Ana LLENA-NOZAL

Économiste à l'OCDE.

Thomas RAPP

Économiste à l'OCDE, maître de conférences à l'université Paris-Descartes.

Partage

Évolutions démographiques et prise en charge de la dépendance dans les pays de l'OCDE (1)

Tous les pays de l'OCDE sont affectés par le vieillissement et s'inquiètent de la prise en charge de la dépendance. Ils sont confrontés à des défis d'intensité variée mais toujours importants, pour ce qui concerne tant le recrutement des personnels que le financement des systèmes de soins de longue durée.

D'ici à 2050, le vieillissement de la population dans les pays de l'OCDE va s'accentuer très sensiblement. Dans la majorité des pays, un quart au moins de la population totale aura plus de 65 ans, et les personnes âgées de plus de 80 ans représenteront un peu plus de 10 % de la population 1

Part de la population âgée de plus de 65 et 80 ans

Sources : statistiques de l'OCDE sur la santé 2017 ; données historiques et projections de l'OCDE de la population 2017.

Une croissance attendue des demandes

Si l'espérance de vie à 65 ans s'est beaucoup accrue au cours des dernières décennies (elle atteint 19,5 années en moyenne dans les pays de l'OCDE en 2015), l'espérance de vie en bonne santé reste encore bien inférieure (9,4 années en moyenne en Europe en 2015). Du reste, un peu plus de la moitié des personnes âgées de plus de 65 ans interrogées dans le cadre de l'enquête européenne EU-SILC (26 pays) déclarent rencontrer des difficultés à accomplir des activités de la vie quotidienne à cause d'un problème de santé et expriment donc des besoins pour les soins de longue durée (SLD). Les SLD recouvrent les soins personnels pour les activités de la vie quotidienne (manger, se laver, s'habiller, etc.), l'aide pour le maintien de l'autonomie (portage des repas…) et les soins médicaux infirmiers (aide pour la prise de médicaments, la gestion des plaies, etc.). Ces soins sont généralement reçus dans des établissements d'hébergement médicalisés (en France, ce sont les Ehpad, établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) ou au domicile des personnes.

Plusieurs raisons conduisent à penser que la demande de SLD va fortement s'accroître dans le futur. Tout d'abord, le nombre de personnes ayant recours à ces services va naturellement augmenter à mesure que la population vieillit. Ensuite, on peut penser que l'élévation du niveau de vie dans la plupart des pays de l'OCDE s'accompagne d'attentes plus grandes en termes de qualité de vie et de besoins de services, notamment pour le maintien à domicile. Enfin, l'offre de soins familiaux, qui représente à l'heure actuelle une proportion très importante de l'aide fournie aux personnes âgées, pourrait décliner dans le futur dans plusieurs pays, du fait de la participation croissante des femmes au marché du travail, de la baisse de la taille des familles, de la mobilité accrue des enfants et, enfin, du vieillissement des aidants familiaux eux-mêmes, qui sont souvent les conjoints.

Cet accroissement attendu de la demande de SLD pose des défis importants aux pays de l'OCDE : d'une part, ceux liés au faible développement actuel de l'offre de services et, d'autre part, ceux liés à l'organisation de son financement.

Un défi de recrutement

En premier lieu, l'offre de SLD reste assez peu développée dans la majorité des pays de l'OCDE, qui font face à des problèmes importants de recrutement et de rétention de la main-d’œuvre dans le secteur. Ainsi, entre 2011 et 2016, le nombre de travailleurs pour 100 personnes âgées de plus de 65 ans a baissé ou stagné dans les trois quarts des pays. Et les quelques pays (Israël, Luxembourg, Japon et Allemagne) qui ont été en mesure d'accroître sensiblement ce ratio au cours des dernières années anticipent qu'ils devront poursuivre ces efforts pour faire face aux besoins futurs.

Les difficultés de recrutement et de rétention de la main-d'oeuvre s'expliquent notamment par le fait que le secteur de la dépendance souffre d'une image très négative, souvent liée à des conditions de travail difficiles et à des niveaux de rémunération très bas. Il est donc à l'heure actuelle très peu attractif. Par ailleurs, peu de pays ont mis en place des réformes visant à développer sensiblement leur offre de SLD. Par exemple, une enquête récente (à paraître) menée en 2018 par l'OCDE auprès de 26 pays montre que seulement la moitié d'entre eux a mis en place des mesures pour accroître le recrutement des professionnels du secteur. Il en résulte un déséquilibre parfois important entre l'offre et la demande de soins, qui peut s'avérer préjudiciable pour leur qualité. C'est particulièrement le cas de l'offre de soins à domicile, qui reste très peu développée et très fragmentée dans la majorité des pays de l'OCDE, où en moyenne 70 % des travailleurs du secteur des SLD sont employés par des résidences médicalisées.

Nombre de travailleurs du secteur des soins de longue durée pour 100 personnes âgées de 65 ans et plus (2015 ou année la plus proche)

Source : statistiques de l'OCDE sur la santé 2017.

Un défi de financement

En second lieu, les besoins croissants de SLD posent la question de leur financement. Au cours de la décennie 2005-2015, le taux de croissance annuel des dépenses de dépendance a été de 4,6 % dans les pays de l'OCDE. Et il est attendu que les dépenses de dépendance, qui représentent en moyenne 1,7 % du PIB des pays de l'OCDE en 2016, augmentent très fortement dans le futur. Selon les prédictions du dernier rapport sur le vieillissement de la population de la Commission européenne, elles pourraient représenter jusqu'à 3,2 % du PIB dans le scénario le moins favorable 2.

Dans leur grande majorité, les dépenses de SLD dans les pays de l'OCDE sont financées par des dispositifs publics (plus de 80 % en moyenne). En effet, l'assurance dépendance volontaire (privée) est très peu répandue et ne participe que très marginalement au financement des dépenses totales de dépendance. Le reste à charge des ménages représente en revanche une fraction non négligeable du financement de la dépendance dans la plupart des pays de l'OCDE (en moyenne 17,2 % du financement total pour les 22 pays pour lesquels les données sont disponibles).

L'examen des systèmes de financement publics de la dépendance dans les pays de l'OCDE révèle l'existence de trois principaux modèles. En premier lieu, quelques pays (Pays-Bas, Allemagne, Japon, et Corée du Sud) ont introduit des systèmes d'assurance dépendance, qui sont en grande partie financés par des cotisations sociales obligatoires et, dans une moindre mesure, par l'impôt. En second lieu, certains pays ont très majoritairement recours à l'impôt. C'est typiquement le cas des pays scandinaves (Norvège, Suède, Danemark) et de la Finlande, où les besoins de SLD sont entièrement financés par l'impôt. En troisième lieu, quelques pays (par exemple la France ou la Belgique) ont mis en place des modèles de financement « mixtes », avec un recours important au financement par l'impôt et par l'assurance sociale.

On remarque aussi une très grande hétérogénéité des modalités d'accès aux aides publiques dans les pays de l'OCDE et, souvent, au sein même des pays. Dans certains, les critères d'éligibilité aux aides publiques pour financer les besoins de SLD peuvent varier selon les régions. C'est par exemple le cas en Italie ou en Espagne. Aux États-Unis, l'éligibilité au programme Medicaid dépend de conditions liées aux ressources financières des ménages, qui varient entre les États. Le niveau des aides peut aussi varier au niveau local ou régional, et ce même lorsque les règles d'éligibilité sont déterminées au plan national. C'est par exemple le cas en France, où le niveau de l'allocation personnalisée d'autonomie peut varier sensiblement selon les départements. Dans plusieurs pays (Suède, Norvège, Pays-Bas), l'accès aux soins à domicile est géré à l'échelle des municipalités.

En conclusion, il paraît nécessaire de mettre en place des politiques de prise en charge de la dépendance ambitieuses, pour répondre aux besoins des personnes âgées et de leur entourage. Selon les prédictions de la Commission européenne, favoriser le bien-vieillir dans nos sociétés devrait permettre de contenir pour partie l'accroissement attendu des dépenses de dépendance. Cette stratégie nécessite le développement d'une offre de SLD de qualité, centrée sur les besoins et les attentes des personnes âgées. Cela passe par une formation accrue des professionnels du secteur à la prévention de la perte d'autonomie chez les personnes âgées, et notamment à la détection de la fragilité. Cela passe également par une amélioration des capacités de recrutement dans le secteur des SLD. Sur cet aspect, les mesures engagées dans les pays de l'OCDE au cours des dernières années ont souvent consisté à promouvoir une meilleure image du secteur, à améliorer les conditions d'accès à la formation des professionnels, à promouvoir de véritables perspectives de carrière et à améliorer les conditions de travail et de rémunération. Enfin, le soutien aux aidants familiaux semble déterminant, puisqu'ils occupent aujourd'hui une place centrale et font souvent face à des difficultés importantes liées à leur situation (dépressions, appauvrissement, etc.).



  1. Cet article engage uniquement l'opinion des auteurs et en aucun cas celle de l'OCDE
  2. Voir Panorama de la santé 2017. Les indicateurs de l'OCDE, OCDE, 2018 ( https://dx.doi.org/10.1787/health_glance-2017-fr).
  3. « The 2018 Ageing Report », Commission européenne ( http://dx.doi.org/10.2765/615631).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2019-7/evolutions-demographiques-et-prise-en-charge-de-la-dependance-dans-les-pays-de-l-ocde-1.html?item_id=5687
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