Albert LAUTMAN

Directeur général de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF).

Camille BROUARD

Directeur adjoint de la direction du service aux mutuelles de la FNMF.

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Militons pour défendre la cause de l'âge

La Mutualité française, au coeur des solidarités, souhaite des réformes pour mieux soutenir l'autonomie et prévenir la dépendance. D'abord, permettre le libre choix, autant que faire se peut, entre domicile et établissement. Ensuite, mieux préserver le capital autonomie, notamment à travers un habitat adapté. Puis aider vraiment les aidants. Enfin, financièrement, réduire le reste à charge des personnes concernées.

La prise en compte du grand âge et la nécessité de solutions pour favoriser l'autonomie constituent un véritable serpent de mer pour les pouvoirs publics. Maintes fois annoncée, la grande réforme censée répondre aux défis de la transition démographique, avec une longévité accrue de la population, n'a toujours pas eu lieu. La mise en place de solutions à court terme s'impose pourtant : plus de 2 millions de personnes ont aujourd'hui plus de 85 ans, elles seront deux fois plus nombreuses en 2040.

La Mutualité française a décidé de se saisir de ce dossier à la suite de son congrès de Montpellier, en juin 2018. C'est en effet à cette occasion que le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé une réforme du grand âge et de l'autonomie.

La Mutualité française bénéficie d'une expertise assez unique dans le paysage de la protection sociale. Elle fédère à la fois des mutuelles remplissant des missions assurantielles couvrant la majorité des personnes de plus de 65 ans et des établissements de soins, dont 217 Ehpad, 46 résidences autonomie et 182 services et antennes de soins et d'accompagnement à domicile. La Mutualité bénéficie donc d'une vue sur l'ensemble de la chaîne : qu'il s'agisse du soin, de l'accompagnement à domicile ou du financement.

Dans une contribution publiée fin décembre 2018 1 qui a depuis suscité un grand nombre de réactions, la Mutualité a orienté ses propositions autour de quatre convictions : la liberté de choix, en permettant aux personnes âgées de pouvoir rester aussi longtemps qu'elles le souhaitent à leur domicile ; la préservation du capital autonomie, grâce en particulier à la prévention ; la reconnaissance des aidants ; la diminution des restes à charge.

La liberté de choix le plus longtemps possible

Ces convictions résultent de l'observation de profonds changements de société. La génération des baby-boomers est celle qui a vu l'accroissement de la durée de vie de ses parents, les limites du système actuel, et qui, en raison de ses habitudes de consommation, place la liberté au coeur de ses préoccupations. Désormais, une personne âgée souhaite rejoindre une institution, un Ehpad, que l'on appelait naguère une maison de retraite, le plus tard possible. C'est à son domicile que l'on vieillit, le temps de vie en Ehpad ayant considérablement diminué.

La France se caractérise par un taux élevé d'hébergement en Ehpad : 41 % contre 12 % au Canada et 32 % en moyenne dans les pays européens. Au-delà du fait que cette situation semble, d'une certaine manière, à contre-courant d'un souhait assez ancré, celui de vieillir chez soi, il existe une forte disparité de situations selon les territoires : les taux d'équipement et les politiques sociales varient en effet assez fortement d'un département à l'autre.

La Mutualité française plaide donc pour l'émergence d'un nouveau type d'organisation médico-sociale. L'Ehpad deviendrait ainsi un établissement pivot s'intégrant dans l'offre de soins de premier recours, accessible à toute personne ayant besoin d'une expertise gériatrique, d'une solution d'hébergement transitoire, par exemple à l'issue d'une hospitalisation - celle-ci aggravant fortement les risques de dépendance. L'Ehpad deviendrait davantage une plateforme connectée au domicile des personnes âgées. Il coordonnerait l'activité de l'ensemble des professionnels chargés du soin et de l'autonomie des personnes âgées. Cet « Ehpad hors les murs » créerait les conditions d'une liberté de choix, en permettant d'organiser les soins (notamment de spécialistes de plus en plus rares au sein des territoires) et l'accompagnement, autour du domicile

La préservation du capital autonomie et de la qualité de vie

Préserver le capital autonomie, c'est affirmer la nécessité d'anticiper d'éventuelles dégradations de l'état de santé par une mise « sous contrôle » de l'environnement et des facteurs favorisant la perte d'autonomie. En effet, celle-ci ne survient pas d'un seul coup, elle résulte le plus souvent d'une succession d'événements que l'on peut prévenir et accompagner : les chutes, l'isolement, un déménagement, la perte d'un proche. Tous ces événements, connus, sont des moments clés. La prévention doit donc être au coeur du modèle. Pour la Mutualité, il existe des actions concrètes à mobiliser autour de chacun de ces moments. C'est donc une approche pragmatique qu'elle a privilégiée.

Celle-ci se décline notamment à travers l'émergence d'habitats aménagés pour tenir compte de l'évolution de la mobilité, le développement de réseaux de proximité afin de repérer les fragilités, la revalorisation des métiers de l'accompagnement et, enfin, une meilleure coordination des actions de prévention sur le territoire.

Accompagner et soutenir les aidants

Nous le constatons de plus en plus autour de nous, un nouveau type d'acteur de l'autonomie apparaît : l'aidant. Dans un cas sur deux, il s'agit d'une personne en activité professionnelle qui, en plus de ses heures de travail, effectue plusieurs fois par semaine (voire par jour) le trajet vers le lieu de vie d'une personne âgée pour lui rendre différents services : ménage, courses, soins, aide administrative. Dans neuf cas sur dix, ces aidants ressentent stress et fatigue, huit sur dix peinent à concilier vie personnelle et professionnelle. Et pourtant, rien n'existe pour les accompagner.

La Mutualité française plaide pour que le rôle des aidants soit reconnu et pour qu'ils bénéficient, dans le cadre dans leur complémentaire santé, de services tels que l'accès gratuit à un soutien psychologique, la participation à des frais d'aménagement du domicile, le développement de dispositifs d'offre de répit.

Enfin, l'aide aux aidants pourrait s'inspirer d'exemples étrangers. Il existe, en effet, dans certains pays des case managers qui apportent une aide concrète aux patients en les orientant dans l'ensemble du parcours de soins, en les dirigeant vers les dispositifs d'aides, etc. Alors que sept Français sur dix âgés de 45 ans et plus se disent mal informés sur leurs droits et l'offre d'accompagnement, nous militons pour la création de services départementaux de l'autonomie et de « coordonnateurs autonomie ». À l'instar des case managers, ils seraient chargés de faciliter l'accès à l'information et d'orienter vers les services de proximité adaptés aux besoins des personnes âgées. Ils faciliteraient en somme la vie de milliers d'aidants.

Financer la perte d'autonomie et diminuer le reste à charge

Il est aujourd'hui très onéreux de rejoindre un Ehpad. Son coût moyen représente 2 450 euros par mois en France, contre 1 300 euros en Suède et 3 000 euros en Allemagne. Au-delà, c'est bien la question du reste à charge qui pose un problème. Très faible en Suède ou au Danemark (autour de 200 euros), il atteint 2 000 euros en France pour les dépendances les plus élevées (dites GIR 1 et 2) 2, une situation comparable à celle de l'Allemagne.

Sur ce point, au-delà du souhait d'un investissement plus fort de la solidarité nationale, la Mutualité française a suggéré une solution qui a particulièrement attiré l'attention : pourquoi ne pas s'inspirer de ce qui existe au sein d'autres structures, en l'espèce les crèches, et imaginer un tarif qui dépende des revenus des résidents ? Le tarif serait ainsi modulé et prendrait en compte la capacité contributive de chacun.

La Mutualité a le sentiment que, pour l'essentiel, l'esprit de ses propositions a été repris dans le rapport rendu par Dominique Libault en mars 2019 3. Elle en a salué le contenu et l'équilibre, tout en regrettant les choix opérés sur la question du financement. La Mutualité poursuivra donc son travail par une action militante de la cause de l'âge. Nous sommes en effet convaincus que l'absence de réforme découle d'un paradoxe : tout le monde observe l'évolution en cours, les limites d'un système naguère efficace et, pourtant, c'est une logique de stricte orthodoxie budgétaire qui a pour l'instant primé.

Avec l'arrivée prochaine au grand âge des baby-boomers, il y a aujourd'hui une urgence à trouver une nouvelle forme d'organisation et de financement de la prise en charge de cette génération.



  1. Ces propositions sont publiques et consultables à l'adresse suivante : https://www.mutualite.fr/content/uploads/2018/12/Contrib-Gd_Age_16p.pdf.
  2. Le GIR — groupe iso-ressource — apprécie le degré de perte d'autonomie des personnes, sur une échelle de 1 — les plus dépendants — à 6. Seules les personnes en GIR 1 à 4 sont éligibles à l'APA.
  3. Dominique Libault, « Grand âge, le temps d'agir », La documentation française, 2019 (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2019-7/militons-pour-defendre-la-cause-de-l-age.html?item_id=5695
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