face. [...] La solidarité nationale doit, avec la même exigence, permettre d'affronter les difficultés à demeurer au domicile et le choix ou la nécessité d'entrer en maison de retraite. [...] L'objectif de la réforme proposée sur l'APA à domicile est de rendre possible l'exercice d'un vrai libre choix par les personnes âgées en perte d'autonomie et donc de permettre à celles qui le souhaitent, et le peuvent, de rester à domicile. »

Pour permettre le maintien à domicile, il faut cependant trouver les moyens d'anticiper. Malgré les réserves personnelles évoquées plus haut, il faut s'interroger sur la manière de le faire. Le site dédié aux personnes âgées et à l'accompagnement de leurs proches ( https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/) donne un panorama des actions et aides possibles, notamment en matière de logement. Le rapport Libault propose quelques autres pistes, comme l'étude de l'introduction dans les contrats d'assurance habitation d'une offre de financement de l'adaptation du logement, l'évaluation, avant fin 2020, du dispositif de logement inclusif prévu par la loi Élan ou l'identification des logements sociaux à destination des personnes âgées dans le décompte réalisé au titre de la loi SRU.

Pour le parc privé, il apparaît essentiel de répondre à cet enjeu majeur par une offre adaptée en matière de coûts et de délais. La réponse à apporter mérite d'ailleurs d'être analysée de près selon les territoires. Une carte montre, à l'échelle des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), que la part des plus de 75 ans dans la population peut s'étaler globalement de 1 à 21 % en 2015. Quelques territoires ruraux sont particulièrement concernés par le sujet.

Part des 75 ans et plus dans la population, en 2015, par EPCI

Source : Observatoire des territoires, CGET.

Concrètement : la baignoire ou la douche ?

Face à ces éléments, le choix d'une douche ou d'une baignoire n'est plus une question anecdotique. Renoncer à son bain quand on vieillit devient une vraie question de société. Encore faut-il que la douche nouvellement installée soit accessible ! Peut-être faudrait-il imaginer un système dégressif d'aide aux travaux en fonction de l'âge de réalisation : plus on conduirait les travaux d'adaptation de son logement tôt, plus l'aide serait importante. Les partenaires sociaux réunis au sein d'Action logement ont d'ailleurs bien saisi les enjeux puisque, dans le cadre du plan d'investissement volontaire de 9 milliards d'euros annoncé en janvier 2019, 2 milliards sont destinés à « aménager un habitat plus inclusif ». Pour que les salariés âgés puissent rester le plus longtemps possible dans leur logement, les partenaires sociaux proposent le financement de travaux d'adaptation, l'objectif étant de verser une subvention prioritairement pour adapter les salles de bain.

Fin avril 2019, Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement, a relayé l'initiative d'Action logement. Les ex-salariés modestes dépendants ou âgés de plus de 70 ans pourront prétendre à une subvention allant jusqu'à 5 000 euros pour adapter leurs sanitaires afin de prévenir les chutes. Action logement paiera directement l'entreprise pour les travaux. « C'est un type de subvention inédit : 1 milliard d'euros est dédié à l'adaptation de près de 200 000 salles de bains pour transformer les baignoires en douche », détaillait le ministre le 30 avril 7.

L'anticipation peut aussi passer par le développement des nouveaux outils liés à la maison connectée, puisque l'on voit se développer de nombreux produits (moquette ou autres capteurs intelligents) pour alerter les proches en cas de chute ou de difficulté. Ces alertes se révèlent de plus en plus utiles. Il convient, à cet égard, de noter la multiplication des produits qui concourent au même objectif. Il faudra faire des choix, notamment vu la consommation d'énergie de ces capteurs et de l'intelligence artificielle qui les sous-tend dans certains cas. Ces alertes ne remplaceront toutefois pas les besoins concrets en matière d'usage des espaces du quotidien, et donc leur transformation pour permettre de vieillir dans de bonnes conditions.

Dans un contexte où l'on prône le libre choix entre maintien à domicile, avec un accompagnement renforcé, et entrée en établissement, il est important de consacrer un effort important aux travaux de confort dans les logements. D'autant que, faut-il le rappeler, la concertation « grand âge et autonomie », qui s'est achevée début 2019, a fait ressortir le maintien à domicile comme une attente prioritaire.


  1. « Projections de population à l'horizon 2070. Deux fois plus de personnes de 75 ans et plus qu'en 2013 », Insee Première, no 1619, novembre 2016.
  2. Études et résultats, nos 485 (avril 2006), 899 (décembre 2014) et 1015 (juillet 2017) et Drees.
  3. Terme utilisé par la Drees, qui recouvre les décès (cas le plus fréquent), les entrées dans un autre établissement et les retours à domicile. Il est à noter que les motifs de sortie, et notamment les destinations, influent sur la durée du séjour.
  4. Le montant maximum de l'aide s'élève à 7 000 ou 10 000 euros selon les ressources (http://www.anah.fr/proprietaires/proprietaires-occupants/bien-vieillir-chez-vous-avec-habiter-facile/).
  5. Voir les autres articles de ce dossier qui s'y réfèrent.
  6. Le GIR — groupe iso-ressource — apprécie le degré de perte d'autonomie des personnes, sur une échelle de 1 — les plus dépendants — à 6. Seules les personnes en GIR 1 à 4 sont éligibles à l'APA.
  7. Voir « Action logement dévoile ses nouvelles aides aux salariés », Les Échos, 2 mai 2019.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2019-7/de-la-baignoire-a-la-douche-un-renoncement-difficile.html?item_id=5694
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