Laetitia BRABANT-DELANNOY

Secrétaire générale adjointe du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA).

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Perspectives du vieillissement et de la perte d'autonomie en France

L'arrivée à un âge avancé des générations du baby-boom et l'allongement de l'espérance de vie entraîneront dans les prochaines décennies un vieillissement marqué de la population. Avec l'âge, le risque de perte d'autonomie des personnes vieillissantes s'accroît. Les projections concernant la dépendance sont néanmoins difficiles à réaliser, l'évolution de certains déterminants restant difficile à prédire. En revanche, les facteurs du « bien-vieillir » sont connus.

Les prochaines décennies seront marquées par un vieillissement important de la population française, résultant, d'une part, de l'arrivée à des âges élevés des générations issues du baby-boom et, d'autre part, de l'allongement de l'espérance de vie dont bénéficieront toutes les générations. Ce vieillissement, dont la dynamique est déjà à l’œuvre, se traduira par une forte augmentation du nombre de personnes âgées de plus de 65 ans et, également, par une augmentation de la proportion de personnes âgées au sein de la population française.

Si une grande majorité de ces personnes pourront profiter en bonne santé de ces années gagnées, d'autres seront confrontées à la perte d'autonomie et auront besoin de l'aide de leurs proches et de professionnels pour se maintenir à leur domicile ou être prises en charge de façon plus intensive en établissement. Le vieillissement de la population constitue, en ce sens, un défi important pour les pouvoirs publics, pour les familles et la société tout entière, qui devra prendre soin de ses aînés et financer ce nouveau risque social.

Un vieillissement sans précédent jusqu'en 2040, moins soutenu au-delà

Selon le scénario central de projection de population de l'Insee 1 , la France comptera en 2070 76,5 millions d'habitants (66,9 millions en 2019). La quasi-totalité de cette hausse concernerait les personnes de 65 ans et plus. Le nombre de personnes de plus de 75 ans pourrait doubler en 2070 par rapport à 2013 et celui des 85 ans et plus, presque quadrupler. En termes de croissance, le rythme de vieillissement de la population variera au cours des cinquante prochaines années.

Jusqu'en 2040, l'Insee prévoit un vieillissement soutenu de la population, quelles que soient les hypothèses d'évolution de l'espérance de vie. En effet, l'arrivée en nombre important des générations du baby-boom, nées entre 1946 et 1974, parmi les personnes de 65 ans et plus est certaine. Elle est inscrite dans la pyramide des âges : ayant débuté en 2011, elle se terminera en 2039. À cette date, selon la variante retenue, entre 25 et 28 % de la population aura 65 ans et plus, contre moins d'une personne sur cinq aujourd'hui.

Entre 2040 et 2070, les projections de population de l'Insee sont plus sensibles aux hypothèses d'évolution de l'espérance de vie. Dans tous les cas, le vieillissement se fera à un rythme moins soutenu mais il reste certain.

Projections démographiques de la perte d'autonomie

Si l'on peut se réjouir d'une espérance de vie qui augmente, le vieillissement n'a pas le même impact selon que l'on vieillit en bonne santé ou avec des incapacités. On sait ainsi que les années gagnées ne le sont pas toujours en bonne santé et que le risque de dépendance ou de perte d'autonomie, c'est-à-dire d'avoir besoin d'un soutien pour les actes de la vie quotidienne, s'accroît avec l'âge.

Jusqu'à 75 ans, le risque de perte d'autonomie est relativement faible : seuls un peu plus de 10 % des bénéficiaires de la prestation d'allocation personnalisée d'autonomie (APA) 2 sont âgés de 60 à 74 ans. Les bénéficiaires ont en majorité entre 85 et 95 ans. Avec l'âge, la santé perçue (évaluation de son propre état de santé) évolue négativement. Moins d'un tiers des 75-84 ans et environ un quart des personnes âgées de 85 ans et plus se déclarent en bonne ou en très bonne santé.

Avec l'âge, les maladies chroniques augmentent : 70 % des 85 ans et plus déclarent souffrir d'une maladie ou d'un problème de santé chronique (contre un tiers de la population de 15 ans et plus). L'avancée en âge constitue ainsi le principal facteur de risque de développer une maladie neurodégénérative (maladies d'Alzheimer et de Parkinson, notamment). Au-delà de 75 ans, la polypathologie est un phénomène fréquent.

Avec l'âge, les limitations fonctionnelles (troubles physiques, sensoriels ou cognitifs) apparaissent et se multiplient. À 85 ans, 70 % des hommes et 80 % des femmes déclarent au moins une limitation fonctionnelle. La moitié cumulent deux, voire trois formes de limitation.

L'ensemble de ces maladies et limitations fonctionnelles sont potentiellement sources d'incapacité et de perte d'autonomie. Le vieillissement de la population conduit ainsi mathématiquement à une augmentation du nombre de personnes âgées en perte d'autonomie.

Faire des projections sur ce nombre dans les prochaines décennies reste cependant un exercice difficile. On observe aujourd'hui deux tendances potentiellement opposées à l’œuvre, qui pourraient se prolonger. D'un côté, ces dernières années ont été marquées par un recul de l'âge moyen d'entrée en perte d'autonomie, se situant autour de 83 ans en 2018, ce qui pourrait compenser partiellement (mais pas complètement) les effets du vieillissement de la population. Mais d'un autre côté, la durée moyenne passée en situation de perte d'autonomie (durée de perception de l'APA) a augmenté. D'environ trois ans et sept mois aujourd'hui, elle pourrait augmenter d'une année à l'horizon 2040.

Au final, l'ensemble de ces tendances combinées pourrait laisser présager d'une société vieillissante avec de plus en plus de personnes en situation de perte d'autonomie, et pour une durée plus longue. La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des Solidarités et de la Santé a réalisé des projections du nombre de personnes âgées bénéficiaires de l'APA. Dans son scénario central, elle l'estime à 1,6 million en 2030 et à près de 2 millions en 2040, contre 1,3 million fin 2016.

Si ces prévisions apparaissent peu enthousiasmantes, il ne faut cependant pas oublier que la majorité des personnes âgées vieillissent aujourd'hui dans de bonnes conditions d'autonomie. Seuls 8 % des personnes de plus de 60 ans sont dépendantes et 20 % des plus de 85 ans, soit une personne sur cinq.

Par ailleurs, il reste à l'avenir de nombreuses inconnues, qui sont autant de facteurs pouvant jouer de façon non négligeable sur les projections du nombre de personnes âgées et sur la part d'entre elles qui seront confrontées à la perte d'autonomie.

Les facteurs du bien-vieillir pour les prochaines générations de personnes âgées

Le vieillissement actuel de la population est le fruit d'une croissance spectaculaire de l'espérance de vie des Français. Celle-ci a gagné au XXe siècle une trentaine d'années, passant de 45 à 74 ans pour les hommes et de 49 à 82 ans pour les femmes. Elle s'établit en 2018 à 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes, situant la France en troisième position du classement mondial, après le Japon et l'Espagne.

Néanmoins, la France peut mieux faire en matière d'espérance de vie en bonne santé ou sans incapacité (elle est jusqu'à présent en dessous de la moyenne européenne) : celle-ci s'établit en 2017 à 62,6 ans pour les hommes et à 64,9 ans pour les femmes.

Si les dernières décennies nous ont laissé croire que nous pourrions repousser sans cesse les limites de la longévité, il semblerait que le doute soit aujourd'hui permis. Certains parlent d'un ralentissement, d'autres d'une stagnation de l'espérance de vie elle-même et de l'espérance de vie en bonne santé, qui pourrait se poursuivre à l'avenir. Des explications sont avancées, notamment pour les femmes, dont les modes de vie se rapprocheraient de plus en plus de ceux des hommes, qu'il s'agisse des durées de travail, des types d'activité professionnelle ou de la consommation de tabac. Certains experts mettent en avant une montée des inégalités sociales qui serait à l'origine d'un renforcement des inégalités d'espérance de vie observées en fonction de la catégorie socioprofessionnelle ou du niveau de vie des personnes. Si, en 2018, l'espérance de vie des 5 % des hommes les plus aisés culminait à 84,4 ans, celle des 5 % les plus pauvres plafonnait à 71,7 ans. Chez les femmes, cet écart est plus faible (huit ans). Le niveau de vie en lui-même faciliterait, ou au contraire limiterait, l'accès aux soins.

À cela pourrait s'ajouter une plus forte exposition (en nombre et en intensité) des populations socio-économiquement défavorisées aux risques environnementaux (pollution de l'air par exemple), ce qui augmenterait le taux de mortalité précoce de ces populations et donc le taux de mortalité global.

En faveur du maintien de la croissance de l'espérance de vie et de l'espérance de vie en bonne santé, on peut, à l'opposé, placer des espoirs dans le progrès médical attendu, notamment dans la lutte contre le cancer ou dans la prévention et le traitement de la maladie d'Alzheimer et des maladies apparentées (Mama).

L'évolution du nombre de personnes atteintes de Mama constitue une donnée essentielle du vieillissement de la population. Elle apparaît fondamentale pour déterminer les besoins de prise en charge des personnes âgées. Ces maladies constituent en effet une forme particulière de dépendance et nécessitent, dès lors qu'elles atteignent un stade sévère, une prise en charge souvent spécifique et lourde rendant le maintien à domicile compliqué. Selon la Fondation Médéric Alzheimer, le taux de personnes présentant des troubles cognitifs en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) atteint déjà aujourd'hui 57 % et continue de progresser.

L'Inserm estime que les Mama pourraient augmenter de plus de 75 % d'ici à 2030, avec une projection avoisinant 1,75 million de personnes atteintes, contre 1 million de cas en 2010 (dans l'hypothèse d'une évolution stable de la maladie par âges). Si la recherche médicale progresse dans ce domaine, il semble que les tendances à la progression de ces maladies, dont le principal facteur de risque est l'âge, ne seront pas infléchies sensiblement et rapidement par la mise sur le marché de nouveaux médicaments. Un traitement curatif de la maladie n'interviendrait au mieux qu'à partir de 2030.

En termes de prévention de ces maladies, des simulations tendent à montrer que, dans les pays à hauts revenus, il serait possible de réduire de 30 % la prévalence sur une période d'au moins dix ans en agissant sur neuf facteurs de risque au cours de la vie : faible niveau d'éducation, perte d'audition, hypertension artérielle, obésité, tabac, dépression, sédentarité, isolement social et diabète. D'une façon plus générale, les politiques de prévention de la perte d'autonomie et de promotion du bien-vieillir pourraient réduire l'ampleur de la perte d'autonomie dans les prochaines années. Les effets de ces politiques dépendent fortement, on le sait, des comportements des individus et de leur capacité à s'en emparer.

La prévention tout au long de la vie, et notamment aux âges médians, apparaît comme un enjeu majeur pour éviter le développement de maladies chroniques, dont le retentissement peut être important en termes de limitations fonctionnelles. Aux âges élevés, la prévention permet de mieux repérer et prendre en compte la fragilité 3 des personnes âgées (on pense à la prévention des chutes par exemple) ou de pallier des déficiences (auditives ou visuelles notamment) à fort impact en termes d'autonomie.

Une politique de prévention de la perte d'autonomie, si elle veut avoir des effets et augmenter le bien-être et la qualité de vie des personnes âgées, doit être multidimensionnelle. Elle doit agir sur l'environnement extérieur de la personne (équipements urbains, transports), sur son domicile (sécurisation et aménagement du logement), sur son environnement participatif (lutte contre l'isolement et préservation de la citoyenneté), sur la santé des personnes (promotion de l'activité physique et d'une alimentation équilibrée) et sur le système de soins (adaptation aux spécificités du vieillissement, limitation des hospitalisations).



  1. Nathalie Blanpain et Guillemette Buisson, « Projections de population à l'horizon 2070 », Insee Première, no 1619, 2016. Le scénario central ou tendanciel de l'Insee prolonge les tendances observées par le passé. L'indicateur conjoncturel de fécondité se maintiendrait à 1,9 enfant par femme, le solde migratoire à + 100 000 personnes par an, la mortalité continuerait à baisser, selon la tendance estimée sur les quinze dernières années.

  2. L'APA est une allocation destinée aux personnes âgées de 60 ans et plus en perte d'autonomie, qui ont besoin d'aide pour accomplir les actes essentiels de la vie quotidienne (se lever, se laver, s'habiller) ou dont l'état nécessite une surveillance régulière. Elle est versée par les départements et vise à financer les dépenses nécessaires pour rester vivre à son domicile ou pour une prise en charge en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

  3. La fragilité est définie comme une réduction systémique des réserves fonctionnelles limitant la capacité de l'organisme à répondre à un stress, même mineur. La littérature épidémiologique montre que la fragilité, associée à la survenue d'événements indésirables de santé (hospitalisation, chutes, etc.), est un important facteur de risque de perte d'autonomie. Les personnes fragiles, à un stade encore réversible, constituent des cibles prioritaires des actions de prévention.

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