est président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).
Protégeons les terres agricoles !
En un demi-siècle, nous avons consommé plus de terres agricoles qu'au cours de toute notre histoire. Si rien n'est fait, sur la dynamique actuelle, plus de 3 millions d'hectares supplémentaires devraient être perdus d'ici à 2050, amputant les capacités productives de l'agriculture de 11 % de ses surfaces.
Par nature, les questions touchant à la consommation des terres agricoles ont toujours été au coeur des préoccupations de la FNSEA, mais, dans le contexte actuel d'accroissement des pressions sur le foncier, ce dossier est devenu une priorité syndicale. Les chiffres sont particulièrement éloquents, et il est parfois bon de les rappeler pour comprendre l'ampleur du phénomène. En effet, alors que la consommation foncière annuelle n'excédait pas 40 000 hectares dans les années 1960, entre 2006 et 2010, elle s'est établie en moyenne à 78 000 hectares. Dans le même temps, les surfaces urbanisées doublaient en passant de 2,5 à 5 millions d'hectares, captant au passage les meilleures terres arables de l'Hexagone.
Face aux défis alimentaires, énergétiques, climatiques, sociaux et économiques auxquels la France va devoir répondre dans les années à venir, inutile de dire qu'un tel gaspillage est déraisonnable. N'oublions pas que l'agriculture, outre sa capacité à produire et à assurer notre sécurité alimentaire, joue un rôle essentiel dans le stockage du carbone, dans la production de biomasse ou encore dans la préservation de la biodiversité et du patrimoine de nos territoires. Le monde agricole, à l'image du BTP, fait aussi partie des secteurs fortement pourvoyeurs d'emplois. De son amont à son aval, en y ajoutant les services directement attachés, la filière agricole représente près de 15 % des actifs de notre pays. Le foncier agricole est une ressource naturelle non renouvelable, nous devons le gérer de manière plus rationnelle, aujourd'hui encore plus qu'hier.
Une action de sensibilisation
Certains de nos voisins européens n'ont d'ailleurs pas attendu pour réagir. En mai 2012, le ministère de l'Agriculture avait publié une étude à ce sujet. On pouvait ainsi y lire que la Flandre définit des règles de densité minimale, et le Land du Bade-Wurtemberg, dans la même optique, débloquait 2 millions d'euros pour 2010 et 2011 afin d'inciter les communes à réhabiliter les centres urbains1.
Dans ce contexte, la FNSEA s'est engagée dans un travail de sensibilisation des pouvoirs publics et, plus globalement, de la société civile dans son ensemble. Dès 2008, nous avons affiché un objectif de diminution de moitié de la consommation annuelle des espaces agricoles en France d'ici 2015. Cette action commence à porter ses fruits, qu'il s'agisse de la loi Grenelle II, de la loi de modernisation de l'agriculture ou, plus récemment encore, de la conférence environnementale. Nous avons été satisfaits de constater que nos revendications pour une meilleure protection du foncier agricole ont été prises en compte. En outre, nous avons quelques raisons d'espérer lorsque nous constatons que le gouvernement, par l'intermédiaire de sa ministre de l'Égalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot2, place au coeur de sa feuille de route la lutte contre l'étalement urbain et l'artificialisation des terres agricoles.
Dans toute chose, il faut de la mesure : la FNSEA ne s'oppose pas au développement économique des territoires, mais défend une autre approche des espaces urbains et périurbains, plus économe en foncier et ne laissant pas toute latitude à une urbanisation intéressée, désorganisée, sans vision d'ensemble pour l'avenir. Sur ce dossier, notre travail pourrait se résumer en trois axes forts.
Trois axes prioritaires
Tout d'abord, lutter contre l'étalement urbain. Cela passe entre autres par la réduction de l'horizontalité des zones commerciales en périphérie des villes ou par l'optimisation des espaces urbains délaissés tels que les friches industrielles ou la rénovation des espaces en centres-villes. Nous plaidons aussi pour la prise en compte de la dimension intercommunale dans l'élaboration des plans locaux d'urbanisme (PLU), car c'est à ce niveau que se réalisent les activités quotidiennes : habitat, travail, services, loisirs, ainsi que l'essentiel des déplacements. Sur ce dernier point, il convient de mieux articuler les politiques d'urbanisme et de mobilité à l'échelle du bassin de vie, en construisant ou en densifiant en priorité les terrains proches des dessertes en transports collectifs.
Dans un deuxième temps, la FNSEA souhaite que la profession agricole soit plus systématiquement associée à l'élaboration des projets d'urbanisme, et notamment à celle des schémas de cohérence territoriaux (Scot), qui déterminent à l'échelle locale les logiques d'aménagement des territoires. À ce titre, les mesures contenues dans le projet de loi Duflot visant à assurer la couverture totale du territoire par les Scot nous paraissent aller dans le sens défendu par la profession agricole. Scot et PLU devraient permettre de présenter une analyse plus fine de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers, et de définir des objectifs chiffrés de consommation foncière économe. Parallèlement, il convient, à partir de l'Observatoire national de la consommation des espaces agricoles, de créer des observatoires régionaux du foncier pour connaître la consommation d'espaces et leur disponibilité près des centralités et des dessertes de transports collectifs.
Enfin, l'artificialisation n'est pas la seule consommatrice de terres agricoles. La loi Grenelle a mis en avant la compensation écologique obligeant les maîtres d'ouvrage à restaurer les milieux naturels touchés par leurs travaux. Trop souvent, par souci de simplification, ceux-ci acquièrent du foncier pour le sanctuariser. Les agriculteurs subissent ainsi une double peine (prélèvements fonciers pour l'emprise et pour la restauration écologique). À la FNSEA, nous travaillons à la construction d'un partenariat intelligent agriculture-environnement pour concilier ces deux objectifs, notamment par une contractualisation de mesures agroenvironnementales.
Parallèlement au travail conduit sur la compensation environnementale, la FNSEA se bat pour faire reconnaître la compensation agricole. Il s'agit de prendre en compte la perte de potentiel économique pour l'agriculture du territoire concerné par l'infrastructure, au même titre que les impacts environnementaux, ainsi que la perte des écosystèmes liée aux terres agricoles artificialisées. Concrètement, chaque hectare consommé doit être compensé par un hectare de terre agricole. À défaut, le maître de l'ouvrage doit supporter financièrement la reconstitution du potentiel économique perdu pour le territoire.
Un engagement de long terme
La FNSEA est donc engagée dans un processus de long terme, et elle entend poursuivre son investissement sur ce dossier dans les prochaines années. La future loi d'avenir pour l'agriculture, prévue pour fin 2013, sera une nouvelle occasion de faire valoir les demandes évoquées précédemment pour une meilleure protection du foncier agricole.
Tous les acteurs qui connaissent ce dossier de près ou de loin savent qu'il y a aujourd'hui urgence à agir pour préserver l'avenir de notre agriculture. Pour cela, il faut sortir d'un certain cadre d'analyse manichéen. Arrêtons d'opposer systématiquement les villes aux campagnes, car si demain nos espaces ruraux dépérissent, les citadins seront les premiers à en payer les conséquences. Les frontières entre villes et campagnes sont d'ailleurs de plus en plus poreuses. Ainsi, la FNSEA tente de promouvoir une vision d'équilibre, de conciliation, avec pour objectif un respect mutuel de tous les territoires et un meilleur vivre-ensemble.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-6/protegeons-les-terres-agricoles.html?item_id=3337
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