Vers une logistique urbaine durable ?
Encombrement et pollution des centres-villes, nécessité d’une mobilité décarbonée, problématique du dernier kilomètre : la logique urbaine se trouve au carrefour de débats et d’attentes importants. Les flux de marchandises sont confrontés à des défis substantiels en matière de soutenabilité environnementale. Leur décarbonation est devenue un enjeu majeur, notamment avec la mise en place des zones à faibles émissions.
Si les flux de marchandises sont parfois perçus comme une source de nuisances (émissions polluantes, consommation de foncier, congestion routière, bruit), ils sont avant tout un maillon essentiel de toute l’activité économique des centres urbains, en temps normal et encore plus particulièrement en temps de crise, comme l’a souligné la crise de la Covid-19. Le développement de l’e-commerce, la généralisation de la gestion des stocks en flux tendus et l’éloignement des entrepôts nécessitent de repenser et d’optimiser l’organisation des flux ainsi que le transport de marchandises en ville. Le défi est de taille. Assurer la desserte des commerces de proximité et la livraison des colis tout en préservant un environnement et une qualité de vie répondant aux besoins des habitants constitue un enjeu fort d’attractivité pour les zones urbaines denses.
Les collectivités ont bien identifié l’importance des enjeux économiques et sociaux du transport de marchandises en milieu urbain. Il n’en demeure pas moins que traiter ce sujet reste éminemment complexe. Cela est dû à la superposition des compétences et à la multiplicité des acteurs impliqués, tant dans la sphère institutionnelle qu’économique (d’où des lenteurs dans la mise en œuvre). En effet, de nombreux opérateurs prennent part à la logistique urbaine. Transporteurs, grossistes, producteurs et industriels, entreprises du bâtiment et des travaux publics, grande distribution, artisans, commerçants sont impliqués dans les livraisons dites « du dernier kilomètre ». Or leurs déplacements constituent une part très importante du coût logistique total de l’acheminement d’une marchandise ou d’un service, et sont aujourd’hui davantage soumis à des mesures de restriction de circulation dans les centres urbains et leurs périphéries.
Parce qu’ils restent très dépendants des véhicules utilitaires motorisés, les déplacements liés au « dernier kilomètre » génèrent d’importantes émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre. En effet, le transport de marchandises représente 10 % à 20 % du trafic, mais il est responsable d’un quart des émissions de CO2, d’un tiers des émissions d’oxydes d’azote et de la moitié des particules liées à la circulation urbaine 1.
Décarbonation et restrictions de circulation
En 2021, les pouvoirs publics ont décidé de s’emparer du sujet de la logistique urbaine durable (LUD). Le gouvernement a ainsi missionné – dans le cadre d’une mission dite LUD – l’ancienne ministre Anne-Marie Idrac, Jean-Jacques Bolzan et Anne-Marie Jean. En octobre 2021, ceux-ci ont transmis les résultats de leurs travaux au CILOG (Comité interministériel de la logistique). Dans leur rapport, ils reviennent sur l’importance du dernier maillon de la logistique et de ses enjeux en matière de soutenabilité environnementale, de qualité de vie de la population urbaine et de compétitivité des acteurs économiques. Ce document particulièrement riche présente une liste de recommandations principalement adressées à l’État et aux collectivités 2.
Les recommandations 7.5 « Suivre le déploiement des ZFE (zones à faibles émissions) » et 7.6 « Développer les aides à l’achat de véhicules » sont essentielles pour réussir la décarbonation du transport de marchandises. Décarbonation qui devient impérative au vu des restrictions de circulation engendrées par la mise en place progressive de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) sur la totalité du territoire national. C’est assurément le défi le plus important que devront surmonter les transporteurs et les logisticiens dans les années à venir.
Un chantier urbain
ZFE-m obligatoires dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants
La création des ZFE-m en Europe répond à une urgence sanitaire. Selon une étude publiée en 2016 par l’agence Santé publique France, l’exposition aux particules fines peut réduire l’espérance de vie d’une personne âgée de 30 ans de plus de deux ans dans les agglomérations les plus polluées. Ces enjeux sanitaires ne sont pas nouveaux. Depuis quinze ans, la mauvaise qualité de l’air dans les grandes métropoles a conduit un certain nombre de pays européens à prendre des mesures afin de restreindre, voire d’interdire, l’accès aux centres-villes aux véhicules les plus polluants. Plusieurs études internationales ont montré les bénéfices sanitaires de telles actions politiques. En 2015, Paris a été la première ville française à créer une « zone de circulation restreinte », suivie par Grenoble en 2017, la Métropole du Grand Paris en 2019 et la Métropole de Lyon en 2020.
Promulguée le 24 décembre 2019, la loi d’orientation des mobilités (LOM) a renforcé la mise en place des ZFE-m. L’instauration d’une ZFE-m devient obligatoire lorsque les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L221-1 du Code de l’environnement ne sont, au regard de critères définis par voie réglementaire, pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
La loi climat et résilience, promulguée le 22 août 2021, a complété la LOM en imposant la création de ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici à la fin de 2024. L’État anticipe notamment un durcissement à venir des normes européennes de qualité de l’air, en accord avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Cette multiplication des ZFE va interdire la circulation en zones urbaines denses des véhicules les plus polluants. La question du verdissement des flottes va donc devenir centrale pour les transporteurs et logisticiens. Les acteurs publics et privés sont appelés à intensifier leurs efforts en faveur d’une logistique plus économe en énergie. Concilier compétitivité et enjeux environnementaux, tel est le défi pour anticiper dès aujourd’hui la transition vers une mobilité décarbonée. Cette dernière se heurte toutefois à plusieurs obstacles. En premier lieu, la production de véhicules utilitaires légers et de poids lourds « propres » est largement insuffisante pour couvrir les besoins des professionnels. Les délais de livraison sont excessivement longs (au minimum deux ans pour réceptionner un camion électrique) et semblent par conséquent incompatibles avec les calendriers de restriction de circulation imposés par les ZFE-m. Par ailleurs, la pandémie de la Covid-19 a occasionné une pénurie mondiale de semi-conducteurs auxquels l’industrie automobile recourt massivement. Au-delà même de ces problèmes logistiques, les acteurs privés sont également confrontés à des tarifs prohibitifs : un véhicule électrique coûte par exemple deux à trois fois plus cher qu’un modèle diesel équivalent (avec une charge utile inférieure).
Enfin se pose la question des énergies alternatives au gazole. La crise ukrainienne a bouleversé la donne. Les coûts des énergies explosent et bousculent les modèles économiques qui incitaient à une transition écologique rapide. Ce qui ne manque pas d’inquiéter nombre de transporteurs passés au gaz naturel pour véhicule. Autre corollaire, quid des stations d’avitaillement ? De nombreux professionnels hésitent à verdir leur flotte par manque de stations d’avitaillement sur leur territoire. Si les tarifs de l’énergie continuent à augmenter de manière exponentielle, les investissements dans les infrastructures risquent d’en pâtir.
Carte des ZFE et des EPCI engagés dans InTerLUD
Recours aux vélos et aux voies fluviales
L’une des solutions partielles à cette crise pourrait être le développement de la cyclologistique dans les hypercentres. À ce titre, l’année 2020 a été emblématique : les ventes de vélos-cargos électriques ont augmenté de 354 % pour atteindre le chiffre de 11 000, selon l’Union Sport & Cycle. On constate une réelle prise de conscience de l’impact environnemental des déplacements auprès du grand public mais également chez les professionnels, qui cherchent une solution alternative aux véhicules thermiques. Le programme V-Logistique, par exemple, a pour objectif d’accompagner les professionnels et leurs salariés vers une mobilité durable. Déployé depuis mai 2020, le programme a réalisé des actions de sensibilisation et mis à disposition gratuitement des vélos à assistance électrique (VAE) et des vélos-cargos à assistance électrique (VCAE) bi-porteur ou tri-porteur pour accompagner une grande diversité de professions (notamment les boulangers, les déménageurs, les artisans, etc.). Cette mise à disposition gratuite est conditionnée à la substitution du véhicule thermique par une solution de VAE ou VCAE dans le cadre de déplacements professionnels pour un nombre minimal de kilomètres effectués par semaine. Le programme V-Logistique a donné lieu à de nombreux partenariats, notamment avec la Fédération des fromagers de France et le Syndicat national des transporteurs légers (SNTL).
Autre alternative au transport routier, le transport fluvial permet d’allier barges et vélos-cargos ou véhicules propres. Ce mode de transport présente de nombreux atouts. Peu bruyant, il est économe en énergie (donc en émissions de CO2), son utilisation permettant de réduire la congestion sur la route et de limiter l’occupation de l’espace public. Encore très dépendant des énergies fossiles, il commence à relever le défi de la décarbonation. La logistique fluviale est une des solutions pour aller vers une logistique urbaine plus durable, et des projets innovants sont actuellement développés.
En juin 2021, Voies navigables de France a lancé un appel à projets en partenariat avec la ville de Lyon, la Métropole de Lyon et la Compagnie nationale du Rhône. L’objectif est de mettre en œuvre un service de logistique urbaine fluviale avec un post-acheminement terrestre en véhicules propres respectant la ZFE.
Le BTP et les déchets sont des secteurs d’activité générant des flux de transport importants, qui peuvent être massifiés et pour lesquels la logistique fluviale est une solution éprouvée et répandue.
En Île-de-France, les matériaux de carrières indispensables au développement de l’urbanisation sont en partie acheminés par la voie d’eau. Aujourd’hui, les approvisionnements de chantiers et même de plateformes de matériaux à destination de particuliers se font par la voie d’eau, qui transporte les granulats, le ciment, les aciers, des pièces préfabriquées et matériaux conditionnés sur palettes ou en big-bag. De son côté, la Métropole européenne de Lille a mis en place une logistique fluviale pour transporter des déchets ménagers qui sont valorisés par la méthanisation dans le centre de valorisation organique et par incinération dans un centre de valorisation énergétique.
Vers des chartes concertées de logistique urbaine durable
Dans le rapport de la mission LUD évoqué en début d’article, le programme InTerLUD (www.Interlud.Green) est directement cité comme l’une des réponses à la structuration de la méthode de travail de la logistique urbaine au sein des territoires. La mission d’accompagnement – qui est au cœur d’InTerLUD – répond au besoin de montée en compétences des acteurs publics et privés sur les enjeux complexes de la logistique urbaine.
Le facteur clé de la réussite des chartes de logistique urbaine durable portées par InTerLUD réside dans l’installation d’une concertation efficace avec les organisations professionnelles représentatives des secteurs d’activité concernés, qui, elles seules, peuvent s’engager au nom de tous et garantir l’égalité d’accès à toutes les entreprises adhérentes, quelle que soit leur taille. Rendu nécessaire par la complexité et la multitude des problématiques et donc des solutions, seul un travail collectif peut aboutir à des réponses cohérentes et adaptées aux situations locales.
Le programme InTerLUD actionne le levier de la concertation entre les acteurs publics et privés afin de mieux appréhender la dimension transversale de la logistique urbaine et la multiplicité de ses usages. Ensuite, l’accompagnement de ces différents acteurs dans le cadre des chartes LUD répond en partie à l’urgente nécessité de faire évoluer et de valoriser collectivement la filière logistique et ses métiers. Enfin, les partenaires du programme InTerLUD travaillent au quotidien à faire connaître les solutions qui concourent à une logistique urbaine durable telles que l’adaptation de la réglementation, la massification (dès lors que les conditions sont remplies) et l’optimisation des flux, la transition des flottes, un meilleur usage du foncier (friches, parkings, chantiers, etc.), l’intermodalité et toutes les mesures d’accompagnement du point de vue de la formation, du partage de bonnes pratiques et de solutions innovantes, et de la mise à disposition de services numériques.
À l’automne 2022, 43 EPCI (30 % de la population française) se sont engagés dans la démarche InTer-LUD, à laquelle la filière BTP apporte une importante contribution. Une dynamique qu’il s’agira de poursuivre et d’amplifier dans le cadre d’un renouvellement du programme InTerLUD.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2022-10/vers-une-logistique-urbaine-durable.html?item_id=7831
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