Bernard BONNE

Sénateur LR de la Loire.

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Quel Ehpad demain ?

Améliorer la politique de prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées, c'est établir des relations tarifaires simplifiées. C'est remettre l'aide-soignant au centre et conférer un rôle nouveau au médecin coordinateur, avec recours accru à la télémédecine. C'est mettre plus en avant le projet de la personne que celui de l'établissement. Enfin, c'est investir dans la diversification des Ehpad eux-mêmes et dans le développement des résidences autonomie, structures intermédiaires entre l'établissement et le domicile.

Simplifier le modèle gestionnaire

Un des principaux problèmes rencontrés actuellement par les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), potentiellement générateur de dépenses publiques non justifiées, a trait à leur dualité de financement entre les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux. Ce partage des financements est très largement artificiel : la mesure des besoins en soins des résidents en Ehpad s'appuyant pour une large part sur le GIR 1 moyen pondéré (GMP), elle prouve que la médicalisation des établissements est indissociable de l'état de dépendance des personnes accueillies.

Le maintien de cette ambiguïté engendre pour les gestionnaires d'établissement et de service d'importantes complexités administratives, amplifiées dans les cas de faible coordination entre l'ARS et le conseil départemental.

L'urgence de remédier à cette dualité de financement a bien été perçue. Suivant la recommandation émise dans mon rapport de mars 2018 2, la Direction générale de la cohésion sociale a proposé la fusion des sections soins et dépendance dans les Ehpad, afin de mettre fin à ce cloisonnement, à ce partage assez arbitraire, difficilement perceptible à la fois par les gestionnaires et surtout par les résidents et les familles.

Reste néanmoins entière la question du tarificateur. Je propose, dans un rapport sénatorial d'avril 2019 3, une expérimentation fondée sur plusieurs territoires volontaires, au sein desquels la compétence tarifaire serait exclusivement exercée par l'ARS ou par le conseil départemental.

De très nombreux personnels (médecin, infirmier, aide-soignant, accompagnateur, animateur, etc.) interviennent en Ehpad. Le poste prépondérant dans les dépenses de personnel est, de très loin, celui d'aide-soignant. Il constitue le vivier de personnel le plus important et a fortiori celui dont les tâches font l'objet des ajustements et des redéfinitions les plus sensibles selon le profil des publics accueillis. Les établissements recourent d'autant plus volontiers à la pluralité des compétences de ce poste qu'il est mobilisable à la fois pour les tâches de soins et pour celles d'aide à l'autonomie. Sa polyvalence est explicitement consacrée par la dualité de son financement.

Le poste d'aide-soignant est indubitablement celui dont la charge de travail est la plus sensible aux besoins en soins et en aide à l'autonomie des résidents. Il paraît donc indispensable que les agences régionales de santé et les conseils départementaux se saisissent de la souplesse offerte par le code de l'action sociale et des familles, qui permet de cofinancer ces postes, afin de construire des clés de répartition du financement des aides-soignants, variable selon les établissements et les publics accueillis.

Contrer l'écueil du « tout médical »

La médicalisation des Ehpad est une inflexion entièrement assumée par les gouvernements successifs. Elle s'explique en grande partie par le caractère quantitatif du développement de l'offre, qui privilégie la création de places. Les établissements ne sont nullement incités à diversifier l'offre qu'ils proposent : la création d'une place médicalisée assure un surcroît de dotation globale de soins, alors que la diversification des hébergements fait appel à un autre type de financement, moins sécurisé.

Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales voyait, dans le maintien de l'intervention exclusive du médecin traitant auprès du résident, le signe manifeste d'une « approche individuelle et libérale des soins, fondée sur l'idée de maison de retraite comme substitut au domicile », alors que le rôle du médecin coordonnateur s'inscrirait davantage dans une « logique institutionnelle, collective et coordonnée » 4. Je m'inscris en faux contre cette vision et j'appelle à ce que soit fortement remis en cause le cliché selon lequel l'attachement au médecin traitant (le « médecin de famille ») serait demeuré de nos jours le signe d'un lien maintenu entre l'Ehpad et le monde extérieur. Ainsi, l'attribution par la loi de financement de la sécurité sociale, sur l'initiative du Sénat, d'un pouvoir de prescription au médecin coordonnateur va dans le bon sens.

Depuis septembre 2017, deux actes de télémédecine en Ehpad ont été intégrés à la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), pris en charge par l'assurance maladie : la télé-expertise et la téléconsultation. Ils apportent une solution bienvenue au problème de la couverture médicale des Ehpad. L'économie induite pourrait s'avérer très significative : le coût supporté par les régimes d'assurance maladie pour les actes de télémédecine paraît bien moins élevé que ceux qu'ils assument actuellement, au titre des soins dispensés dans des établissements de santé et des transports sanitaires engendrés par les hospitalisations inutiles.

Pour autant, ils présentent un risque élevé d'inefficacité en raison de l'exclusion dans laquelle est maintenu le médecin coordonnateur. Ce dernier n'est mentionné que pour le cas de la télé-expertise, à l'égard de laquelle il dispose d'un simple droit d'information sous réserve de l'accord du résident.

Mieux organiser le parcours de la personne âgée

Au projet de l'établissement, qui régit l'admission ou le refus d'accueil de la personne, doit se substituer le projet personnalisé de celle-ci, qui doit seul désormais guider le redéploiement de l'offre.

Des formes d'accueil intermédiaires — soutien infirmier à domicile, accueil de jour (AJ) et hébergement temporaire (HT) — peuvent être proposées ou demandées par les personnes concernées. Cela peut leur permettre de mieux vivre un départ du domicile, réservant l'Ehpad pour les cas extrêmes.

Tout l'enjeu est d'inciter un gestionnaire d'établissement à développer plusieurs activités correspondant à plusieurs degrés de prise en charge. Un même gestionnaire peut ainsi assumer la charge d'un Ehpad, de plusieurs formes d'hébergement intermédiaire, d'un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et/ou d'un service d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD). La construction d'un modèle de prise en charge intégré assure autant la diversification de l'offre que l'homogénéité de la couverture territoriale.

L'intérêt de la diversification de l'activité du gestionnaire d'établissement ne se limite pas à la personne accueillie. Il est aussi susceptible de retombées positives sur le personnel. Les associations représentatives du personnel m'ont fait part du profit que pourrait apporter au personnel médical l'opportunité de varier leurs tâches entre soins en établissement, soins en structure intermédiaire et accompagnement à domicile. J'y vois même une des voies de lutte contre le défaut d'attractivité que subissent les métiers de la prise en charge du grand âge, en raison d'un cantonnement excessif à l'Ehpad.

Les résidences autonomie, anciens foyers-logements, sont une forme d'hébergement complémentaire de celle proposée par les Ehpad. Elles ont été conçues pour répondre aux besoins de personnes âgées dont le degré d'autonomie ne permet plus de se maintenir à domicile, mais ne justifie pas pour autant une entrée en Ehpad. Elles offrent une solution d'hébergement intermédiaire entre celui-ci et les résidences services non médicalisées de type maison d'accueil et de résidence pour l'autonomie (Marpa).

Ces résidences obéissent à des règles d'organisation et de financement extrêmement différentes, dont j'estime qu'elles dessinent un cadre intéressant. Elles ouvrent des perspectives très prometteuses pour l'offre d'hébergement en général : ouverture sur l'extérieur, financeur public unique et partenariat accru entre établissement et services.

De façon générale, le déploiement de ces structures intermédiaires appelle la mise en place de partenariats stratégiques territoriaux, afin d'assurer un maillage de structures le plus coordonné possible entre domicile, services et établissements.

Il serait très profitable qu'une structure pilote (un établissement d'accueil ou un établissement hospitalier doté d'un service de gérontologie) soit dotée de pouvoirs de coordination à l'égard de l'ensemble des acteurs de la prise en charge, afin d'organiser des parcours pertinents.

Cet objectif, régulièrement réaffirmé sans toutefois rencontrer de véritable effectivité, n'a pour l'heure connu qu'une seule réalisation en 2000 : l'agrément de réseaux gérontologiques expérimentaux promus par la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (MSA). Depuis, le législateur s'est contenté de mettre à la disposition des gestionnaires plusieurs outils susceptibles de favoriser leur coordination, sans les assortir de véritable incitation. Il s'agit principalement des groupements de coopération et des possibilités de partenariats expérimentaux ouvertes par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Intéressants dans leur principe, ces outils sont aujourd'hui insuffisamment mobilisés.



  1. La grille « autonomie gérontologique groupes iso-ressources » (Aggir) permet de mesurer le degré de perte d'autonomie. Le GIR — groupe iso-ressource — apprécie ce niveau de dépendance, sur une échelle de 1 — les plus dépendants — à 6.
  2. « Ehpad : quels remèdes ? » rapport d'information fait au nom de la commission des Affaires sociales, no 341, 7 mars 2018 (https://www.senat.fr/rap/r17-341/r17-341.html).
  3. « Diminuer le reste à charge des personnes âgées dépendantes : c'est possible ! » rapport d'information des sénateurs Bernard Bonne et Michelle Meunier, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des Affaires sociales, no 428, 3 avril 2019 (http://www.senat.fr/rap/r18-428/r18-428.html).
  4. « Financement des soins dispensés dans les Ehpad. Évaluation de l'option tarifaire dite globale », Igas, 2011.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2019-7/quel-ehpad-demain.html?item_id=5701
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