Florence CHÉREL

Avocat, Herbert Smith Freehills Paris LLP.

Lucie ODENT

Avocat, Herbert Smith Freehills Paris LLP.

Partage

De nombreux obstacles juridiques

Multiplicité et lenteur de procédures complexes dès la phase préparatoire d'un projet, superposition de règles et principes divers mais aussi insécurité liée à l'annulation éventuelle des autorisations administratives et à la multiplication des recours : le chemin de la densification est semé d'embûches.

Densifier les villes signifie nécessairement aménager ou construire davantage. Partant, des autorisations administratives sont nécessaires à la réalisation de ces projets vecteurs de densité urbaine. Au plan juridique, de nombreuses contraintes constituent autant d'obstacles à l'acte de construire ou à l'aménagement foncier, en raison de la complexité du droit et de la longueur des procédures, préalablement à la délivrance des autorisations administratives, voire après leur obtention.

Complexité

La réalisation d'une opération de construction ou d'aménagement foncier nécessite la délivrance d'une grande diversité d'autorisations préalables.
Si les autorisations d'urbanisme (permis de démolir, permis de construire, permis d'aménager) sont évidemment les plus connues de ces autorisations préalables aux travaux, il n'en demeure pas moins que le projet sera le plus souvent conditionné à l'obtention d'autres autorisations administratives, exigées en raison de ses caractéristiques ou de sa localisation. Il est possible de citer, sans être évidemment exhaustif, les autorisations :

  • du code de l'environnement : autorisations « loi sur l'eau », autorisation de travaux en site inscrit
  • du code du patrimoine : archéologie préventive
  • du code forestier : autorisation de défrichement
  • du code de commerce : autorisation préalable à l'implantation de commerce délivrée par la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC)
  • du code de la construction et de l'habitation, du code de l'aviation civile...

Bien que le code de l'urbanisme prévoie une coordination des procédures (permis de construire valant pour une autre autorisation ou dispensant du respect d'autres formalités), celle-ci apparaît encore bien imparfaite, le système étant encore empreint d'une grande complexité, source de retard dans l'aboutissement du projet.
Ainsi en est-il lorsque la demande de permis de construire vaut demande au titre d'une autre législation mais que le permis de construire ne vaut pas, quant à lui, autorisation au titre de cette législation, et qu'en conséquence les travaux ne peuvent être exécutés immédiatement (cela est notamment le cas de l'autorisation de changement d'usage ou de la déclaration de travaux en site inscrit).
Il en va de même lorsqu'il s'avère nécessaire de déposer une pluralité de demandes suivant chacune son instruction propre et pouvant impliquer, chacune en ce qui la concerne et parfois successivement, la réalisation d'une enquête publique à des titres différents, notamment en raison d'un permis d'aménager, d'un permis de construire, d'une autorisation « loi sur l'eau » ou encore d'une opération de défrichement dépassant certains seuils.
Ces inconvénients sont accentués lorsque la procédure n'est pas suffisamment encadrée, à l'instar de la procédure d'archéologie préventive, qui requiert la conclusion d'un contrat de fouille dont le délai de transmission par les opérateurs compétents est pour le moins aléatoire, car le respect de celui-ci n'est pas sanctionné. Il y aurait là un vaste travail de clarification et probablement d'innovation qui, curieusement eu égard aux enjeux opérationnels, ne focalise pas l'attention, à quelques exceptions près.
Si, depuis le 1er novembre 2007, les pièces à joindre à l'appui d'une demande d'autorisation d'urbanisme sont listées de manière exhaustive, on observe une forte propension à compléter cette liste au fur et à mesure. Certains des documents requis nécessitent un important travail de préparation et de négociation avec des tiers à l'opération projetée, dont l'issue conditionne le dépôt des demandes de permis de construire ou d'aménager. Tel est notamment le cas, par exemple :

  • de la négociation de la convention de participation au financement des équipements publics 1 lorsque le terrain d'assiette de l'opération, situé en ZAC, n'a pas été acheté à l'aménageur
  • de l'étude d'impact, dont le champ d'application s'est élargi depuis le 1er juin 2012 et dont l'élaboration peut légitimement demander douze mois.

La procédure dite « au cas par cas » permet à l'autorité environnementale, pour des projets autres que ceux soumis systématiquement à étude d'impact, de décider, au regard des informations fournies par le pétitionnaire ou le maître de l'ouvrage, si le projet doit ou non faire l'objet d'une telle étude 2. La demande au cas par cas doit reposer sur une description précise du projet, de sorte que ce formulaire ne peut pas être déposé trop en amont du projet. Les opérateurs, par souci d'anticipation, sont donc parfois conduits à réaliser cette étude en amont, alors même qu'elle ne leur sera finalement pas demandée par l'autorité environnementale.
Un corpus de règles et de principes complexes enserre l'opération d'aménagement et de construction. Au titre des contraintes réglementaires, il est permis de citer entre autres les documents d'urbanisme tels que le plan local d'urbanisme (PLU), mais aussi le schéma de cohérence territoriale (Scot), qui peut être directement opposable. D'autres prescriptions liées par exemple à des problématiques de sécurité ou de salubrité publiques peuvent venir s'ajouter, comme les dispositions d'un plan de prévention du risque inondation (PPRI) ou d'une servitude d'utilité publique restreignant l'usage, instituée sur le terrain d'anciens sites industriels, ou enfin des principes généraux tels que l'émergent principe de précaution.
On sait également que des documents de nature purement contractuelle, tels que des servitudes ou cahiers des charges obsolètes, peuvent également constituer un obstacle à la reconversion en secteur résidentiel de telle ou telle zone anciennement à vocation industrielle. Les outils juridiques disponibles aujourd'hui pour y remédier — modification ou mise en concordance du cahier des charges lorsque cela est possible ou encore expropriation de droits réels — découragent souvent les opérateurs privés.

Lenteur

Les procédures d'adaptation des documents d'urbanisme, récemment réformées par une ordonnance du 5 janvier 2012 et un décret du 14 février 2013, s'inscrivent encore dans des délais longs. Il est vrai que, s'agissant spécifiquement de la possibilité d'accorder des majorations de droits à construire lorsque des critères de performance énergétique sont respectés, ou lorsque le programme comporte des logements locatifs sociaux, l'adaptation des documents d'urbanisme est alors soumise à la procédure de modification simplifiée 3, dispensée d'enquête publique et qui s'avère dès lors plus simple et rapide.
Néanmoins, cette réforme se révèle dans sa globalité, et à l'inverse des objectifs affichés, source de complexification : elle prévoit pas moins d'une dizaine de procédures différentes d'adaptation du plan local d'urbanisme. Pour preuve de ce rendez-vous manqué, le projet du gouvernement d'amender à nouveau la procédure de déclaration de projet afin de disposer, pour une opération d'intérêt général même privée, d'une procédure unifiée et susceptible de mettre en cohérence les documents d'urbanisme les plus nombreux possibles.
L'instruction des demandes d'autorisation souffre de la longueur des délais prévus par le code de l'urbanisme (jusqu'à douze mois). L'occasion nous est donnée ici de pointer les délais d'instruction des projets soumis à étude d'impact et enquête publique, qui sont quant à eux aujourd'hui de l'ordre de neuf à douze mois. On peut d'ailleurs regretter que l'ensemble des étapes de la procédure 4 d'enquête publique n'aient pas été encadrées, ce qui aurait permis d'assurer une meilleure maîtrise des délais.

Insécurité

Sauf cas exceptionnels, les travaux peuvent en principe être entrepris dès transmission des autorisations administratives nécessaires à la réalisation du projet. Pour autant, au vu des risques juridiques liés à l'annulation éventuelle des autorisations administratives (interruption des travaux, démolition ou dommages et intérêts) et face à l'impossibilité d'obtenir un quelconque financement, l'absence de recours est de fait une condition sine qua non pour pouvoir concrétiser un projet immobilier. À titre d'information, la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) a récemment chiffré à 35 000 le nombre de logements dont la construction est suspendue par des recours abusifs 5.
La multiplication des recours constitue un réel frein à la densification dans un contexte où, malheureusement, l'absence de célérité de la juridiction administrative et les règles du contentieux administratif se révèlent particulièrement pénalisantes pour le pétitionnaire.
Sur le plan de la célérité, et bien que la situation se soit améliorée dans certaines juridictions, les délais de jugement sont encore de l'ordre de dix-huit à vingt-quatre mois devant le tribunal administratif, de dix-huit mois également environ devant la cour administrative d'appel, et de l'ordre de douze à dix-huit mois devant le Conseil d'État.
Certes, des mesures d'organisation ont été mises en place afin d'accélérer le traitement de situations topiques révélant une requête manifestement irrecevable ou mal fondée (procédure dite « de tri »). Néanmoins, ces hypothèses ne sont pas représentatives de la majorité des cas et ne sont pas en adéquation avec l'ampleur du phénomène.
En ce qui concerne les règles de la procédure, un certain nombre d'entre elles sont défavorables au pétitionnaire. La possibilité d'exercer un recours gracieux a pour effet immédiat de prolonger les délais de jugement puisque, entre l'affichage du permis de construire et le dépôt du recours contentieux devant le tribunal, s'ouvre un délai de six mois : le recours gracieux qui peut s'exercer dans une période de deux mois suivant l'affichage ouvrira au signataire du permis de construire un délai de réponse de deux mois et le requérant disposera à nouveau d'un délai de deux mois pour saisir le tribunal. L'acception assez large qu'a le juge administratif de l'intérêt à agir mérite également réflexion.
De la même manière, la possibilité pour le requérant de soulever des moyens nouveaux à l'appui de son recours, et ce, jusqu'à la clôture de l'instruction — parfois tardive —, est particulièrement défavorable (le débat pouvant au surplus être encore alimenté devant le juge d'appel). Dans de telles conditions, il est difficile pour le porteur du projet d'apprécier les risques affectant l'autorisation et d'engager utilement une démarche de prévention consistant à déposer un permis de construire modificatif régularisant — comme cela est souvent possible — les éventuelles fragilités juridiques du dossier, sauf à réaliser un audit complet de l'autorisation d'urbanisme, portant à la fois sur la complétude du dossier de demande d'autorisation, sur la procédure d'instruction et sur la conformité aux règles d'urbanisme.
Au regard de ce rapide panorama, on ne s'étonnera pas que les professionnels de l'immobilier se mobilisent de plus en plus sur le front juridique.

  1. Article L. 311-4 du code de l'urbanisme.
  2. Article R. 122-2 du code de l'environnement.
  3. Article L. 123-13-3 du code de l'urbanisme, prévoyant une procédure de modification simplifiée du PLU dans de tels cas.
  4. À titre exemple, n'est pas encadré le délai de saisine du président du tribunal administratif en vue de la nomination du commissaire enquêteur.
  5. Voir : « Logement : les mesures d'urgence présentées par Hollande », publié le 21 mars 2013 sur le site internet http://www.toutsurlimmobilier.fr/logement-les-mesures-d-urgence-presentees-par-hollande.html
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-6/de-nombreux-obstacles-juridiques.html?item_id=3345
© Constructif
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