François CUSIN

Professeur d’aménagement et urbanisme à l’université Paris-Dauphine-PSL.

Partage

Qualités de la ville, attractivité et marketing urbain

Le marketing urbain a connu un essor rapide durant les dernières décennies. Il vise à mettre en valeur les qualités de la ville. L’accent est mis sur la construction d’une image de marque, la réalisation de projets urbains marquants et l’organisation d’événements à fort rayonnement. Certaines villes se sont ainsi transformées de manière spectaculaire. Mais les politiques d’attractivité ne sont pas une solution miracle pour résoudre les problèmes urbains. Elles peuvent même les aggraver.

Les villes sont confrontées à une concurrence interurbaine croissante. Dans le même temps, les États ont revu à la baisse leurs interventions directes dans les politiques urbaines. La décentralisation a renforcé l’autonomie des villes. La désindustrialisation les a incitées à se transformer. Dans ce contexte, depuis la fin des années 1970, les villes ont progressivement opéré un tournant entrepreneurial. Au registre classique de la compétitivité s’est ajouté celui de l’attractivité 1. Dans un monde où les capitaux, les entreprises, la main-d’œuvre et les consommateurs deviennent plus mobiles, les villes déploient des efforts croissants pour tenter de capter ces flux. Pour ce faire, elles recourent de plus en plus aux stratégies de marketing territorial. Afin d’attirer des investissements, des entreprises, des touristes et la classe créative chère à Richard Florida 2, les villes doivent mettre en valeur des qualités. Le marketing urbain va de pair avec la promotion des villes à travers des plans de communication. Mais il ne se réduit pas à cela. Il engage de nouveaux modes de gestion urbaine, des formes renouvelées de planification urbaine (désormais qualifiée de « stratégique »), une manière de concevoir des projets de développement qui visent à satisfaire les attentes de clientèles ciblées et à assurer le rayonnement de la ville.

L’image de marque comme première qualité de la ville

La ville est par essence un lieu de création de valeur. Dans un univers concurrentiel, la première valeur qu’elle doit promouvoir, c’est la sienne. En s’inspirant du marketing des entreprises, les villes ont créé leurs propres marques et se sont lancées dans des campagnes de promotion en produisant des slogans accrocheurs. La pionnière en la matière a été New York, avec son célèbre slogan « I ♥ New York », créé dans le cadre d’une campagne publicitaire dans les années 1970, alors que la ville est en situation de quasi-faillite et que son image est sérieusement écornée. D’autres villes ont suivi, comme Boston ou Glasgow, pour marquer leur tournant postindustriel. En France, Georges Frêche a lancé, en 1985, une opération de promotion en direction des entreprises technologiques et des actifs qualifiés, avec le slogan « Montpellier la surdouée ». La plupart des villes ont opéré ce tournant marketing, en particulier les villes industrielles en déclin qui cherchent à gommer les représentations négatives associées à leur territoire. Les grandes métropoles ne sont pas en reste. La ville de Londres, avec son logo créé en 2008, s’est positionnée en tant que ville globale attractive pour les entreprises et les investisseurs.

La stratégie de marque, ou city branding, vise à positionner la ville au sein de la concurrence interurbaine et à lui octroyer une image valorisante tout en la différenciant de ses concurrentes. Les villes se sont entourées de cabinets de conseil et ont diversifié les canaux utilisés pour promouvoir leur marque et vanter leurs qualités : outre les publicités dans les médias traditionnels, brochures, magazines de promotion, vidéos, sites Internet, réseaux sociaux sont utilisés pour tenter de séduire les « acheteurs » potentiels des lieux.

L’image de marque peut être améliorée grâce à des stratégies de labellisation. Les villes cherchent, par exemple, à faire labelliser leurs clusters innovants. En France, le label « pôle de compétitivité » est octroyé par l’État. Son obtention est synonyme de financements et d’un rayonnement accru. Plus sélectif, le label French Tech a été créé pour valoriser les villes dotées d’un écosystème de start-up. L’objectif est d’attirer les entrepreneurs et les investisseurs et de transformer les start-up en championnes mondiales. La promotion de la ville durable offre, elle aussi, la possibilité de se démarquer des concurrents. Les villes se sont lancées dans la création d’écoquartiers, la promotion des mobilités douces, la végétalisation urbaine, les circuits courts et l’alimentation durable, etc., au sein de larges programmes mis en exergue dans les plans climat et l’Agenda 21. L’attribution d’un label par des organismes indépendants ou par les pouvoirs publics peut venir couronner cet effort. Car l’important, à l’ère du marketing urbain, n’est pas seulement de faire, mais de faire savoir. La métropole de Nantes a, par exemple, été élue en 2013 Capitale verte de l’Europe par la Commission européenne. Mais la récompense la plus prestigieuse est celle décernée par l’Unesco avec l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité. La concurrence entre les pays et les villes pour l’obtention de ce précieux label est particulièrement forte. Pour des villes moyennes initialement peu attractives, l’enjeu est important, car le label Unesco ouvre de nouveaux horizons pour ce qui est du développement local. Le Havre (2005) ou Albi (2010) ont ainsi pu gagner en attractivité touristique. Ce label permet en outre de construire de la fierté locale (pride building), facteur d’attachement au territoire et de mobilisation des habitants et des acteurs économiques.

Mégaprojets et architecture iconique

Le marketing ne suffit pas. La (re)création de l’image d’un lieu s’accompagne d’investissements, souvent très lourds. Derrière les mots et les images, un changement physique de la ville est considéré comme nécessaire pour accroître son rayonnement. Toutes les villes se sont engagées dans de grands projets urbains. Tout d’abord, il n’est plus question de faire table rase de la ville ancienne. Au contraire, la patrimonialisation de la ville est devenue la règle. Les quartiers centraux anciens, souvent dégradés, ont été réhabilités pour attirer gentrifieurs et touristes. À New York, à partir des années 1970, le quartier de Soho, d’abord promis à la démolition, a été transformé en district artistique. Puis, avec l’arrivée d’une clientèle très aisée, il s’est transformé en quartier haut de gamme. La promotion de la vie nocturne, avec ses restaurants, ses bars, ses cafés et ses boîtes de nuit, fait également partie des stratégies de revalorisation des lieux.

Mais la réinvention de la ville à travers l’urbanisme ne se limite pas au patrimoine ancien. Les mégaprojets urbains se sont multipliés un peu partout, généralement en lieu et place d’anciennes friches industrielles et logistiques. L’un des exemples les plus parlants est le projet Canary Wharf à Londres. Il a permis d’étendre le district financier et de renforcer la centralité financière de Londres. Les mégaprojets permettent la création de bureaux, l’implantation de logements haut de gamme, de centres commerciaux, d’hôtels et d’équipements de loisirs. Nombre d’entre eux s’accompagnent d’un flagship, c’est-à-dire d’une réalisation architecturale conçue par un « starchitecte » et destinée à marquer le territoire, à impressionner et à assurer ainsi le rayonnement international de la ville. L’architecture a sans doute toujours été un outil privilégié du marketing urbain. Mais, plus que jamais, elle est la preuve tangible de la qualité du lieu, de sa dimension créative. Le cas le plus célèbre est le musée Guggenheim de Bilbao, conçu par Frank Gehry. Ville industrielle en déclin, Bilbao a connu un essor spectaculaire du nombre de touristes à partir de 1997, année d’ouverture du musée. À tel point que l’on parle désormais de l’« effet Bilbao ». Beaucoup de villes ont recherché cet effet en implantant sur leur territoire un grand équipement culturel signé par un architecte de renommée mondiale, mais souvent avec moins de succès. Quoi qu’il en soit, la culture est désormais utilisée comme un moteur du développement urbain et comme le témoignage du tournant postindustriel des villes.

Au-delà de l’architecture iconique, les stratégies de développement urbain mettent l’accent sur la consommation. La ville est un lieu où l’on consomme des biens et des services. Mais la ville est aussi un lieu que l’on consomme. Le travail des ambiances urbaines est donc au cœur du marketing urbain. On parle désormais de marketing « expérientiel ». Il s’agit de réenchanter la ville à travers les expériences urbaines. La conception des espaces urbains s’oriente en fonction des publics ciblés. Elle tend souvent à maintenir à distance les populations que l’on ne souhaite pas attirer (classes populaires, SDF). Cela passe par une offre commerciale conçue en direction des clients disposant d’un certain pouvoir d’achat ou par la conception des espaces publics reposant sur un urbanisme « préventif », dissuadant notamment le stationnement sur place de personnes considérées comme indésirables.

Un autre trait marquant résulte de la recherche de mixité fonctionnelle. À l’opposé de l’urbanisme fonctionnaliste des années 1950-1960, les projets urbains hybrident les différentes fonctions urbaines. L’objectif est de favoriser une animation continue des quartiers, contrairement aux quartiers monofonctionnels de la période précédente. Les investisseurs financiers tablent d’autant plus sur la mixité des fonctions que celle-ci permet de combiner des activités obéissant à des cycles différents. Si la location des bureaux fléchit, le centre commercial, les parkings ou l’hôtel de luxe stabiliseront les loyers. En outre, les centres multifonctionnels ont un pouvoir d’attraction plus grand que les centres spécialisés.

La ville est une fête

Les stratégies événementielles occupent une place importante au sein du marketing urbain. Les grands événements permettent de mobiliser les habitants, d’attirer des visiteurs et de faire rayonner la ville. Ils sont aussi appréhendés par les élus locaux comme un catalyseur des dynamiques urbaines. Les événements organisés sont généralement le moyen de légitimer de nouveaux investissements dans des projets urbains. Ils sont par ailleurs vecteurs de fierté locale pour les habitants.

La culture est en première ligne pour améliorer l’image de marque des villes et générer du développement urbain. Les stratégies événementielles à rayonnement international ne sont pas l’apanage des grandes villes. Carhaix, commune de 7 000 habitants, est devenue célèbre à partir de la fin des années 1990 avec son festival des Vieilles Charrues. On peut également citer les Eurockéennes de Belfort, les Francofolies de La Rochelle, le Printemps de Bourges, le Hellfest de Clisson, Jazz in Marciac. Dans un autre registre, Angoulême s’est, quant à elle, rendue célèbre grâce à son festival de la BD. La BD s’invite même durablement dans le paysage urbain grâce à la réalisation de nombreuses fresques monumentales en trompe-l’œil sur certaines façades. À Lyon, la fête des Lumières, initialement une fête en l’honneur de la Vierge Marie, a été transformée en spectacle lumineux à forte innovation technologique. Elle réunit chaque année trois millions de visiteurs sur quatre jours. À Nantes, l’investissement dans les événements culturels est devenu la marque de fabrique de sa politique d’attractivité (Folle Journée de Nantes, biennale d’art contemporain Estuaire Nantes Saint-Nazaire, mises en scène de la compagnie Royal de luxe, les Machines de l’île). Marseille a, quant à elle, bénéficié de son statut de capitale européenne de la culture en 2013. La ville, qui souffre d’une mauvaise image, a saisi l’occasion pour produire un récit mettant en scène son rôle historique de trait d’union entre les deux rives de la Méditerranée.

Si la promotion territoriale par la culture est devenue un leitmotiv du marketing urbain, le sport n’est pas en reste. Plus que la « haute culture », il a le pouvoir de rassembler une très large population. Les villes se livrent une concurrence acharnée pour accueillir des Jeux olympiques, la Coupe du monde de football ou de rugby. Elles déploient des efforts – mais aussi des budgets – considérables pour que la fête soit réussie. À travers l’organisation de ces événements, les villes cherchent à bénéficier d’un prestige politique et de retombées économiques. En outre, ces événements jouent le rôle d’accélérateur du changement du territoire. Ils permettent de faire converger dans un temps très court d’importantes ressources, publiques et privées, afin de financer des sites sportifs, mais aussi des infrastructures de transport, des équipements publics, des logements, etc. Les Jeux olympiques de Barcelone sont devenus un modèle envié par tous. Ils ont créé une véritable dynamique associant les acteurs économiques et les habitants. La vocation touristique de la ville a été renforcée, notamment à travers la réhabilitation de la vieille ville, la rénovation du front de mer, la réalisation de bâtiments et l’amélioration des transports collectifs.

Dans l’ombre de la ville marketée : les problèmes urbains

La ville marketée fait l’objet de critiques. Les projets urbains pharaoniques sont souvent accusés d’être très dispendieux pour les finances publiques et risqués pour les autorités locales. L’exemple le plus parlant est celui de l’Espagne, durement touchée par les effets de la crise des subprimes. Des villes conçues pour les retraités n’ont pas eu le succès escompté et sont devenues des villes fantômes. Des équipements publics surdimensionnés ont durablement grevé les finances locales. Les opposants aux projets iconiques de type flagship dénoncent le gaspillage de l’argent public dans un contexte de rigueur budgétaire. Quant aux grands événements, de type Jeux olympiques ou autres, ils ne s’accompagnent pas toujours de l’effet « de ruissellement » recherché. Les villes de Montréal ou d’Athènes en ont fait la difficile expérience. En devenant plus attractives, les villes sont par ailleurs de plus en plus confrontées aux externalités négatives de cette même attractivité (congestion, pollution, problèmes de propreté et de sécurité, renchérissement de l’immobilier), d’où une dégradation des conditions de vie.

L’entrepreneurialisme urbain est accusé de provoquer un développement inégal des espaces urbains en privilégiant l’investissement dans des sites à valoriser plutôt que dans les espaces paupérisés, alors que les anciennes politiques de planification urbaine cherchaient à équiper l’ensemble d’un territoire, sur le long terme. La transformation des villes, et principalement des centres des grandes métropoles, ne doit pas occulter que ces centres rassemblent une part importante des pauvres. Certes, les grands projets urbains et les politiques de gentrification tendent à réduire la pauvreté, mais en la déplaçant plutôt qu’en l’éradiquant.

La question de l’implication des habitants est également soulevée. Il existe des exemples vertueux, comme celui de Barcelone, qui a opéré sa mue en faisant participer les habitants à travers les associations de quartier. Mais cette participation est allée en déclinant à partir des années 1990, à mesure que la ville cherchait à être plus compétitive. Ailleurs, la participation reste souvent embryonnaire. Et les habitants font de plus en plus entendre leur voix en se mobilisant contre les projets urbains à travers des contentieux.

Le marketing urbain a profondément modifié les représentations de la ville et les manières d’agir sur elle. Dans bien des cas, il a permis une transition vers une économie postindustrielle tout en améliorant et en mettant en valeur les qualités de la ville. Des centres en déclin ont retrouvé le chemin de la croissance économique et démographique. Des espaces urbains en friche ou dépréciés ont été requalifiés. Mais le défi qui reste à relever est celui de la qualité de toute la ville. À côté des politiques d’attractivité, les politiques du logement, des transports, ou encore les politiques environnementales et sociales, nationales et locales, ont toute leur place pour relever ce défi.


  1. Sur l’attractivité, voir François Cusin, Julien Damon, « Les villes face aux défis de l’attractivité », Futuribles, no 367, 2010, pp. 25-45.
  2. Voir, entre autres, Richard Florida, Who’s Your City ? How the Creative Economy is Making Where to Live the Most Important Decision of Your Life, New York, Basic Books, 2008.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2022-10/qualites-de-la-ville-attractivite-et-marketing-urbain.html?item_id=7824
© Constructif
Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article