Arnaud CHNEIWEISS

Délégué général de la Fédération française de l'assurance (FFA).

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L'assurance privée peut aider au financement de la dépendance

Les perspectives démographiques et financières de la dépendance ne relèvent pas d'une science exacte, mais les ordres de grandeur sont connus. Alors que la France consacre plus de 1,4 % de son PIB à ce domaine, il faudra augmenter substantiellement cet effort, jusqu'à le doubler à l'horizon d'un demi-siècle. Dans ce contexte, les assureurs ont des produits et propositions pour couvrir le grand âge qui doivent se combiner avec les ressources publiques afin de faire face à l'ampleur des besoins.

La bonne prise en charge des personnes en perte d'autonomie occupe une place croissante dans nos préoccupations. Parce que dans notre société vieillissante, nous sommes de plus en plus nombreux à être concernés par la situation d'un proche en situation de perte d'autonomie . Parce que traiter correctement et dignement (ou pas) nos aînés en dit long sur nous-mêmes et la société dans laquelle nous vivons. Fin 2017, près de 1,3 million de personnes bénéficiaient de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), soit 8 % de la population française âgée de 60 ans et plus 1. Parmi elles, environ 460 000 personnes étaient en « dépendance lourde ».

Les projections démographiques sont claires : le nombre de personnes de 85 ans et plus devrait atteindre 4,8 millions en 2050, soit 3,2 fois plus qu'aujourd'hui. Quant au nombre de personnes dépendantes, il pourrait dépasser 2,2 millions, dont environ 850 000 personnes en dépendance lourde, avec un phénomène d'accélération entre 2030 et 2040, quand arriveront à ces âges avancés les générations du baby-boom.

L'ampleur des besoins financiers

Les travaux menés dans le cadre de la « concertation Libault » 2 donnent une idée de l'ampleur des besoins à venir. En 2014, on estimait à au moins 30 milliards d'euros par an, soit 1,4 % du PIB, le coût de la dépendance. Il s'agit de dépenses de santé (12,2 milliards), d'aides spécifiques à la prise en charge des personnes âgées (10,7 milliards) et de dépenses d'hébergement directement liées à l'état de dépendance (7,1 milliards). Cette estimation sous-évalue l'ampleur réelle des dépenses : les dépenses hospitalières ne sont pas comptabilisées faute d'être bien identifiées, ni celles de « gîte et couvert en hébergement » - 4,4 milliards de plus. Surtout, l'aide informelle des 3,9 millions d'aidants — souvent les conjoints — pourrait être valorisée à plusieurs milliards d'euros.

Les incertitudes sont grandes sur l'ampleur des besoins financiers à venir : quels progrès médicaux allons-nous constater, notamment en ce qui concerne la maladie d'Alzheimer ? Quels gains d'espérance de vie en bonne santé (alors que ceux-ci semblent stagner sur la période récente dans nos sociétés développées) ? L'aide informelle massive des aidants familiaux pourrait-elle régresser dans le cadre d'une société où les solidarités refluent ? Jusqu'où allons-nous réussir à renforcer le taux d'encadrement dans les Ehpad en revalorisant les métiers concernés ?

Cependant, malgré toutes ces incertitudes, des fourchettes crédibles ont été établies. Elles montrent la nécessité de trouver de nouveaux financements dans des proportions importantes, du fait notamment de l'accélération du vieillissement de la population, du besoin de rénover les Ehpad et d'améliorer le taux d'encadrement dans ceux-ci. À l'horizon 2030, il faudra trouver chaque année entre 11 et 25 milliards d'euros (soit 1 point de PIB de plus selon la fourchette haute); à l'horizon 2060, entre 30 et 53 milliards (soit 2 points de PIB de plus selon la fourchette haute). Dans la situation de nos finances publiques (ratio dette/PIB proche de 100 % quand il était de l'ordre de 34 % il y a trente ans), qui peut penser que nous pourrons faire face à ce défi en comptant sur les seules ressources publiques ?

Il n'y aura pas une solution unique, mais une palette de solutions, alliant ressources publiques et privées.

Mobiliser le patrimoine disponible

La première réponse, de bon sens, consiste à dire qu'il faut d'abord mobiliser l'éventuel patrimoine financier et immobilier des personnes concernées.

Pour donner une première idée des sommes nécessaires pour faire face aux dépenses liées à la dépendance sur un plan microéconomique, le rapport Libault évalue le reste à charge moyen en établissement à 1 850 euros par mois (rester à domicile coûte nettement moins cher). Ce n'est qu'une moyenne — les coûts sont bien plus élevés en Île-de-France — et on peut débattre du concept exact de reste à charge. Nous savons par ailleurs qu'une personne reste, toujours en moyenne, 4,1 ans en Ehpad 3. Cela nous montre qu'une somme d'environ 90 000 euros est nécessaire pour faire face au coût de la dépendance, « en moyenne », avec toute la prudence qui doit accompagner cette évaluation soumise à un écart type important.

Comment faire pour réunir une telle ressource financière ? Les personnes les plus aisées pourront puiser dans leur assurance vie, leur épargne retraite ou toute autre forme d'épargne financière (livrets...). Les personnes les plus pauvres devront être soutenues par la solidarité nationale. Pour les personnes en situation intermédiaire, les classes moyennes, la souscription d'une assurance dépendance avec un label de qualité peut être particulièrement pertinente. Nous y reviendrons, car il faut rester encore un moment sur les questions de mobilisation du patrimoine.

À propos du patrimoine financier, le rapport Libault plaide fort justement 4 pour développer les sorties sous forme de rente viagère, notamment dans le cas de l'épargne retraite. En effet, en cas de sortie sous cette forme, par opposition à l'autre choix possible désormais d'un plan d'épargne retraite suite à la loi Pacte, la sortie complètement en capital, l'assureur pourra proposer une option, par exemple le doublement de la rente en cas de dépendance lourde.

À propos du patrimoine immobilier, nous savons que les personnes âgées sont souvent riches « en stock » d'un bien immobilier, mais pauvres « en flux » de revenus financiers. L'idée exprimée dans le rapport Libault de développer les formes de « viagers mutualisés » est intéressante. Le viager traditionnel est un marché qui demeure limité, en partie pour des raisons de réputation. Le projet serait d'inciter les investisseurs institutionnels — dont les assureurs, qui ont la capacité de faire des placements de long terme — à s'impliquer dans ce type de produits, suivant les expériences menées par la Caisse des dépôts et consignations, en faisant l'interface entre une masse de propriétaires âgés désireux d'obtenir un revenu de leur bien immobilier et une masse de ménages souhaitant accéder à la propriété.

Rendre l'assurance dépendance plus attractive

Le marché de l'assurance dépendance est aujourd'hui de taille modeste : moins de 800 millions d'euros de primes 5. Sur cet ensemble, 83 % des cotisations collectées le sont par des sociétés d'assurances, 12 % par les mutuelles santé et 5 % par les institutions de prévoyance.

Pour tenter de rendre l'assurance dépendance plus attractive, un label spécifique, la garantie assurance dépendance (GAD), a été développé depuis 2013 pour faire émerger des pratiques de qualité. Il prévoit notamment le versement d'une rente d'au moins 500 euros par mois en cas de survenue de la dépendance lourde.

Déjà 166 000 assurés ont souscrit un contrat ainsi labélisé depuis son lancement. Des travaux sont en cours pour améliorer encore les caractéristiques du label, répondant par avance à l'appel du rapport Libault visant à faire émerger « un standard de la couverture dépendance » 6.

Quelles sont les critiques souvent entendues à propos de l'assurance dépendance ?

  • Il s'agirait d'une assurance « à fonds perdus », par conséquent moins utile que le fait d'épargner dans le cadre de l'assurance vie ou de l'épargne retraite. On peut répondre à cela que les assurances sont souvent « à fonds perdus », et tant mieux pour l'assuré si le sinistre ne se produit pas ! Au-delà, les assureurs ont contré cette critique depuis longtemps et vont amplifier leur effort. Dès la souscription du contrat d'assurance dépendance, des services de prévention peuvent être proposés : diagnostic de l'état intellectuel et physique de la personne, diagnostic de l'état du logement. En fonction des besoins, des services de prévention, coaching, aide à la personne, aide aux aidants, y compris orientation administrative, se mettent en place. Les progrès de la domotique et des nouvelles technologies doivent pouvoir faciliter l'aménagement du logement pour prolonger le maintien à domicile. En la matière, les assureurs s'appuient sur des sociétés d'assistance ou des sociétés spécialisées qui apportent ces services d'aide à la personne concrets et personnalisés.
  • Il s'agirait d'une assurance ne jouant que dans les cas extrêmes.Si seule la dépendance lourde est couverte, une frustration peut naître chez les personnes dépendantes et dans leur entourage, en constatant que le bénéficiaire du contrat n'est « pas assez dépendant » pour toucher la rente prévue au contrat. Il est vrai que la dépendance lourde est un état beaucoup plus objectif que la dépendance partielle, dont l'appréciation peut varier entre différents évaluateurs appliquant des critères différents. Les assureurs privés ont toujours souhaité suivre une grille d'évaluation relative aux actes de la vie quotidienne, la jugeant plus pertinente sur le plan médical et moins soumise à des critères publics aléatoires (critères plus sociaux que médicaux, situation plus ou moins aisée des finances publiques). Ils souhaitent désormais inclure de façon optionnelle la couverture de la dépendance partielle dans les produits labélisés.
  • Quelle valeur pour la rente viagère ? Les assurances dépendance sont souvent souscrites vers l'âge de 60 ans. Les personnes ne deviendront dépendantes que vingt à vingt-cinq ans plus tard. Quelle sera alors la valeur de la rente promise lors de la souscription et que permettra-t-elle d'acheter alors que nous savons que la hausse des prix des services de santé est plus rapide que l'inflation générale ? En réponse à cette critique, les assureurs travaillent à proposer une option de revalorisation de la rente, par une indexation des garanties suivant l'objectif d'inflation de la Banque centrale européenne. En travaillant selon ces axes, en repoussant par ailleurs l'âge de la sélection médicale (50 ans dans le label GAD aujourd'hui), les assureurs pourront proposer des produits plus qualitatifs et reconnus 7.

Faut-il couvrir toute la population ?

Suite à la publication du rapport Libault, la question est posée de savoir si et comment l'ensemble de la population française pourrait être couverte, au moins par une garantie de base, l'assurance privée facultative pouvant enrichir la couverture de ceux qui le souhaitent et le peuvent. Le rapport Libault estime que « le besoin de financement public supplémentaire net s'élève à 9,2 milliards d'euros en 2030 » (s'ajoutant aux 24 milliards actuels) et propose d'atteindre l'objectif en combinant l'utilisation de plusieurs ressources publiques (Fonds de réserve pour les retraites, nouveau prélèvement social succédant à la CRDS...).

Un rapport sénatorial paru début avril 2019 8 s'est prononcé à l'inverse pour une assurance obligatoire par répartition, sans trancher sur la nature publique ou privée de cette assurance.

C'est un débat essentiel qui s'engage ainsi avec une double question : faut-il tenter de couvrir l'ensemble de la population ? Et si oui, quelle est la meilleure façon de le faire : par l'impôt ou par une couverture assurantielle ?

Tous les acteurs doivent faire preuve de créativité et d'imagination pour tenter de trouver la meilleure combinaison de ressources publiques et privées afin de faire du grand-âge « un moment privilégié, serein et apaisé », pour reprendre les mots de la ministre, Agnès Buzyn. Et les différents acteurs devront apporter leurs idées dès les prochains mois, puisqu'un projet de loi sur la perte d'autonomie devrait être présenté à l'automne 2019.


  1. Les définitions de la dépendance peuvent varier. Nous citons ici les chiffres de l’APA, mais la Drees du ministère des Solidarités estime la population des personnes dépendantes en 2015 à 2 millions, soit 14 % de la population des plus de 60 ans. On peut expliquer la différence entre les deux évaluations par le non-recours aux prestations APA et par des différences d’appréciation sur l’évaluation de la dépendance partielle.
  2. Dominique Libault, « Grand âge, le temps d’agir », rapport remis à la ministre des Solidarités et de la Santé en réponse à une mission confiée par le Premier ministre.
  3. Il s’agit, précisément, de la durée totale de perception de l’APA pour les personnes dont le dernier lieu de résidence est un établissement. Là encore, il s’agit d’une moyenne. Une personne sur quatre ne restera qu’au plus 1,7 an mais une autre personne sur quatre y restera au moins 6,3 ans. Concernant les dépendants lourds, la durée moyenne de perception de l’APA en établissement est de 3,1 ans.
  4. Proposition 165 : « Les rentes viagères offertes par les produits d’épargne retraite constituent l’outil de mobilisation du patrimoine financier le plus adapté pour faire face au risque de longévité, qui pèse sur les personnes notamment en cas de dépendance longue. »
  5. Pour donner un ordre d’idée, les cotisations collectées au titre des complémentaires santé s'élèvent à 37 milliards d’euros en 2018.
  6. Proposition 164.
  7. Le rapport Libault évoque également la contribution possible de l’assurance habitation. Cette piste paraît moins prometteuse, dans la mesure où aujourd’hui l’âge du souscripteur d’une multirisque habitation (qui protège l’ensemble du ménage y résidant) n’est pas pris en compte dans la tarification. Mais des aménagements légers du logement en cas de dépendance lourde peuvent sans doute être imaginés par des acteurs du marché, en se fondant sur l’assurance habitation.
  8. Commission des Affaires sociales, avec pour rapporteurs Bernard Bonne (LR, Loire) et Michelle Meunier (PS, Loire-Atlantique).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2019-7/l-assurance-privee-peut-aider-au-financement-de-la-dependance.html?item_id=5697
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