Yann DOUBLIER

Président de Nexity Apollonia.

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Les frontières entre le public et le privé s'estompent

Pour le développement d'opérations denses, qui supposent souvent le choix de formes urbaines plus audacieuses, de nouveaux types de partenariat entre les collectivités et les opérateurs privés sont en train d'émerger.

Quel est l'intérêt, à vos yeux, d'une densification du tissu urbain ?

Yann Doublier. Il s'agit d'une question sociétale avant d'être une question d'intérêt privé pour un maître d'ouvrage ou tout autre intervenant dans l'acte de bâtir. Ce qui est important pour la société, c'est l'impact de la densification en termes de développement durable, de concentration des pôles urbains et d'économies de réseaux. En tant qu'acteur de l'aménagement urbain, je reconnais tout à fait l'intérêt de cette démarche pour la société.
La densification est un sujet récurrent en France dans toutes les agglomérations. Sur le plan théorique, on entend en général seulement des arguments qui lui sont favorables, mais quand on en est au stade du développement de projet, on est souvent confronté aux réticences des décideurs : élus, aménageurs, services publics... On observe d'ailleurs que les élus qui ont déjà plusieurs mandats à leur actif ont en général plus de légitimité pour faire bouger les choses et engager leur ville dans un processus de densification avec de nouvelles formes urbaines.

À Paris, où le maire termine un second mandat, son souhait de promouvoir des tours ne semble pas aboutir...

Le cas de Paris est très particulier, car le pouvoir y est éclaté avec des mairies d'arrondissement d'opposition et des associations fortes, notamment. En plus, la densité y existe déjà : la ville est un noyau dense et fortement structuré. Hormis certains terrains publics, on ne peut y travailler quasiment qu'en « dents creuses ».

Où vous semble-t-il justifié de réfléchir à la densification ?

Il existe de grandes possibilités de densification et de renouvellement urbain en banlieue parisienne. Depuis vingt ans, on a observé un mouvement de concentration de la première couronne à l'ouest, maintenant on peut continuer au nord et à l'est — à Aubervilliers, Pantin, Les Lilas ou Montreuil, par exemple — et aussi en deuxième couronne.
En pratique, j'observe qu'il faut qu'il existe un besoin de reconversion d'un territoire pour que l'on se pose la question de la densification. C'est la même chose en régions, dans les grandes agglomérations — Lille, Lyon, Marseille ou Bordeaux — où les activités qui étaient traditionnellement développées dans le cœur des villes — le port autonome à Marseille, Gerland à Lyon, les Bassins à flot à Bordeaux... — sont en reconversion, ce qui donne à ces grandes agglomérations des occasions de repenser leur cadre bâti.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, les gens préféraient habiter en périphérie et venir travailler au centre de la métropole. Aujourd'hui, leur choix s'est totalement inversé car les mouvements pendulaires étaient longs et coûteux, les activités industrielles de centre-ville ont connu un fort déclin et la prise de conscience des impératifs du développement durable a conduit les élus à privilégier les transports collectifs et à encourager une redécouverte du « vivre en ville ». On retrouve cette situation dans toutes les grosses agglomérations, sauf à Paris.

Quelles sont les contraintes de la densification pour un maître d'ouvrage ?

La densification a un coût. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, elle n'est pas génératrice d'économies pour un opérateur privé. Si on peut considérer qu'elle est à l'origine de certaines économies pour la cité, par exemple en ce qui concerne le gaz à effet de serre, pour le maître d'ouvrage et aménageur privé, elle suppose toutes sortes de dépenses supplémentaires : pour l'imperméabilisation des sols avec la création des bacs de rétention d'eau, pour le stationnement (une place de stationnement coûte 5 000 euros en campagne et 30 000 dans une opération dense), pour les terrassements, pour la consolidation des bâtiments mitoyens... La problématique de la verticalité ajoute d'autres coûts : ascenseur à partir de R + 3, circulations protégées à partir de R + 10 et, quand on passe à l'immeuble de grande hauteur (R + 18), obligation de prévoir un arsenal de sécurité, comprenant notamment un pompier 24 heures sur 24. Il y a une gradation des coûts au fur et à mesure de l'élévation d'un immeuble.

Comment expliquer que l'on aille quand même vers la densification ?

C'est contextuel. On y arrive quand c'est la meilleure réponse urbaine aux questions que se pose la collectivité. Ainsi, à Marseille, c'est à la demande de la mairie que nous avons implanté un îlot en R+17 au cœur d'une zone d'aménagement concerté (ZAC).
À Asnières, la municipalité avait fixé un nombre de mètres carrés à construire. Nous nous sommes posé avec elle la question de la meilleure forme urbaine pour répondre à cette demande, et nous avons trouvé intéressant d'édifier un signal au pied d'une future gare du Grand Paris.
La densité est indissociable des équipements et des espaces publics qui doivent être créés, ou des commerces à programmer. Cela aussi a un coût mais, à l'échelle d'un quartier dense, les mètres carrés d'équipements publics sont mieux amortis en raison du nombre d'habitants.

Est-ce que les frontières public-privé ne se trouvent pas modifiées ?

Les élus sont moteurs, mais ils ne sont pas toujours assurés de convaincre leurs conseils municipaux. La hauteur comme la densité sont des questions sensibles ! Notre dialogue avec eux est essentiel et, en pratique, l'expérience montre que si nous arrivons à décloisonner le public et le privé et à travailler en amont en confiance mutuelle, nous pouvons faire de belles choses.
Il me semble que l'on aborde maintenant une nouvelle ère de l'aménagement urbain : les frontières qui délimitaient l'intervention publique (l'aménageur) et privée (le promoteur) s'estompent. Cette évolution récente a probablement deux causes principales : l'obligation de mise en concurrence des aménageurs et le renchérissement du coût du foncier, alors que les ressources des collectivités sont en baisse. Ainsi, certaines collectivités ont créé des partenariats pour aménager avec des intervenants privés des projets dans toute leur ampleur. À Bordeaux, le maire, Alain Juppé, a demandé un schéma directeur des Bassins à flot à l'architecte-urbaniste Nicolas Michelin et inventé une nouvelle forme d'urbanisme concerté. Chaque opérateur constitue son morceau de ville dans le cadre d'un processus collaboratif.
Nous sommes donc amenés à élargir notre cadre d'intervention et avons étoffé nos équipes de techniciens de l'aménagement et des VRD, alors que nous engagions auparavant seulement des professionnels de la promotion et du bâtiment.

En tant qu'opérateur privé, vous avez un impératif de rentabilité. Comment est-il conciliable avec des opérations denses mais coûteuses ?

Nous ne pourrions pas réaliser seulement de grandes opérations denses ! Mais le groupe Nexity recherche un effet de vitrine grâce à elles. C'est le cas, par exemple, de notre opération Villapollonia dans la ZAC Berthelot, dans le 8e arrondissement de Lyon, où nous construisons 83 000 m2 de plancher, (1 200 logements), ou encore de la reconversion du site PSA à Asnières, où nous réaliserons 450 logements et 80 000 m² de bureaux. Notre groupe souhaite réaliser de grandes opérations afin de conserver une part significative du marché immobilier français (12 % l'an passé). En outre, notre positionnement de grand groupe responsable implique que nous soyons aux côtés des collectivités. Si les grands acteurs ne s'impliquent pas dans de grosses opérations, personne ne le fera. Nous venons d'ailleurs d'introduire massivement des programmes en accession à la propriété dans les zones de renouvellement urbain Anru. Les besoins de logements restent très importants en France. Il est essentiel de réfléchir aux moyens de les satisfaire à une grande échelle.

Le retrait des investisseurs institutionnels n'est-il pas un problème ?

Oui, bien sûr, nous essayons de les faire revenir à nos côtés dans le domaine du résidentiel, car on a besoin d'eux.

Le client final est-il disposé à payer plus cher pour acheter un logement dans un programme dense ?

Non, bien évidemment. Les gens ne sont pas prêts à acheter plus cher parce que c'est plus dense. C'est la solvabilité des acquéreurs qui fixe le marché. Nous essayons toutefois de leur « faire accepter » la densité, de leur donner des « contreparties » : 50 % de notre offre de logements est en duplex. Nous savons que le Français moyen souhaite habiter une maison, mais avec des services. Nous proposons donc des coins jour et nuit superposés, des grandes hauteurs sous plafond, des espaces extérieurs, des garages...Nous faisons en sorte d'intégrer les caractéristiques de la maison individuelle dans nos programmes denses. Nous veillons également à la proximité des services, des commerces, des transports en commun, et à la sécurité. Nous savons que nous devons apporter une qualité de vie particulière à ces programmes. Et nous allons continuer à travailler dans cette voie, puisque nous avons résolument décidé de nous rapprocher encore du cœur des villes où nous réalisons déjà aujourd'hui 80 % de notre production. C'est là que la pression de la demande est la plus forte. C'est là aussi qu'en cas de retournement de la conjoncture, nous aurons le moins de risques commerciaux.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2013-6/les-frontieres-entre-le-public-et-le-prive-s-estompent.html?item_id=3341
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