Marc-Olivier PADIS

Directeur des études de Terra Nova.

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Quelle « ville compacte » ?

La ville compacte veut concilier densité de la ville et qualité de la vie urbaine. Contre un étalement urbain mal géré et pour une optimisation des opportunités, la compacité veut préserver la nature et intensifier l’expérience urbaine. Sans aller à l’encontre des aspirations des ménages, il s’agit de réaliser des projets favorables à une urbanisation raisonnée, notamment dans les zones périurbaines.

Expression marketing il y a quelques années, la « ville compacte » est devenue un objectif à partager pour les acteurs du logement. De fait, entre-temps, la loi climat et résilience (2021) a inscrit l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans les textes 1. Le dilemme, renforcé par la crise de la Covid, est désormais clairement exposé : on ne peut plus faire grandir la ville par extension sur les rythmes qui prévalaient jusqu’à présent. Cependant, une forte densité urbaine présente aussi des inconvénients. C’est pourquoi il faut trouver un nouvel équilibre entre construction et consommation de l’espace. Par ailleurs, les ménages expriment des aspirations difficilement conciliables : limitation des mobilités contraintes, logements accessibles et ouverts sur la nature, proximité des services urbains, emplois de qualité. Au-delà de la formule, la ville compacte peut-elle symboliser le dépassement de ces contradictions ?

Densité, compacité

On a longtemps opposé la « ville dense » à l’étalement urbain. Qu’apporte donc de nouveau la notion de « compacité urbaine » ? La densité présente un ratio entre une quantité (nombre d’habitants, nombre d’emplois, de logements, etc.) et l’espace occupé, dont il existe de multiples variantes : densité de population, densité du bâti, densité résidentielle. Chiffre clé, la densité de construction, à travers le coefficient d’occupation des sols (COS), fixait le nombre de mètres carrés de surface de plancher pouvant être construits sur un terrain donné pour chaque mètre carré de terrain.

Si elle permet de donner des chiffres et, par conséquent, de faciliter des comparaisons (entre quartiers, entre villes), la densité présente la simplicité trompeuse de la description par les chiffres. Or ceux-ci ne suffisent pas à objectiver l’ensemble d’une situation. La densité est en partie situationnelle : un habitant d’un quartier haussmannien peut avoir le sentiment de vivre dans un quartier plus agréable qu’un habitant d’un grand ensemble, où la densité bâtie est pourtant objectivement plus faible. La densité est donc, en partie, une affaire de ressenti. Elle est fonction de l’entretien des bâtiments, du verdissement du contexte, du niveau sonore, de la qualité des espaces publics et des voies de circulation, de la facilité des déplacements. Il n’existe donc pas un « nombre d’or » de la densité. Rien ne serait plus faux que de donner l’impression qu’un objectif moyen de densité présenterait la solution du bon aménagement urbain.

La ville compacte prend acte des limites d’un raisonnement en termes de « densité » et tient compte d’une expérience urbaine à dimensions multiples. Plus précisément, la compacité rend compte de l’interaction de trois dimensions intégrées de la ville : son attractivité économique, l’intensité de ses modes de vie et sa mixité 2. La rencontre de ces trois caractéristiques présente des effets positifs : atouts pour l’emploi et la productivité, accessibilité des services publics et des loisirs, qualité de vie… à condition que les transports soient bien gérés et que les logements restent accessibles aux nouveaux résidents. On parle d’« effet d’agglomération » pour expliquer la plus-value urbaine de l’innovation et de la créativité liées aux contacts informels qu’elle permet, la proximité avec les centres de décision administratifs et économiques, l’insertion dans les échanges internationaux et les réseaux métropolitains. La ville compacte présente également des avantages en matière de lutte contre les inégalités parce qu’elle facilite l’accès aux services publics et la lutte contre l’exclusion. Une politique urbaine attentive aux inégalités doit cependant limiter les effets d’enrichissement patrimonial des ménages propriétaires en évitant, notamment, de figer les situations acquises en matière de logement.

L’étalement urbain représente un coût collectif important. Si le prix des terrains est plus faible et la construction est moins onéreuse pour le promoteur sur un terrain dégagé en périphérie de ville que dans une « dent creuse » en zone dense, les coûts de raccordement sont supportés par la collectivité. En zone dense, les équipements collectifs sont plus facilement rentabilisés, et leur entretien, plus facile 3.

Pour toutes ces raisons, le développement urbain compact apparaît souhaitable aux pouvoirs publics en matière d’aménagement du territoire. Il est néanmoins largement l’effet de dynamiques autonomes, indépendantes des choix d’aménagement public, liés aux acteurs économiques, aux choix résidentiels des ménages, etc. Le défi des politiques publiques est de savoir comment orienter, accompagner ou corriger ce mouvement urbain (qui n’a rien de spécifique à la France).

Contre l’étalement et l’artificialisation

Reste à savoir en quoi ces caractéristiques de la ville compacte peuvent aider à inscrire la ville dans les grands objectifs de la transition environnementale et climatique. La ville compacte est sans doute plus créative et plus mixte que la ville étalée, mais est-elle plus vertueuse d’un point de vue environnemental ? Voilà désormais le cœur du débat.

Il faut d’abord revenir sur le processus d’artificialisation. De quoi parle-t-on ? L’artificialisation désigne le mouvement par lequel des sols changent de destination, et ne sont plus consacrés aux usages agricoles ou forestiers ou ne sont plus laissés à leur état naturel (friches, prairies naturelles, zones humides). Les inconvénients environnementaux de l’artificialisation sont connus : risques pour la biodiversité et la qualité des sols, risques de pollutions et d’inondations, etc. En outre, les sols contribuent à la lutte contre l’effet de serre quand ils peuvent absorber du CO2 (puits de carbone).

En France, le rythme d’artificialisation est particulièrement élevé. Cela n’est pas seulement dû à une démographie dynamique qui entraîne une forte demande de logements. En effet, si l’on observe les territoires où la construction de logements grignote les espaces naturels, on se rend compte qu’il ne s’agit pas toujours des territoires où la croissance démographique est forte. Depuis 1993, le rythme d’artificialisation est plus élevé que la croissance de la population 4.

Entre 1982 et 2021, 60 000 hectares auraient été artificialisés chaque année, une croissance de 72 %, quand la population n’augmentait que de 20 % 5. L’étalement urbain ne s’explique pas systématiquement par les tensions du marché du logement. Des villes où des logements restent disponibles et accessibles en centre-ville connaissent néanmoins une extension périurbaine. Cela signifie que les logements de centre-ville ne sont pas adaptés aux demandes des ménages et que les constructions périurbaines répondent mieux à leurs aspirations. En d’autres termes, c’est une question de style de vie plus que de besoin de logements. Conséquence : il ne faut inférer aucune contradiction entre la croissance de la population et la limitation de l’étalement ou, dit autrement, entre construction et sobriété foncière. Mais il faut trouver un mode de développement de la ville compatible avec nos ambitions écologiques. Comment accueillir de nouveaux habitants dans une ville qui se développe sans s’étaler ?

Pour une densité heureuse

Quelles sont les pistes pour donner quelque consistance à ce programme ? Il faut tout d’abord remarquer qu’on parle, avec le sigle ZAN, de zéro artificialisation nette, ce qui ouvre la perspective de stratégies de compensation « étalement contre renaturation ». De quoi s’agit-il ? On peut imaginer équilibrer une opération de construction impliquant une artificialisation par une opération symétrique de retour de zones construites à de la pleine terre.

Mais en quoi consiste la renaturation ? Suffit-il de désimperméabiliser des sols ? De végétaliser des paysages ? L’équation peut avoir un sens au niveau global (à l’échelle d’un département, d’une région, voire à l’échelle nationale) tout en étant difficile à expliquer aux habitants qui auront le sentiment de voir leur espace proche suroccupé. À nouveau, la densité est en partie une question de perception. Mais un équilibrage suppose aussi une capacité de négocier politiquement, entre communes, les espaces à préserver et ceux qui restent à urbaniser. On sait déjà, depuis le vote de la loi de 2021, que des discussions, parfois difficiles, ont commencé sur la répartition des efforts, en suivant parfois davantage des rapports de force politiques locaux que des logiques d’aménagement.

Deux priorités apparaissent en matière d’aménagement. Dans la ville dense, tout d’abord, il faut préserver l’attractivité, alors qu’une tendance à l’« exode urbain » s’est affirmée depuis les confinements liés à la Covid. Comme le montrent les programmes de requalification des centres urbains (Action cœur de ville, actions de la Caisse des dépôts), beaucoup de petites ou moyennes villes qui se développent actuellement par la périphérie pourraient faire revenir des habitants dans leurs centres. Pour cela, il faut paradoxalement… ne pas densifier mais offrir des espaces publics, améliorer les circulations, ralentir le rythme urbain et favoriser des usages alternés et partagés des mêmes espaces (chrono-aménagement), créer des îlots de fraîcheur, rendre la ville aux habitants, y compris en leur donnant la parole sur les projets d’aménagement. Pour des populations jeunes tentées par le modèle pavillonnaire, il faut offrir des lieux collectifs de qualité (aires de jeux pour les enfants, lieux de sociabilité, nature en ville, etc.). Pour des populations âgées qui risquent l’isolement, c’est la qualité des services (de soins, d’accompagnement) et leur proximité qui sont décisives. Il faut donc développer un urbanisme de la « densité heureuse », qui ne peut être qu’une densité apaisée et participative.

Innover dans et pour le périurbain

Dans les espaces périurbains peu denses, un autre enjeu d’aménagement apparaît. Tout d’abord, ce sont dans ces zones déjà urbanisées qu’apparaît le plus grand potentiel de développement compatible avec l’objectif de « zéro artificialisation », notamment grâce au repérage systématique des friches. D’autre part, ces zones présentent souvent un tissu pavillonnaire qu’il est possible de préserver en favorisant des opérations de « micropromotion ». De quoi s’agit-il ? Au lieu d’essayer de réunir plusieurs parcelles pour remplacer des pavillons individuels par des immeubles collectifs, l’idée de la micropromotion est d’accompagner des ménages propriétaires dans la transformation de leur logement en fonction de leurs besoins 6.

Il faut relever, par exemple, que les 1,4 million de petits propriétaires franciliens sont en majorité âgés de 55 ans et que plus de 50 % des maisons sont aujourd’hui occupées par seulement une à deux personnes. Alors que l’Île-de-France présente en moyenne une densité de population élevée, le nombre d’habitants par logement est étonnamment bas. De nombreux ménages arrivés à la retraite et dont les enfants ont quitté le logement familial sont en situation de transformer leur habitat. Il est fréquent que les droits à construire n’aient pas été entièrement utilisés sur leur parcelle. Plusieurs types d’intervention sont alors possibles : division de la parcelle permettant une construction nouvelle, construction d’annexes, surélévation, extension ou restructuration des pavillons existants. Sans commencer à surréglementer ce type d’opérations, on peut chercher à les encourager pour créer des logements étudiants (chez l’habitant, mais avec une entrée autonome) ou des logements pour jeunes salariés, jeunes ménages, ou encore du logement intergénérationnel en aménageant les espaces en fonction des contraintes du grand âge.

Les ménages qui s’engagent dans une opération de ce type y gagnent un complément de revenu via les nouveaux loyers perçus ou la vente du bien créé. Ils font en outre des économies sur l’entretien de leur patrimoine, désormais mieux adapté, et peuvent financer la rénovation énergétique de leur bien. Le coût de l’opération est finançable, puisque l’absence de transaction foncière liée à l’achat du terrain en lui-même permet une économie de 30 % à 50 % par rapport à une opération immobilière classique. Au-delà des initiatives qui existent déjà, les pouvoirs publics devraient donc soutenir ce mouvement, qui peut répondre, en partie, aux besoins de construction et aux nécessités de soutien du pouvoir d’achat des ménages.

Pour décrire un modèle alternatif à l’étalement urbain, on parle souvent de « refaire la ville sur la ville ». L’expression est en partie trompeuse. Tout d’abord parce qu’il ne s’agit pas de densifier encore davantage la ville dense. Au contraire, l’idéal de compacité urbaine, qui inclut l’attractivité urbaine, suppose de « dédensifier » les centres pour qu’ils soient plus accueillants aux jeunes enfants, aux personnes âgées, mieux adaptés à tous les usages nouveaux de la ville dans le partage (coworking, coliving, etc.), les rythmes différenciés et des temps désynchronisés 7. Ensuite parce que le principal gisement de densification se trouve en réalité dans les espaces périurbains. Ce ne sont pas de grandes parcelles qui sont disponibles mais une multitude de petits terrains, souvent privés, qui sont sous-occupés. Ils peuvent faire l’objet de projets de rénovation et de densification au profit des ménages auxquels ils appartiennent et qui ont à faire face, en raison du vieillissement et de l’adaptation au changement climatique, à des frais d’aménagement importants dans les années qui viennent.

Au lieu de constituer une interdiction et un frein à l’aménagement, l’impératif de zéro artificialisation nette doit être vu comme une opportunité pour développer des projets d’urbanisme et d’habitat adaptés aux aspirations nouvelles des ménages et à leurs contraintes.


  1. L’objectif national consiste en un rythme d’artificialisation, d’ici à 2031, de moitié inférieur à celui des dix années précédentes. Mais les déclinaisons locales pourront varier significativement.
  2. Voir, à cet égard, les travaux de l’OCDE, notamment les comparaisons internationales sur le développement urbain, par exemple dans le rapport Compact City Policies. A Comparative Assessment (2012). www.oecd.org/greengrowth/greening-cities-regions/compact-city.htm.
  3. Marie-Laure Breuillé, Camille Grivault, Julie Le Gallo, Renaud Le Goix, « Impact de la densification sur les coûts des infrastructures et services publics », Revue économique, 2019, vol. 70, no 3, pp. 345-373.
  4. Voir le rapport de l’Ademe, Faire la ville dense, durable et désirable. Agir sur les formes urbaines pour répondre aux enjeux de l’étalement urbain, février 2018, https://librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/2180-faire-la-ville-dense-durable-et-desirable-9791029708732.html.
  5. Voir le rapport de France Stratégie, Objectif « zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ?, juillet 2019, www.strategie.gouv.fr/publications/objectif-zeroartificialisation-nette-leviers-proteger-sols.
  6. Voir la note Terra Nova, par Lily Munson, « Comment le petit propriétaire d’un pavillon de banlieue peut résoudre la crise du logement » (14 mars 2022). https://tnova.fr/economie-social/logement-politique-de-la-ville/comment-le-petit-proprietaire-dun-pavillon-de-banlieue-peut-resoudre-la-crise-du-logement/.
  7. Marc-Olivier Padis, « Au rythme de la métropole. Mieux vivre dans la ville dense », note Terra Nova (11 septembre 2019). https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/au-rythme-de-la-metropole-mieux-vivre-dans-la-ville-dense/. Voir, plus largement, Marc-Olivier Padis, Hadrien Bajolle, Philippe Clergeau, Richard Trapitzine et le groupe « ville » de Terra Nova, « La Ville compacte », note Terra Nova (2 février 2022) https://tnova.fr/economie-social/logement-politique-de-la-ville/la-ville-compacte/.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2022-10/quelle-« ville-compacte ».html?item_id=7835
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